Auréolé de ses 43 années d’expérience dans l’art horloger, Jean-Claude Biver a cédé la main, jeudi 20 septembre, de la division Montres de LVMH officiellement pour « raisons de santé ». S’il demeure président non-exécutif des trois marques phares du groupe de Bernard Arnault, à savoir Hublot, TAG Heuer et Zenith, une page se tourne néanmoins dans l’univers feutré de l’horlogerie. Retour sur le parcours de cet « orfèvre » du secteur à travers le portrait que nous lui consacrions dans notre premier numéro du mois d’octobre 2017.
Quand j’étais petit, mon jouet préféré était la machine à vapeur. En grandissant chaque enfant se sépare de son jouet pour le remplacer soit par des voitures, des avions etc. Mais moi, mon jouet d’adulte sera une montre ». Si la machine à vapeur et le mécanisme horloger offrent quelques similitudes (tous deux sont dotés de pivots, de roues et d’un moteur), la vocation, ou disons plutôt le sacerdoce, de Jean-Claude Biver a pris corps à l’âge de 26 ans, dans la Vallée de Joux, berceau de l’horlogerie de luxe de son nouveau pays d’adoption, la Suisse au sein de laquelle le jeune Jean-Claude prend ses quartiers à l’âge de dix ans après avoir vu le jour au Luxembourg. Mais les grands débuts du « maître horloger » dans le milieu vont s’opérer en douceur, en 1975 chez Audemars Piguet. « Pendant une année, j’ai eu le privilège d’être formé à l’art horloger au contact des techniciens, des ingénieurs, des chefs de production » se remémore-t-il les yeux brillants. Une époque bénie qui a encore donné davantage de profondeur à sa passion naissante.
Après quelques années à faire ses gammes, le futur virtuose de l’horlogerie s’enhardit et veut déjà conquérir de nouveaux horizons. « Je savais qu’en restant chez Audemars Piguet il allait me falloir une dizaine d’années pour obtenir une promotion », sourit Jean-Claude Biver qui fait alors le grand saut pour rejoindre Omega où il va décrocher le poste de responsable produit. Mais malheureusement, l’atterrissage est douloureux en ce début des années 1980, en pleine crise de l’horlogerie et du quartz qui va notamment conduire au licenciement de 40 000 personnes. « Mais j’ai néanmoins énormément appris de cette période, notamment que j’aimais bien davantage l’art horloger que l’industrie horlogère », développe-t-il. Un tournant pour Jean-Claude Biver, qui va paradoxalement marquer le début de sa véritable carrière puisque, associé à son ami Jacques Piguet, il rachète en 1982 pour 22 000 francs suisses la marque Blancpain… ou du moins ce qu’il en reste, cette dernière étant en sommeil depuis 1959.
Cindy Crawford, Michael Schumacher, Daniel Craig…
«Lorsque nous avons débarqué, il n’y avait plus aucune infrastructure, plus de collections ou même d’ateliers de fabrication, et encore moins de personnel », narre le repreneur de ce navire à la dérive. Mais en dix années, Jean-Claude Biver et ses équipes vont réussir à redonner ses lettres de noblesse à cette marque, avant de la céder au groupe SMH (futur Swatch Group) pour la bagatelle de 60 millions de francs suisses. Une jolie bascule. Jean-Claude Biver fait alors une entrée fracassante au conseil du groupe Swatch où il œuvre à différentes et multiples responsabilités, jusqu’à devenir administrateur délégué chez Omega, qu’il avait quitté par la petite porte dix années auparavant. Sous sa houlette, le groupe va connaître une période résolument faste, puisqu’Omega triplera ses ventes durant son mandat, grâce à une modernisation à marche forcée, à moult partenariats promotionnels avec des personnalités. Michael Schumacher, Cindy Crawford ou encore Pierce Brosnan et son successeur à l’écran Daniel Craig, interprètes de James Bond au cinéma, portent à leur poignet une montre de la marque.
Fort de ce nouveau prodige et désireux d’appliquer les mêmes remèdes à un nouveau « grand blessé de l’horlogerie » après Blancpain, Jean-Claude Biver reprend son bâton de pèlerin en 2004 pour se rendre au chevet de Hublot. La marque, créée en 1980, « n’était certes pas dans le même état que Blancpain mais elle était dirons-nous peu active, sous respiration artificielle », précise le nouveau capitaine du vaisseau Hublot. La première chose à laquelle va s’atteler le nouveau maître des lieux – plus précisément propriétaire minoritaire détenteur de 20% de la société – sera de redonner lisibilité au message de la marque, en revenant aux fondamentaux. « A chaque fois que j’ai le privilège d’être appelé par une marque je cherche à savoir quel est son ADN. » abonde le responsable. La montre Hublot, pionnière dans l’utilisation du caoutchouc pour la création de ses bracelets, est également célèbre pour son « art de la fusion », qui est le véritable message latent de la marque, comme nous le décrit par le menu Jean-Claude Biver.
Big Bang, la révolution de l’horlogerie
« Il n’est a priori pas naturel de mélanger le caoutchouc et l’or, le premier étant secrété par certains végétaux comme l’hévéa quand il faut creuser la terre pour extraire le second ». Ils n’appartiennent pas au même monde et ne se sont « mélangés » de manière naturelle qu’à une seule reprise : lors du fameux Big Bang. Un « phénomène » qui donnera tout naturellement son nom au plus prestigieux des modèles de la marque. « La première pierre de l’édifice Hublot » sourit Jean-Claude Biver, qui porte au poignet depuis 2004 le premier prototype d’une Hublot New Generation. « C’est avec cette montre que j’ai traversé toute l’aventure Hublot », raconte-t-il. Une pièce au design soigné en céramique noir mat, « imperméable » aux rayures malgré les assauts répétés – et volontaires – du couteau à beurre de Jean-Claude Biver désireux de
nous prouver la résistance de cette montre. « Une véritable machine de guerre », sourit le sexagénaire.
Car durant toute l’aventure Hublot, Jean-Claude Biver va continuer à pousser le curseur de l’innovation toujours plus loin à travers des modèles unissant donc l’or, la céramique, le magnésium voire même le titane et plus étonnant encore le bien nommé « hublonium », alliage d’aluminium et de magnésium. Quatre ans après avoir pris les rênes de la marque, Jean- Claude Biver essaie d’en prendre le contrôle mais sera devancé par le mastodonte LVMH qui surenchérira – « leur offre était deux fois supérieure à la mienne » abonde le chef d’entreprise. Mais « l’artiste horloger » rejoindra lui aussi le groupe de Bernard Arnault où il s’occupe, tout d’abord, de TAG Heuer et pose les jalons de l’assaut du marché des montres connectées…après avoir placé deux de ces « apôtres », Ricardo Guadalupe et Jean- Frédéric Dufour respectivement, à la tête de Hublot et de Zenith, les deux autres marques de LVMH, afin de pouvoir s’investir pleinement dans TAG Heuer. « C’est un marché intéressant mais très peu d’horlogers de métier y croient. Les horlogers suisses sont très conservateurs et traditionnels, aux antipodes de l’essence même de la montre connectée. La technologie est appelée à devenir obsolète alors que l’art est appelé à rester éternel…».
L’appel des « montres connectées »
Remisant lui-même ses réticences initiales – et encouragé par Bernard Arnault en personne –, Jean-Claude Biver s’associe aux « meilleurs », c’est-à-dire à ceux qui maîtrisent la technologie, en l’occurrence Google et Intel. « TAG signifie technique avant-garde, alors avec un tel nom difficile de ne pas être pionnier dans son domaine », justifie Jean-Claude Biver. Et d’ajouter : « Zenith, au regard de son glorieux passé et de sa riche histoire ne fera jamais de montre connectée, car ce n’est pas son message ». C’est d’ailleurs au chevet de cette « belle endormie » que le « docteur » Biver a parachevé sa mission, épaulé par Julien Tornare CEO de la marque depuis le 1er mai 2017. Fort de son expertise, Jean-Claude Biver s’est évertué à redresser les ventes de Zenith afin de les inscrire, à terme, dans le sillage de ses deux « grands frères » TAGHeuer et Hublot. Un dernier challenge passionnant juste avant de tirer sa révérence. Aux grands hommes l’horlogerie reconnaissante.
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