Après avoir travaillé dans une banque (bras bancaire des AGF, actionnaire de Bernard Tapie Finance) Sandrine Zerbib rencontre Robert Louis Dreyfus, qui lui propose de travailler pour une mission de court terme d’Adidas en Chine. Elle y restera durant 15 ans, en toute liberté. Zoom arrière avec Katya Pellegrino.
Pouvez-vous nous nous dire en quelques mots votre parcours jusqu’à votre création de Full Jet en 2013 ?
Depuis 28 ans en Chine j’ai auparavant travaillé dans une banque, (bras bancaire des AGF, actionnaire Bernard Tapis Finance). J’y étais lors de la longue saga de la reprise d’Adidas par Bernard Tapie puis par Robert Louis Dreyfus.
J’ai rencontré alors Robert Louis Dreyfus qui m’a proposé de travailler pour une mission de court terme d’Adidas en Chine tout début 94.
Après avoir monté leur filiale en Chine, la mission court-terme s’est transformée en travail chez Adidas durant 15 ans.
Bien que je ne vienne pas du monde du sport et que je ne connaisse pas la Chine, j’ai malgré tout accepté.
Ce fut un peu difficile au début mais rétrospectivement je me rends compte que mon atout était justement d’avoir un regard neuf et ouvert sur ce monde.
J’ai donc pendant plus de 15 ans travaillé pour Adidas, avec beaucoup de liberté.
Pourquoi avoir quitté Adidas ?
À cette époque j’avais trois options :
-M’installer dans ma zone de confort jusqu’à ma retraite.
-Faire carrière dans le groupe et quitter la Chine, tout en rentrant dans une carrière « corporate », ce qui était un peu dommage pour mon expérience en Chine.
-Ou me lancer dans une aventure entrepreneuriale différente et me focaliser sur des marques premium avec un accent sur la distribution.
Vous démarrez donc Full Jet en 2013 ?
En fait le démarrage a lieu en 2012 au travers d’un bureau de représentation.
Au départ nous faisions du conseil mais aussi de l’accompagnement, de l’exécution ou de la recherche et gestion de partenaires off line et on line de Retail, accompagnant les marques en Chine.
En 2015 nous sommes devenus un partenaire digital et avons fait nos premiers pas dans le E-Commerce.
Au départ nous avions des marques dans le sport, puis petit à petit nous nous sommes tournés vers des marques premium et de luxe.
Le plus gros challenge pour les marques c’est la distribution.
Que pouvez-vous nous dire au sujet du boom de l’e-commerce en Chine qui a eu lieu ces dernier mois, spécialement auprès des jeunes consommateurs ?
Il y a deux aspects qui explique le boom du E-Commerce.
Tout d’abord le E-Commerce a démarré car le commerce de détail n’était pas aussi mature en Chine qu’en Occident.
Ensuite les consommateurs chinois ont été prêts à accepter des nouveautés et des nouvelles façons d’acheter. Comme le paiement mobile par ex.
Enfin le Covid a accéléré ce boom digital.
Cette forme de consommation s’adresse aujourd’hui beaucoup plus aux jeunes car ils ont de 10 à 15 ans de moins en Chine qu’en Europe.
La jeunesse du 21ème siècle c’est la jeunesse dorée qui a vécu une période de croissance, elle est donc optimiste et portée sur la consommation avec élan.
De surcroît, Ils ont un regard différent et une autre façon de consommer.
Comment voyez-vous le développement dans les 10 ans à venir ? Pensez-vous que les plates-formes digitales vont prendre le pas sur les magasins traditionnels ?
À mon avis les magasins et la distribution physique ne vont pas s’arrêter, mais il y a eu une évolution phénoménale concernant les plates-formes digitales qui ont une grosse puissance de volume vente.
Prenez l’exemple de Tmall, Jingdong (JD.c om)Douyin…
Toutes ces plates-formes coexistent, se recoupent en partie et s’inspirent mutuellement en influençant le consommateur d’une plate-forme à l’autre.
Comme on ne peut pas choisir une seule plate-forme, il faut être présent sur plusieurs d’entre elle, le paysage digital étant de plus en plus complexe.
Par exemple Burberry fait 85 % de ses ventes sur Tmall, le reste sur Snapchat, Douyin etc…
Le live streaming a aussi explosé sur les plates-formes notamment sur Douyin.
Ainsi Alibaba a aussi une plate-forme de life streaming.
Les Chinois sont toujours en recherche de divertissement même en phase d’achat surtout sur les plates-formes, alors qu’en Occident le comportement est totalement différent. Le consommateur fait une recherche par un mot-clé, clique sur le produit qui l’intéresse puis le met dans son panier.
En Chine le client potentiel est en totale immersion. On lui propose des vidéos, des échanges avec ses amis, des jeux des vidéos très courts…sans sortir du live streaming.
Cela va t’il avoir un impact sur les magasins physiques ?
Le commerce physique a perdu 20 % et il est prévu un nouveau déclin de 10 % en Chine mais pas de disparition.
Par contre il va y avoir une profonde mutation dûe à trois raisons.
La première avec la réduction de portefeuilles. Le consommateur va prendre la main en relation avec le comportement des consommateurs
Deuxièmement il va y avoir création de magasins plus grands et plus beaux qui vont permettre de proposer des lieux incroyables, une expérience exceptionnelle, un « effet waouh » intégré au digital et sous forme de jeux.
Par exemple Burberry a créé un « Social Center » développé avec Tencent. On entre dans le magasin, on utilise une « social currency » (monnaie sociale) pour débloquer des produits exclusifs et avoir accès à ces produits distinctifs, présents sous forme de jeux et de partage sur les réseaux sociaux, enfin troisièmement on crée une expérience consommateur unique. Tout est lié.
Cela veut-il dire que vendeur s’efface et que l’humain n’a plus sa place dans la vente ?
Je dirais oui et non. Le client aime malgré tout le contact physique et surtout la qualité du service. Cette qualité de service est toujours recherchée avec le contact humain. Il garde un rôle important notamment pour des marques de luxe.
Quelle est l’importance pour les marques européennes Premium et les marques de luxe ? Comment peuvent-elles se positionner rapidement sur cette croissance ?
Les marques à ce jour ont fait un effort considérable.
Nous avons devant nous un consommateur très jeune et très digitalisé. Les marques doivent donc acquérir des compétences digitales de divertissement, de live streaming, de vidéo, de collaboration avec des personnalités diverses et variées, de jeux vidéo…
Le jeune consommateur chinois est beaucoup moins obsédé par l’héritage et l’histoire de la marque. Il transforme le luxe pour en faire une sous culture jeune. On le voit d’autant plus que la mode Streetwear prends de plus en plus le pas sur les modes plus classique.
D’ailleurs les marques ont fait un virage important car ils ont compris l’enjeu de ce nouveau comportement.
Il y a une transformation profonde des marques qui intègrent la sous- culture des jeunes.
Par exemple Cartier a récemment collaboré dans des boîtes de nuit avec des DJ connus pour le lancement de sa montre « Pacha. »
Est-il possible en France d’avoir cette même façon d’aborder le consommateur et de vendre ?
Non car les comportements de consommation des Français et même des Européens sont plus lents.
Les plates-formes en Europe sont bâties différemment, axées sur l’achat et il y a moins de jeunes qu’en Chine.
Pour vous donner un exemple précis, les achats de luxe sont à 50 % fait par des jeunes de moins de 35 ans en Chine.
L’âge moyen du premier achat de luxe se situe aux alentours de 20 ans.
Quel est le profil de ces jeunes consommateurs ?
Ce sont en général des jeunes qui économisent sur leur paye et qui ont leurs parents qui participent beaucoup au financement de ces achats.
Parlez-moi de Tmall et quelles sont les enjeux ?
Tmall appartient à Alibaba qui a un quasi-monopole des plates-formes.
Au sein deTmall (qui regroupe plus de 150 000 marques) vous avez le Luxury Pavillon qui s’adresse aux marques de luxe.
Il reste en termes de volumes le plus important.
Jingdong essaye aussi de se positionner dans le luxe.
D’autres plates-formes comme WeChat, existent mais représentent de petits volumes.
Mais beaucoup de marques sont aussi sur Wechat, plate forme fermée et non ouverte.
Quant à TikTok il essaie aussi de prendre des parts de marché dans le E-Commerce comme Douyin.
Que préconisez-vous pour une petite marque française qui aimerait approcher le marché chinois ?
Il faut démarrer d’abord sur WeChat, moins cher et qui apporte de la visibilité notamment pour les marques premium puis aller sur Tmall
On peut ainsi minimiser l’achat de service provider car il est difficile au départ de capter l’attention du consommateur, attirer le trafic et lui donner l’impulsion d’achat.
Tmall est un investissement lourd.
Bien entendu des plates-formes comme Tmall ou Douyin jouent un rôle différent.
Il faut donc voir et analyser le niveau de maturité de la marque, les enjeux financiers, les investissements, ce qui signifie y aller par palier pour des petites entreprises. Sauf si vous êtes déjà une marque connue avec une belle assise et une bonne visibilité en Chine.
Y a-t-il des plates-formes plus ou moins intéressantes ?
Elles sont toutes intéressantes, chacune jouant un rôle différent. Tout dépend de la maturité de la marque, de sa capacité à investir. Réfléchir à ses besoins et voir quelle plate-forme correspond le mieux aux attentes de la marque.
Quel coût cela représente-t-il d’aider une société à s’implanter en Chine ?
La première étape consiste à vérifier si la marque résonne auprès des Chinois.
Quel est ce niveau de résonance quantitatif et qualitatif et quel est son Storytelling. Nous avons des outils qui nous aident à comprendre si la marque est connue ou pas ou peu.
L’entreprise est-elle capable de perdre et d’investir durant deux ans sans gagner de l’argent ?
Est-ce qu’ils ont des capacités financières et d’investissement qui peuvent se situer à environ huit cents mille $ ? Car le produit en lui-même n’est pas suffisant.
Il faut peut-être proposer du pop-up dans un premier temps
Faire du cross Border qui permet de tester avant de s’implanter.
Une entreprise peut, exemple, conserver son stock dans son pays d’origine et envoyer les produits au fur et à mesure des commandes en Chine ce qui lui permet de livrer plus facilement car il y a des dispositions particulières pour les droits de douane concernant les colis personnels.
Ce qui permet de tester avant de s’engager plus avant.
En conclusion le marché chinois est intéressant mais très difficile. Il faut un expert, de l’investissement, de l’adaptabilité et de l’agilité tout en respectant l’identité de la marque.
Quel est l’enjeu de l’alliance entre Full Jet et Baozun dans ce contexte ?
Baozun est un leader du secteur. Il possède beaucoup de sociétés dans le sport et des marques de luxe comme Gucci, Ferragamo, Prada…
Quant à nous, notre point fort consiste à être une entreprise locale avec un background de la marque et nous proposons une stratégie de marque ainsi que son positionnement. Ce qui nous différencie de l’aspect technologique ou opérationnel.
C’est ce qui a intéressé Baozun.
Quels sont vos clients par exemple ?
Nous avons des marques comme Christofle qui a bien démarré, Debeers…
En marques prémium, nous avons par exemple Doc Martens.
Et comment définiriez-vous le luxe pour un chinois ?
Il doit être exceptionnel car il est en recherche d’expression, d’expérience.
Ce luxe est l’expression de ce qu’il est, de sa culture.
Quel est votre définition du luxe ?
Pour moi c’est quelque chose de précieux car le luxe est rare.
Le temps par exemple est du luxe par sa qualité, par le côté zen, cocon ou bien être, ce qui n’est absolument pas la perception du chinois si vous lui demandez sa définition du luxe
Quel est le luxe dont vous ne sauriez-vous passer ?
Un certain niveau de luxe dans le voyage, les trajets ou le choix de l’hôtellerie.
J’aime la recherche du plaisir dans ces moments.
Quel est votre comble du luxe ?
Ne rien faire. Apprécier le temps qui passe car ici nous sommes constamment en alerte.
Le temps en Chine est fugace, tout change en six mois car ici rien n’est éternel !
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