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« Fashion Law » : La France, Patrie Du Luxe, N’A Toujours Pas Son Droit De La Mode

©Getty Images

Il s’agit bien d’un paradoxe : la France, patrie du luxe, rayonne dans le monde à travers l’excellence de ses savoir-faire et grâce à la vitalité sans pareil de son écosystème mais elle ne dispose toujours pas d’un cadre législatif en la matière. A l’inverse des Etats-Unis qui disposent d’un « droit de la mode », le sujet « reste encore associé » et confondu » avec « le droit des marques » en France et en Europe, souligne Maître Christine Blaise-Engel. L’avocate Partner Corporate M&A chez Fidal plaide pour un « axe Paris-Milan » en vue de poser les fondations d’une loi dite « Fashion Law ». Décryptage.

Forbes. Que signifie le concept de « Fashion law » ? Concrètement, quelle est sa vocation ?

Maître Christine Blaise-Engel. La Fashion Law est une expertise regroupant plusieurs spécialités qui a pour objectif d’appréhender les challenges du monde de la mode dans les années à venir. Le secteur est en pleine mutation et fait face à de nombreux enjeux juridiques.

En effet, avec la digitalisation, les réseaux classiques de distribution sont remis en cause : les enseignes vont fermer des magasins pour développer davantage la vente en ligne. Ce phénomène soulève autant des problématiques en droit immobilier, qu’en matière de fiscalité concernant les ventes transfrontalières. L’acquisition de nouvelles compétences – de Know How – via les start-up afin de développer de nouveaux services innovants est également un enjeu crucial. Les nouvelles technologies, qu’elles permettent d’anticiper le comportement des consommateurs, d’améliorer la gestion des stocks, ou d’offrir un service sur-mesure au client – en proposant, par exemple, des cabines d’essayage virtuelles fonctionnant à partir de screening – posent également de nombreuses questions en matière de gestion des données personnelles. La liste des défis que le secteur devra relever sur un plan juridique est longue et ne va cesser d’évoluer. Le Fashion Law entend y répondre à travers une approche pluridisciplinaire.

F. La France, patrie du luxe, rayonne dans le monde dans ce domaine. Pour autant, nous ne disposons pas d’un cadre juridique clairement formalisé en matière de droit de la mode et du luxe. Ce sujet reste encore associé et confondu avec le droit des marques, à l’inverse des Etats-Unis qui sont davantage précurseurs en dissociant ces deux questions. N’est-ce pas un paradoxe ?

Me Ch B-E. Effectivement, cette situation est paradoxale car le secteur du luxe est un domaine d’excellence en Europe, tout particulièrement en France et en Italie. Pourtant, le droit de la mode y est seulement appréhendé sous le prisme du droit des marques. On va protéger la marque, principale valeur de l’entreprise. Hors, le concept de Fashion Law développé à l’université de Fordham aux Etats-Unis est beaucoup plus large et inclut d’autres spécialités du droit : droit de la distribution, droit fiscal, droit immobilier, règles éthiques de gouvernance, ou encore le droit social. Ces matières sont stratégiques car elles occupent une place majeure pour réglementer les conditions de travail liées à la fabrication des vêtements en dehors de l’Union européenne, et notamment en Asie.

Le retard pris par l’Europe par rapport aux Etats-Unis n’est cependant pas alarmant.

 

Christine Blaise-Engel, Partner Corporate M&A chez Fidal

 

F. L’immixtion grandissante de l’intelligence artificielle dans le processus créatif et productif pose question selon vous. Si des marques et des produits sont désormais créés par des logiciels : à qui appartiennent-ils ? Au créateur des logiciels, ou au fabricant des vêtements ?

Me Ch B-E. Pour le moment, nous sommes face à un véritable vide juridique. L’intelligence artificielle va bouleverser tous les secteurs, et par la même tous les domaines du droit.  L’un des défis de la révolution numérique va être de combler ce dernier. Aujourd’hui, dès lors qu’il est possible de rattacher la création à une action humaine, y compris lorsque des logiciels sont utilisés, les règles applicables sont claires. Si le créateur est un salarié, par exemple, alors c’est le régime de la création salariée qui va avoir vocation à être mis en œuvre.

En revanche, que ferons-nous lorsque demain des logiciels ou des machines seront capables de créer ex-nihilo des marques et des nouvelles gammes ? Comment se revendiquer propriétaire d’une création particulière si tout un chacun peut l’obtenir seulement en achetant une machine ? Pour faire face à ce nouvel enjeu, le droit va devoir évoluer très rapidement.

F. Vous arguez que la frontière est de plus en plus « floue » entre industrie de luxe et mode grand public. D’illustres créateurs, à l’instar de Karl Lagerfeld ou Kenzo, ont effectivement imaginé des collections capsules pour la marque suédoise mainstream H&M, pour ne citer que cet exemple ; cependant, ce sont bien là deux univers diamétralement opposés. Pourquoi, devrait-on parler aujourd’hui d’une plus grande porosité ? Qu’est-ce que cela signifie en matière de droit de la mode et du luxe ?

Me Ch B-E. Le secteur de la mode a évolué et la frontière entre luxe et fast retail est effectivement devenue beaucoup plus floue. A l’origine, tout opposait l’industrie du luxe et celle de la mode grand public. La première, haut de gamme, se caractérisait par sa créativité et sa qualité, tandis que la stratégie de la seconde était fondée sur les volumes de vente grâce à des prix très abordables.

Désormais, chacune des deux industries s’inspire des codes de l’autre. Ainsi, l’industrie du luxe s’inspire du prêt-à-porter de masse en créant davantage de collections par an, et à l’inverse, la mode grand public s’inspire du luxe en ouvrant des boutiques dans les quartiers les plus prisés. Les collaborations entre grands créateurs et grands groupes de prêt-à-porter témoignent également de la disparition de cette frontière.

Pour la marque de luxe, c’est un moyen d’avoir accès à un marché plus large. Quant à l’enseigne de fast retail, un produit de grande marque lui permet de toucher une clientèle différente, plus haut de gamme. Ce type de collaboration reste très normé et il est davantage question ici de business que de Fashion Law. Lorsqu’un grand couturier collabore avec le fast retail, c’est le contrat de distribution qui va fixer toutes les questions relatives à la fourniture du bien et aux prestations de services en magasins.

F. Quelles sont, enfin, vos préconisations pour faire avancer la France et l’Europe dans ce domaine ?

Me Ch B-E. Il faudrait mettre en place une véritable pratique regroupant toutes les expertises du Fashion Law. De ce point de vue, la création d’un axe Paris-Milan serait tout à fait pertinente. Celui-ci regrouperait à la fois des praticiens et des universitaires afin de construire la réflexion juridique autour de ces nouveaux challenges auxquels vont faire face les sociétés du luxe et du fast retail.

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