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Le défi complexe de la construction immobilière haut de gamme

Alors que des tours remplies d’appartements de haut standing se construisent à tour de bras à Miami, Riyad, Doha, Dubaï mais aussi dans les capitales d’anciens pays communistes est-européens comme la Pologne, avec souvent la contribution d’architectes d’intérieur français, les projets se font de plus en plus rares dans notre pays. Une situation paradoxale tant la France attire des investisseurs étrangers susceptibles d’acquérir des biens de luxe.

Par Michael Miguères. Un article issu du numéro 26 – printemps  2024, de Forbes France

 

Une première explication réside sans doute dans une particularité française par rapport aux autres destinations mondiales de riches investisseurs : le stock du bâti ancien. Ainsi, plutôt que de construire des logements nouveaux, que ce soient des tours d’appartements modernes ou des villas, il est souvent bien plus facile de rénover des biens existants, dont l’architecture générale ancienne ou la localisation plaisent à une clientèle exigeante. Il est alors moins coûteux de rénover une grange, une ancienne maison ou d’anciens appartements et de les hisser au niveau des critères du luxe que d’engager des constructions nouvelles. L’investissement est d’ailleurs souvent plus lisible pour les investisseurs qui connaissent les prix d’autres biens haut de gamme vendus récemment dans la région, et peuvent plus facilement investir tout en minimisant les risques et les aléas tant la demande est déjà connue. Ce qui est un exercice plus complexe lorsque les ventes doivent s’effectuer sur des biens qui ne sont pas encore sortis de terre et que l’on évolue dans un marché qui comprend moins de biens comparables.

 

Programmes nouveaux

Jessy Armanini, directeur des programmes neufs chez Barnes, note plusieurs défis pour l’immobilier de luxe à la française. Il note tout d’abord des particularismes culturels du côté des acheteurs. La France n’a pas la culture du condominium, ces immeubles de standing découpés en copropriétés comprenant un appartement (une partie privative), mais également des parties communes financées selon les quote- part détenues par chacun des propriétaires. Ce sont également ces parties communes qui confèrent l’aspect luxe à ces espaces : salle de sport, piscine, terrasse avec vue notamment. S’ils sont appréciés en Amérique du Nord et très prisés dans les Émirats, ces espaces réservés à tous les copropriétaires pour leur usage commun ont un impact important sur les prix des biens car ce sont de véritables mini clubs de sport et piscines avec des coûts associés d’entretien et de dépenses de personnel. « Culturellement, on est moins habitué à payer des charges élevées avec une salle de sport, une piscine, un parking, une terrasse, une vue tour Eiffel, des logements connectés, économes et performants qui répondent aux nouvelles exigences », note Jessy Armanini. Le secteur fait face à des obstacles non négligeables tels que la complexité des législations, mais aussi les difficultés de trouver des emplacements de qualité. « Les terrains qui sont à disposition sont souvent éloignés des emplacements de premier choix, il sera donc difficile de trouver des acheteurs prêts à payer cher un emplacement de second rang, résume-t-il. Un projet VEFA est toujours très cher aujourd’hui, entre 30 à 50 % plus cher pour de nouvelles constructions que l’existant. Dans ces conditions, il est plus simple de donner une seconde vie à l’existant », analyse Jessy Armanini qui observe une baisse du nombre de projets en 2021, 2022 et 2023.

Tous ces facteurs ont contribué à un ralentissement notable de l’initiation de nouveaux projets, aboutissant à une baisse des dépôts de permis de construire de 30 % en 2023 et une série d’annulations de projets due à leur coût et à leur complexité administrative. Malgré cela, Armanini observe une progression des transactions pour des biens au-delà de 2,5 millions d’euros, portée par une clientèle aisée et souvent internationale, prête à investir dans des biens d’exception. Même si le marché du neuf est loin d’être dynamique, il note le contraste avec la rénovation : « On a néanmoins beaucoup de projets de rénovation, dans de l’haussmannien, des architectes d’intérieur de luxe et des prestations haut de gamme. » L’espoir se tourne vers le second semestre de 2024, anticipé comme un moment de rebond avec l’introduction de nouveaux projets sur le marché, signe attendu d’un regain d’activité.

 

haut de gamme

 

Pour autant, quelques-uns s’obstinent encore à faire vivre ce marché de la construction immobilière. C’est le cas du programme de logements neufs « 58 Victor Hugo », situé au 58 boulevard Victor Hugo à Neuilly-sur-Seine. Ce programme, développé par Icade, souhaite incarner l’élégance et le luxe en offrant des appartements haut de gamme conçus pour une qualité de vie exceptionnelle qui se distingue par ses espaces de vie spacieux et lumineux, des finitions soignées et l’utilisation de matériaux de première qualité, pour assurer à la fois confort et modernité à ses acquéreurs. Il offre des commodités haut de gamme comme une sécurité renforcée et des services de conciergerie, combinés à une localisation privilégiée offrant un accès facile aux commerces, aux établissements d’enseignement et aux espaces verts. Un programme qui ressemble à une exception dans le paysage parisien.

À plusieurs centaines de kilomètres de là, Jean Gervais et Rémi Barone, deux promoteurs immobiliers qui possèdent plusieurs décennies d’expérience et revendiquent des centaines de transactions, sont heureux de participer au renouveau de l’Alpe d’Huez grâce à un programme d’envergure de constructions haut de gamme. Ce programme, intitulé « Les chalets des coteaux de l’altiport », est un hameau composé de dix-sept chalets de montagne collectifs et individuels, haut de gamme, dont les prix de vente sur le marché oscillent entre 900 000 et 4 millions d’euros.

Cependant, illustration des particularités françaises, ce programme a mis plus de vingt ans à voir le jour, du fait des complexités réglementaires, et des recours en tous genres. Rémi Barone explique que, désormais, sortir un programme relève véritablement du parcours du combattant tant les complexités et les délais sont décourageants.

Il note également une rareté à la fois de l’offre et de la demande. « On observe un seuil pour les ventes à partir de 3 millions d’euros, où la clientèle est très exigeante malgré le peu de demandes, mais dans le même temps, il y a peu de concurrence sur ce segment de marché car construire un chalet en hauteur avec une belle vue est désormais pratiquement impossible. » Une offre qui risque de se faire de plus en plus rare à en croire ce professionnel, avec la ZAN, la Zéro artificialisation nette, une notion intégrée au code de l’urbanisme, dont l’objectif est d’interdire toute artificialisation nette des sols. « Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’à terme, le chalet disparaisse de la montagne », conclut-il.

En attendant, les dix-sept chalets individuels et collectifs dont les premières ventes ont été effectuées récemment devraient enclencher une revitalisation de l’Alpe d’Huez et amener une clientèle de luxe.

 

haut de gamme

 

Un avenir incertain

Robin Rivaton, dirigeant de la plateforme de performance immobilière Stonal et fondateur de Real Estech, le think tank qui rassemble plus de 100 dirigeants du secteur immobilier pour comprendre ses nouvelles tendances, décrit également la rareté du haut de gamme dans la construction neuve en France. Il souligne que la promotion neuve en France est peu concentrée sur le segment haut de gamme. « Depuis l’an 2000, les programmes immobiliers neufs s’articulent autour de trois axes principaux : l’accession à la propriété, les dispositifs incitatifs tels que la loi Pinel, et le logement social. L’achat en accession à la propriété concerne principalement le neuf, tandis que l’acquisition d’un second bien immobilier tend à privilégier les zones plus centrales, où le parc immobilier est plus ancien. »

Pour Robin Rivaton, le secteur de la construction traverse une période difficile, en partie en raison des taux d’intérêt qui affectent tous les types d’acheteurs. Il critique les mesures gouvernementales récentes (telles que la réduction des loyers sociaux pour les bailleurs, le durcissement des conditions d’obtention du dispositif Pinel, et la suppression du prêt à taux zéro (PTZ)) car elles ont un impact négatif sur la capacité d’investissement des acteurs du marché immobilier. Ces mesures pro-cycliques risquent, selon lui, de créer un déficit de production dans les années à venir, en raison de la réduction du nombre de projets lancés par les promoteurs. Il attire également l’attention sur les spécificités réglementaires françaises, en particulier la réglementation environnementale RE 2020, parmi les plus strictes au monde. Bien que celle-ci vise un objectif positif à long terme (la production de bâtiments neutres en carbone), elle se traduit par des coûts de construction élevés dus à l’utilisation de matériaux spécifiques. Il pointe du doigt la faible acceptabilité sociale des projets de construction en France ainsi que les procédures d’urbanisme complexes exacerbées par les larges possibilités de recours des tiers, l’influence considérable des architectes des Bâtiments de France (ABF) et les exigences des services de sûreté comme le SDIS.

 

Partir de l’existant

Concernant le segment du logement de luxe, Robin Rivaton résume pour les deux produits principaux, les grands appartements dans des tours et les logements individuels : « Pour les condominiums, la réglementation française limite fortement la construction de tours, ce qui réduit ainsi l’offre disponible. Sur le marché des maisons individuelles, l’offre de terrains est aussi particulièrement restreinte, notamment dans les zones littorales. »

Il existerait selon lui une réticence sociale face aux nouveaux projets de construction, ce qui devrait appeler à une réflexion sur la régulation pour faciliter le développement de logements de luxe, notamment dans les zones urbaines et littorales. Économiquement, le marché de l’immobilier de luxe revendique des acheteurs potentiels : il cite l’exemple de la demeure d’exception à Louveciennes réalisée par Cogemad, appartenant à Mohammed ben Salmane, le prince héritier et Premier ministre d’Arabie saoudite. Mais cette demande potentielle est modérée par les limites de construction. « Les possibilités de construction de tours résidentielles sont souvent entravées par la pression des riverains. Il faut noter qu’aucune tour résidentielle n’a été construite en Île-de-France depuis Beaugrenelle. La tour Triangle ainsi que le projet de Bertrand Delanoë prévoyant vingt nouvelles tours résidentielles ont été abandonnés, ce qui illustre les défis auxquels se heurte le développement immobilier vertical dans la région. »

La France risque donc de continuer à souffrir de la comparaison avec les constructions du nouvel immobilier haut de gamme et de luxe. Les acheteurs comme les professionnels devraient donc continuer à puiser dans le parc du bâti déjà existant au cœur des grandes villes françaises pour faire vivre un nouveau luxe à la française.

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