Le groupe de restaurants de luxe, construit autour de la figure du chef Yannick Alléno, entend poursuivre ses engagements en termes de bien-être au travail, dans un monde de la gastronomie qui a rarement été exemplaire sur le sujet. Un virage éthique pris dès 2016, alors qu’un conflit social sourdait au sein du Pavillon Ledoyen.
« Chez nous, les gueulards ne gueulent plus. » C’est ainsi que l’on pourrait résumer les engagements du groupe Alléno. Cette phrase est de Teddy Gillot, directeur général du groupe de restaurants de luxe, fondé par le chef multi-étoilé Yannick Alléno.
Cela fait plusieurs années que le groupe Alléno, qui réunit 17 restaurants et 15 étoiles, a mis en place un ensemble de mesures pour assurer la meilleure qualité de vie au travail possible pour pour ses 250 salariés, dont 180 rien que dans l’iconique pavillon Ledoyen, adresse iconique de la gastronomie française, qui jouxte les Chanps-Élysées – et que Alléno a repris en 2014. En comptant les restaurants en gestion du groupe, ce sont au total 1 000 collaborateurs qui travaillent dans la galaxie Alléno.
« Nous croyons fermement que la gastronomie doit être un espace où la responsabilité, le respect, et l’innovation cohabitent pour offrir non seulement des expériences culinaires exceptionnelles, mais aussi un cadre de travail épanouissant, explique Yannick Alléno par voie de communiqué. Notre vision est claire : faire en sorte que chaque collaborateur trouve dans notre groupe non seulement un lieu d’expression de son talent, mais aussi un environnement où il se sent soutenu et respecté. »
Un des premiers constats opérés par le groupe est que la jeune génération refuse désormais de travailler comme la précédente. Et il faut dire que 35% des équipes de l’institution a moins de 30 ans. Et cette jeune génération en a soupé des conditions de travail souvent difficiles de la restauration et des ambiances autoritaires des cuisines, qu’elles soient ou non étoilées. Ainsi, le groupe Alléno a enlevé les coupures entre les services, et assure deux journées de repos consécutives à ses employés – comme le font de plus en plus toutes les bonnes maisons qui se recrutent. Pour faciliter le dialogue et aussi l’écoute, une psychologue assure entre les murs de Ledoyen, une permanence une journée toutes les deux semaines. Dans un métier éreintant physiquement, un ostéopathe vient aussi exercer une fois tous les deux mois.
Résultats : le groupe revendique une baisse de 10 % des absences pour troubles musculo-squelettiques. Et plus globalement un turnover autour de 30% depuis 2022, là où la moyenne dans le secteur de la restauration tourne plutôt autour de 44% selon l’Insee. Cela a aussi entrainé une hausse de 35% des effectifs. Une augmentation de la main d’œuvre compensée par trois restaurants « toujours pleins » à Ledoyen selon Teddy Gillot, et surtout une meilleure ambiance de travail : « En ce qui concerne la qualité de vie au travail, nous voulons imposer une obligation de résultats et pas seulement de moyens », insiste Sandrine Cambazar, la DRH du groupe.
Conciergerie de table
Cette petite révolution managériale s’est faite en deux temps. Le covid est le dernier en date. A cause de la pandémie, Ledoyen ferme. Alléno passe le confinement à réfléchir, avec comme mot d’ordre : « On ne peut pas rouvrir comme avant. » Sa réflexion sur ce que doit être un grand restaurant aboutit sur le concept de conciergerie de table : à chaque réservation au restaurant trois étoiles, un responsable appelle le client, fait connaissance, échange sur ses goûts et ses désirs pour lui proposer un menu-surprise unique, taillé sur-mesure pour offrir une expérience gustative inoubliable. Avec ce format, tout est prévu à l’avance – ce qui fait disparaitre le coup de feu et réduit drastiquement la pression sur les équipes en cuisine et en salle.
Mais ce cheminement prend surtout naissance en 2016, année d’arrivée de Sandrine Cambazar en tant que DRH du groupe. Quelques mois auparavant, en mars 2015, le monde de la gastronomie est secoué par une enquête de Franceinfo qui donne la parole à des salariés de Ledoyen qui dénoncent des faits de harcèlement et de violences. La CGT dénonce à l’époque des « conditions de travail dignes du XIXe » siècle. » Des faits « romancisés par la presse » pour la DRH du groupe, et qu’Alléno a toujours réfutés. Si ni Ledoyen ni lui n’ont jamais été condamnés pour harcèlement, ni violence, le groupe a été condamné aux Prud’hommes en 2017, les bonnes conditions de travail n’étant pas respectées. Plus globalement, quand Alléno reprend Ledoyen en 2014, il trouve des équipes éreintées, et un outil de travail dans un état de vétusté avancé. L’obtention des trois étoiles après sept mois d’ouverture se fait donc sur fond de tension avec les équipes. Dès 2016, le groupe, en pleine prise de conscience qu’il faut tout changer, investit deux millions d’euros dans la modernisation des cuisines et sa remise aux normes d’hygiène.
Chef mentor de l’année
Aborder ce sujet tend tout le monde au sein du groupe : la maison et le chef aimeraient passer à autre chose, et sont ennuyés qu’on les ramène sans cesse à ce sujet – mais il se trouve qu’une telle affaire a marqué les esprits, surtout quand on est l’établissement indépendant le plus étoilé du monde. Et surtout dans le secteur de la haute gastronomie, où, secret de polichinelle, la culture managériale tient plus de l’armée que de la câlinothérapie.
Pour ce qui est du management, tout a changé – ou en tout cas, en a bien l’air . « Nous avons la chance d’avoir un chef qui sait se remettre en question et apprendre de ses erreurs passées », explique Sandrine Cambaza à Forbes, Le groupe a mis en place deux chartes internes pour s’assure que tout le monde se comporte bien. Un canal de signalement est disponible 24h sur 24, et sept jours sur sept au cas où un salarié est victime ou témoin de mauvais comportements.
Le groupe Alléno veut aussi montrer patte blanche en termes de diversité, 40% des managers sont des femmes, et le groupe atteint le score de 84 à l’indice de l’égalité femme-homme, contre 60 en 2020. Le groupe a aussi tissé un partenariat avec le CFA Médéric et sa classe « passerelle » afin d’accueillir 6 personnes en situation de handicap mental dans ses équipes à l’heure actuelle, principalement sur les fonctions de salle.
Le groupe essaye de faire des émules, et imposer sa vision au reste du secteur : ses collaborateurs interviennent régulièrement dans des écoles hôtelières pour partager ses bonnes pratiques. La maison est aussi en train de réfléchir à l’opportunité de créer un collectif de chefs « vertueux », qui irait évangéliser le reste de la profession.
Sans doute pas un hasard, donc, si Alléno, bien loin des polémiques passées, a été nommé en 2024 chef mentor de l’année par le Michelin. Celui qui a réveillé le Meurice et Ledoyen a en effet formé plus d’une centaine de chefs. Dont près d’une quarantaine sont aujourd’hui étoilés. Voilà le message que souhaite envoyer le groupe : l’éthique n’enlève rien à l’exigence.
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