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Autonomie des équipes et des personnes : le challenge du management hybride

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Source : GettyImages-

La crise de la covid-19 a brisé le plafond de verre du tout présentiel et fait émergé un travail hybride mêlant présentiel et distanciel. Le modèle d’organisation hérité de la révolution industrielle (unité de lieu et unité de temps) s’est matérialisé par une présence sur un lieu à des horaires donnés. Le distanciel permet à des personnes ne plus se rendre sur un lieu pour travailler. De ce fait, elles disposent d’une autonomie plus grande.

 

La notion d’autonomie n’est pas nouvelle et a toujours été brandie comme un contre-pouvoir au modèle « commande/contrôle ». C’est un sujet clé de société, celui du rapport entre la liberté et le contrôle. Quel degré de liberté (et donc d’autonomie) doit-on laisser aux personnes dans un collectif afin que qu’elles s’investissent et atteignent les objectifs fixés ? De très nombreux philosophes (Spinoza, Pascal, Marx, etc.) se sont penchés sur la question avec la problématique suivante : jusqu’où un système peut-il contraindre les individus tout en construisant un collectif avec des règles ?

La question de la responsabilisation et de l’autonomisation des équipes est une question discutée depuis longtemps, avec des propositions régulièrement remises au goût du jour. Dès le début du XXème siècle, Mary Parker Follett[1] propose les contours d’un leadership diffus fondé sur un pouvoir partagé. Dans les années 30, Hyacinthe Dubreuil[2] défend l’idée d’une nouvelle organisation du travail donnant au travailleur l’état d’esprit d’un entrepreneur individuel et le sentiment de responsabilité. Pour y parvenir, il préconise la constitution d’équipes jouissant d’une autonomie interne complète. S’en suivra dans les décennies suivantes, notamment dans les années 1970, la promotion des équipes de travail autogérée, semi-autonomes, objectivées ou « de progrès ». On parle aujourd’hui d’équipes organiques ou libérées.

Des concepts comme la sociocratie ou l’holacratie sont présentés comme des formes de fonctionnement autonome avec un partage du pouvoir. Ce type d’organisation est souvent le fait d’un dirigeant engagé et de petites structures agiles naissantes, mais il est loin de constituer la majorité des entreprises. L’entreprise néerlandaise Buurtzorg fonctionne autour d’équipes autonomes rattachées à une organisation régionale et nationale avec des règles de subsidiarité et une priorité à l’action de terrain. L’équipe autonome ne constitue pas seulement une alternative organisationnelle, elle correspond aussi à une attente sociétale de sens. Le philosophe américain Matthew Crowford[3] traite dans ses ouvrages de la perte de sens dans des environnements de travail dématérialisés. Il prône une relation au matériel et au vivant au sein d’environnements de travail à taille humaine. Le travail contemporain serait vidé d’un contenu opérationnel (difficulté d’évaluer l’apport de son travail dans un produit ou service) et existentiel (difficulté de se sentir utile pour la société). Le sociologue François Dupuy[4] argumente ce délitement du sens au travail par la prégnance dans les organisations actuelles du trio infernal « Process, Indicateurs de performance, Systématisation du reporting » au détriment d’un modèle de travail fondé sur la communauté d’intérêt et la confiance accordée aux équipes.

Dans le cadre de la chaire ESSEC Innovation Managériale, nous avons mené pendant plusieurs mois un travail exploratoire sur les conditions et les modalités de l’autonomie dans un grand groupe français. L’étude a porté sur l’observation d’une équipe de 17 personnes en demande d’autonomisation. Cette étude nous permet de proposer une hypothèse d’autonomisation des équipes au travers de 5 leviers clés.

 

Figure N° 1 : Les leviers de l’autonomisation

 

Levier 1 : Compatibilité de l’équipe

Mettre en place des équipes autonomes est plus difficile dans des systèmes historiques installés que lors de la création d’une nouvelle organisation. Une première question à poser est donc : « voulez-vous devenir une équipe autonome ? ». Certaines équipes peuvent refuser au motif de l’accroissement de responsabilité qui découlerait de ce nouveau statut d’équipe autonome. Un autre point clé est la taille de l’équipe. Les équipes autonomes fonctionnent bien en petits groupes (15 à 20) afin que les relations prévalent sur les règles de gestion. Certaines activités et métiers se prêtent plus ou moins bien à l’autonomie du fait des expertises nécessaires et de l’organisation des équipes. Enfin, la culture du groupe et sa capacité à s’autogérer est une variable dont il faut tenir compte. Les membres de l’équipe s’entendent-ils bien ? Ont-ils une culture de la résolution de problème au niveau local ? Le management en place a-t-il déjà testé de nouvelles formes d’autonomie ? Cette analyse permet, pour une équipe donnée, de déterminer sa « capacité à l’autonomie ».

 

Levier 2 : Variables d’autonomie

L’entreprise Clinitex[5] permet à ses équipes de terrain de recruter elles-mêmes leurs futurs collaborateurs. Mais bien d’autres variables, d’autres champs, sont possibles : choix et montée en compétence des collaborateurs, choix des fournisseurs, horaires de travail, organisation du travail, primes, promotion, indicateurs de gestion, conditions de travail, mode de communication ? Toute décision est sujette à l’autonomie. Dans un souci de cohérence de groupe, il convient de s’entendre sur ces variables, sachant que cela peut se faire progressivement, par vagues successives.

 

Levier 3 : Modes de contrôle

Autonomie ne signifie pas l’absence de devoir. Il convient donc, dans une équipe, de s’entendre sur les indicateurs et les modalités de contrôle (indicateurs, périodicité, prérogative des managers, règles de responsabilité, règles de subsidiarité avec les autres niveaux de l’organisation, etc.) sous la forme d’un contrat de gestion simples et clair.

 

Levier 4 : Modalités de management

Devons-nous avoir encore des managers dans des équipes autonomes ? Certaines entreprises optent pour un management tournant. Notre position est que les équipes autonomes doivent avoir des managers qui prennent la responsabilité de la production et du fonctionnement. Cependant, ce management est partagé et tous les membres de l’équipe sont responsables d’au moins un sujet. Tous les membres ont un rôle de leader et de participant. On parle d’organisation « leadership/followship ».

 

Levier 5 : Culture de l’autonomie

La culture de l’autonomie n’étant pas naturelle, il convient de l’initier et de la maintenir au travers de valeurs fortes portées par l’organisation. La célébration et la communication de cette autonomie constituent des actions de visibilité et d’ancrage déterminantes pour le succès de la démarche et son possible essaimage. Chaque entreprise se doit de construire de manière singulière sa culture de l’autonomie, et cela se fait par des cycles d’expérimentation de fonctionnement autonome.

L’équilibre « Autonomie/Contrôle » est au cœur de la gouvernance et du management de tous les collectifs depuis la nuit des temps, avec des oscillations donnant la priorité tantôt à l’une, tantôt à l’autre des orientations. L’équilibre se fait par la notion de responsabilisation (« empowerment »), responsabilisation des collaborateurs à faire et s’engager, mais aussi responsabilisation des organisations à lâcher prise et à faire confiance. Dans un contexte complexe et en mutation forte, l’adaptation se fait grâce à l’innovation des acteurs de terrain qui ont besoin d’une autonomie maîtrisée pour garantir l’intégrité et le futur des organisations.

 

[1] Héon F., Davis A., Jones-Patulli J., Damart S., L’Essentielle Mary Parker Follett, MPF Group Éditions, 2015.

[2] Barabel M., Meier O., 2015, 3ème édition, 2015, Dunod.

[3] Crawford M., Shop Class as Soulcraft : An Inquiry Into the Value of Work, Penguin Press, 2009. Crawford M, The World Beyond Your Head : On Becoming an Individual in an Age of Distraction, Farrar, Straus and Giroux, 2015.

[4] Dupuy F., Lost in management, Le Seuil, 2011.

[5] Staune J., L’intelligence collective, L’observatoire, 2019.

 

Ecrit avec Jean-Yves Guillain, expert en transformation des organisations

 

 

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