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Mode | Intemporel karakou algérien, retour sur une pièce iconique fétiche des designers

Karakou
© Maison Eddine Belmahdi

C’est un invité récurrent des maisons de luxe qui s’en inspirent d’une collection à l’autre. Cette passion stylistique autour du Karakou, costume de soirée algérien, a pour point de départ un certain Yves Saint Laurent. Le natif d’Oran a multiplié les clins d’œil couture à cet habit traditionnel entré dans le vestiaire algérien depuis des siècles. Entre patrimoine et appropriation culturelle, Forbes a interrogé le designer Eddine Belmahdi qui nous dit tout sur cet objet du désir.

  

Un peu d’histoire. Expliquez-nous à quel moment le karakou algérien s’est imposé parmi les pièces maîtresses du vestiaire algérien. Quel est l’origine de ce symbole ? 

Eddine Belmahdi : Le karakou trouve son origine en Algérie dès le 14ème siècle. Ce gilet était considéré par certains comme l’ancêtre du soutien-gorge. Il a connu bien des évolutions. Alger a toujours été une capitale de faste et de mode. L’art de la broderie y est travaillé depuis des siècles. Ce vêtement a connu des modifications de style dues aux nombreuses influences dans cette ville-carrefour : berbère, andalouse, ottomane et française. En outre, il faut aussi savoir que la jupe qui compose le karakou – appelée ‘sarouel cherka’ – était rattachée au symbole de la princesse Zaphira d’Alger. Cette figure historique la portait fendue sur les côtés et fermée à l’entre-jambe au 16ème siècle, avant d’être tuée par le corsaire Barberousse. Cette modeuse avant l’heure a définitivement fait entrer le karakou dans le vestiaire des Algériennes. 

Yves Saint Laurent, Elie Saab, Christian Lacroix, Elsa Schiaparelli… Le karakou n’a eu de cesse d’inspirer les plus éminents designers. En tant que styliste, comment interprêtez-vous cette passion autour de ce costume traditionnel ? 

Je pense que l’esthétisme du karakou contribue à en faire une pièce avec laquelle on peut s’amuser, être créatif. D’ailleurs, si un grand nombre de maisons de luxe l’ont décliné dans leurs propres versions, c’est parce qu’elles se retrouvaient dans les codes raffinés et luxueux de l’habit de fête algérois. En tant que styliste, j’ai un seul regret : le manque d’information et de contextualisation autour de cette tenue iconique, notamment lorsqu’elles présentent leurs collections. A l’heure des débats sur l’appropriation culturelle, il est plus que jamais important d’apporter un éclairage par des repères historiques.

Karakou
© Maison Eddine Belmahdi

 

Intéressons-nous au travail de mise en lumière exemplaire de la maison Hermès à travers son défilé indien. La marque française a fait appel à des artisans locaux pour co-créer la collection, lesquels ont touché des royalties sur les ventes. Pour moi, c’est ainsi que devraient fonctionner les griffes puisant dans l’héritage vestimentaire des autres cultures.  

A la croisée de l’Occident et de l’Orient, l’Algérie n’est pas l’Orient. C’est le Maghreb avant toute chose. Nos tenues ne sont pas des tenues orientales, elles ont des noms, une Histoire, elles sont rattachées à des villes avec une forte identité patrimoniale. 

Yves Saint Laurent, le natif d’Oran y a vécu jusqu’à ses 18 ans. Tout au long de son œuvre stylistique, on peut voir de nombreux clin d’œil arabisants. Comment son enfance et adolescence algérienne ont-elles contribué à façonner sa vision de la mode selon vous ? 

Monsieur Saint Laurent a une histoire particulière avec l’Algérie. Il y a souvent puisé son inspiration, et a toujours été légitime à mes yeux puisque c’est en Algérie qu’il a grandi, forgé une partie de son identité. L’enfance est une étape clef dans nos vies. Dans une France d’époque, avec un climat parfois hostile envers l’Algérie d’après-guerre, il a fait fi de cette animosité, a osé. Yves Saint Laurent a projeté une partie de sa vie, son enfance, sur certaines de ses créations. Les clins d’œil identitaires à sa terre de naissance nourrissent subtilement des facettes de son œuvre stylistique. Je salue son travail respectable. 

La collection « Russe » aurait pu s’appeler collection « Algérienne » dans un autre climat politique, tant l’influence de ce pays était notable dans les matières, les coupes, les couleurs, et les ornements.  

Karakou
L’Influenceuse The Doll Beauty portant à ses noces le Karakou designé par Eddine Belmahdi

 

Le karakou se décline de mille et une façons : coupes, couleurs, longueurs, matières… Quel est le modèle le plus plébiscité ? 

De nos jours, la veste doit être cintrée, la jupe est dans 90% des cas un sarouel cherka près du corps, ou remplacé par une jupe classique. Quant aux codes, ils ne changent pas : le velours est toujours la composition principale et les broderies restent façonnées à l’or. Mes clientes sont plutôt sur du monochrome, aussi, elles aiment dépareiller le haut du bas comme le faisaient jadis nos grands-mères. Le karakou – en tout cas chez moi et chez mes aficionados – a retrouvé une certaine forme de sobriété et de modernité qui en font un habit de fête n’étant plus réservé aux seuls mariages. Il se porte aussi lors de galas, de soirées chics où il faut une toilette élégante. Il y a un twist assurément parisien, la mode sait ouvrir des dialogues !

Siècle après siècle, le karakou semble indémodable. Qu’est-ce qui le rend immortel ? 

Il est à l’image de la ville qui l’a créée : mystérieux, vibrant, il évolue avec elle. C’est un véritable caméléon ! À la fois sensuel, féminin, contemporain, il s’adapte aisément à la personnalité de chaque femme qui le portera. C’est, je pense, sa plus grande force. 

 

 

Pour aller plus loin :  

Maison Eddine Belmahdi

 

 

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