Disrupter le très feutré secteur de la joaillerie, c’est le credo de la scale-up belge Baunat qui propose de « reconnecter le prix des diamants avec [leur] vraie valeur ». Son PDG, Stefaan Mouradian, nous explique comment il a divisé les prix par quatre en achetant directement à la source, en privilégiant la vente en ligne ou en optimisant la gestion des stocks. Aujourd’hui, le joaillier affiche une croissance à deux chiffres.
Début 2000, Amazon – pas encore éminent membre des GAFA – avait tenté de bousculer le marché policé des diamants en court-circuitant le modèle de vente physique par une alternative en ligne, moins chère. Vaine tentative. Jeff Bezos a dû remiser ses projets de démocratisation du luxe ultime : les pierres précieuses. « Dans le business, il y a toujours un momentum, une convergence de tendances qui laissent poindre des évolutions majeures. Aucun marché n’est inattaquable, il faut juste émerger ad hoc ! », commente Stefaan Mouradian, président et co-fondateur de Baunat, le diamantaire belge à la croissance fulgurante de 40% annuelle. Lancée en 2008, son entreprise ne cesse d’étendre sa toile de Paris à Hong Kong, en passant par Anvers, capitale mondiale de cette industrie. Capable de rivaliser avec ses pairs de la Place Vendôme en termes d’excellence des gemmes sertis en Europe, et issues majoritairement de mines indiennes, « la Mecque des diamants taillés », souligne l’homme d’affaires. La comparaison s’arrête néanmoins là.
Quand un bijoutier de grande marque propose une bague en or blanc avec un solitaire de 1 carat, catégorie G couleur et clarté VS2 VG Cut (très petites inclusions difficilement visibles à la loupe 10X, NDLR), à 15.000 euros, Baunat affiche sur son site 4680 euros : « Nos prix peuvent être jusqu’à quatre fois moins chers car nous achetons à la source, nous ne recourons quasiment à aucun intermédiaire et avons un stock à flux tendu », dévoile Stefaan Mouradian. De fait, lorsqu’un bijoutier traditionnel assure une rotation complète de son stock à un rythme de deux à trois ans, le joaillier belge renouvelle l’intégralité de son stock trois fois par an. Une dépense en moins qui « pèse favorablement dans la balance du client ».
Un triptyque éprouvé depuis 10 ans, maintenant, auprès d’une audience de plus en plus large, « les Millennials sont notre cœur de cible, à laquelle il faut agréger les smart buyers de tout âge. Un nombre croissant de consommateurs recherchent la qualité et se révèlent très aguerris sur internet où ils n’ont aucune réticence à acheter un article de luxe. Ces clients avisés n’admettent pas de payer plus cher pour une marque si le produit ne le justifie pas », observe l’entrepreneur. Cette tendance criante aujourd’hui selon lui, a toujours existé. L’avènement du numérique a donc favorisé sa « consécration » matérialisée par l’introduction de nouveaux business model. Une histoire de « momentum », terme cher à cet ancien banquier de ABN Amro, première institution bancaire dans les transactions diamantaires. Financier et stratège, son profil séduit. En 1999, il est recruté par le géant indien, Blue Star, pour conseiller le groupe intégré verticalement de l’achat de mines à la conception et vente de bijoux. Cette opportunité de terrain parachève son expertise du secteur. Aussi à l’aise en Inde qu’en Belgique, il décide de lancer une marque propre et « digital native« , Baunat, contraction de « beauté naturelle », en s’associant avec un compagnon de route de Blue Star, Steven Boelens, son adjoint directeur de l’enseigne.
Internet first
Suffisamment « introduits » dans le milieu fermé de la pierre reine, les deux associés, ont le « réseau » pour discuter en direct avec les acteurs de la chaîne, notamment les exploitants de mines au pays de Gandhi. « Nous nous approvisionnons à Surate, une ville qui est située à 300 km au nord de Mumbai. Nous négocions en direct, ce qui optimise notre activité n’étant pas tributaire d’intermédiaires. Une prérogative de taille qui nous permet de répercuter les sommes économisées sur nos prix finaux. Le client est gagnant ! ». L’Inde, un eldorado ? Oui, à condition d’avoir les connexions et l’expertise marché. Auquel s’ajoute le fameux « momentum » ; ainsi en 2018, une entreprise traditionnelle tentée par le e-commerce, « devra faire face à un coût trois fois plus élevés que nous pour se diversifier sur le net. Il est plus aisé pour une société digital native d’ouvrir des magasins physiques que l’inverse. », estime Stefaan Mouradian. « La transformation numérique n’est-elle pas l’un des plus grands défis posés aux décideurs ? », poursuit le PDG.
Autres clefs participant à la promesse d’un prix plus accessible : le choix des boutiques et les coûts de communication. Baunat privilégie les showrooms dans des appartements stratégiquement situés, rue du Faubourg Saint Honoré à Paris et l’équivalent à Düsseldorf, Genève ou Hong Kong, « bien moins onéreux qu’une implantation Place Vendôme ou Avenue Montaigne », rappelle ce-dernier. « Nos smart buyers, qu’ils aient 25 ans ou 75 ans, apprécient pour certains de venir à notre rencontre, de sortir du virtuel. Un accueil personnalisé dans l’univers physique de notre marque, permet clairement de finaliser l’achat. 70% de nos ventes se font en ligne et 30% dans nos showrooms, sur rendez-vous », ajoute Stefaan Mouradian.
Ces espaces d’échange BtoC contribuent aussi à véhiculer une image glamour autour des pierres précieuses, de l’accueil aux conseils – dispensés en quatre langues selon les implantations – en passant par le suivi du client « le service doit être parfaitement orchestré pour éblouir l’internaute-acheteur ». C’est un enjeu de communication et de « fidélisation », détaille le stratège. Autre secret de la compagnie, le marketing, concept intrinsèquement lié aux marques de luxe, il ne fait l’objet d’aucun budget. Baunat s’évertue à « impacter le moins possible le prix des diamants sur ses acquéreurs». A travers ce positionnement et cette volonté de s’afficher comme une marque « bien identifiée, à la fois moderne et classique », le bijoutier prend le contre-pied de griffes bicentenaires, inaccessibles.
Des appels du pied
D’ici 2020, les projections du marché mondial du luxe pourraient atteindre 280 à 290 milliards d’euros, au rythme d’une croissance annuelle de 3 à 4%, contre environ 259 milliards en 2017, selon le cabinet Bain & Company, spécialisé dans la consommation haut de gamme. Les acteurs de l’industrie du luxe évoquent même un pic dopé par les Millennials et la génération Z, à horizon 2025 : « ces deux groupes représenteront 45% du marché mondial du secteur », annonce Federica Levato, associée et co-auteure de l’étude Bain & Company. Dans cette perspective, les états-majors des marques sont en ordre de bataille, à l’instar de Gucci, locomotive du groupe Kering, qui poursuit sa croissance avec l’explosion de ses ventes en lignes (+100% en 2017) et celles de ses magasins en propre (près de 60%), grâce à l’appétence des Millennials.
« Les marques doivent être obnubilées par le client et penser comme un Millennial », prévient la consultante. Cette annonce, sous forme de mise en garde, rappelle à Baunat son approche visionnaire dix ans plus tôt lorsque Stefaan Mouradian et son associé Steven Boelens, avaient édifié leur stratégie à l’aune de ces deux générations plébiscitées aujourd’hui. Jusque dans le recrutement de ses salariés, la scale-up s’entoure de digital native.
Aujourd’hui, l’homme d’affaires se dit « optimiste en l’avenir », sentiment qu’il partage avec ses employés, actionnaires pour 75% d’entre eux « signe d’un engagement fort et d’une envie commune », dont il se dit fier. Depuis quelques temps, la pépite Baunat est convoitée : « Des grands groupes m’approchent. Je considère leur démarche avec bienveillance, j’interprète leur intérêt comme une reconnaissance de notre concept unique. Toutefois, je prends mon temps. Je consulte, je discute », confie le diamantaire.
Encourt-il le risque de perdre son identité et de voir l’ADN de sa marque dilué dans un grand groupe ? La réponse se veut tout aussi sereine : « Absolument pas ! Notre business model est un mix de tous ces ingrédients, d’où notre croissance à deux chiffres et notre solidité. Mes interlocuteurs l’ont bien compris. En rejoignant un grand groupe, nous pourrons devenir une marque mondiale et pérenne », conclue Stefaan Mouradian dans un large sourire. Le monde appartient aux optimistes, selon l’adage !
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