Vers un luxe durable dans le monde d’après-crise ? Si l’idée semble utopique voire irréalisable, les innovations et les initiatives des grands noms du secteur fusent et prennent la direction d’un virage écologique et éthique sans précédent. Tour d’horizon de deux concepts que tout semble opposer, unis sous l’impulsion des groupes LVMH et Kering.
En 2019, le marché du luxe a atteint un chiffre d’affaires mondial de 1 300 milliards d’euros. Le coût environnemental et sociétal est massif. D’après la fondation Ellen MacArthur, d’ici 2050, la mode aura consommé un quart du budget carbone mondial. Luxe et mode requièrent une mutation profonde pour pérenniser une production dépendante des ressources naturelles et intégrer les potentialités du développement économique durable. Alors le luxe durable, oxymore ou évidence ?
D’un côté, la qualité des produits que revendiquent les maisons de luxe garantit leur durabilité. Une caractéristique qui devrait les placer à l’abri des critiques pleuvant sur les enseignes de la fast fashion et les industries adeptes du tout-jetable et de l’obsolescence programmée. De l’autre, cette même qualité passe souvent par l’emploi de matières premières rares et chères. Leur extraction peut contribuer à la destruction de l’environnement et de la biodiversité dans les pays émergents.
Luxe et développement durable : une équipe qui gagne ?
Les concepts de “luxe” et de “développement durable” sont souvent considérés comme antagonistes. Si le luxe rime souvent avec excès, individualisme ou jouissance démesurée, le développement durable est lui synonyme d’éthique, d’altruisme et de mesure. Si l’on prend la peine d’aller au-delà des apparences et de revenir à la définition même du luxe, il apparaît que la durabilité et le respect de l’environnement devraient faire partie intégrante de son ADN.
D’abord parce que le luxe accorde beaucoup d’importance à la longévité et à la pérennité de ses produits. Le luxe étant par nature vecteur d’une élégance intemporelle qui échappe aux saisons, à l’éphémère, il conçoit et fabrique des produits de qualité qui accompagnent tout au long d’une vie et portent ainsi en eux une durabilité implicite : consommer mieux et moins. De plus le luxe est fondé sur le respect de la noblesse de la matière et le savoir-faire d’exception, conditions nécessaires à la création d’un objet d’exception chargé de sens, de patrimoine et d’une histoire.
L’industrie du luxe, ne serait-ce que de par sa rentabilité, mais aussi en tant que prescripteur de tendances, a l’obligation particulière d’assumer un rôle de pionnier et de créer les plus respectueux de l’environnement de tous les produits. Le rythme effréné des collections a progressivement rallongé les fashion weeks en fashion year. Pour la fast fashion comme pour le luxe, les innombrables collections se succèdent. En contestation, Gucci, Saint Laurent et Valentino ont renoncé au calendrier officiel.
Il est nécessaire d’établir de nouvelles règles de production face aux stocks accumulés au coût économique et environnemental indéniable. Réduire sa consommation vestimentaire, acheter moins mais mieux renforce la légitimité du luxe. Un choix responsable préférant des produits dont la pertinence et la qualité perdureront.
Une mode intemporelle paraît ainsi compatible avec le développement durable. Les textiles innovants offrent une solution permettant d’assurer la demande globale tout en préservant l’environnement. Les innovations biotechnologiques permettent par exemple de mettre au point de nouvelles fibres durables. La plateforme Fashion Tech Lab a permis à des startups de développer un cuir à partir de mycélium et une soie durable biodégradable, réplique des protéines de soie des araignées. Une initiative qui a notamment séduit la créatrice Stella McCartney.
Le virage écologique : une priorité pour les grandes Maisons
Offrir une seconde vie aux déchets textiles est une nécessité. Alors que pour l’Institut National de l’Économie Circulaire (INEC), 80% des déchets textiles européens échappent actuellement au recyclage. Plus que jamais, la raison d’être du luxe s’affirme pour un monde éco responsable.
L’écosystème récent de marques de luxe durables ultra-désirables prouve que la redéfinition de la mode et du luxe peut s’enraciner dans des valeurs humanistes éthiques.
Mais si le luxe est depuis longtemps lié au développement durable, car en 1992, suite au Sommet de la terre à Rio, LVMH créé une direction de l’Environnement, un nouveau coup d’accélérateur a été mis récemment après les accords de Paris. Un virage s’opère réellement en 2015, lorsque lors de la COP21, les grands industriels sont placés face à l’urgence. Le rapport du GIEC est catégorique : d’ici 2030, il faut limiter la hausse des températures à 1,5 degré car celle-ci laisse déjà augurer une disparition de calottes glaciaires et autres catastrophes.
La course est ainsi lancée pour les acteurs du secteur du luxe. Chanel inaugure son programme « Mission 1 degré 5 » pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans les opérations Chanel de 50 % d’ici à 2030. Le groupe Kering, quant à lui, promet d’atteindre la neutralité carbone en 2050. En septembre 2019, Bernard Arnault annonce une ambition de réduction de 25 % de ses émissions de CO2 dès 2020. La même année, Hermès déclare que 10 % de la rémunération variable de son dirigeant Axel Dumas sera soumise à partir de 2019 à des critères RSE.
Mais au-delà d’une prise de conscience, le luxe cherche à préserver ses ressources. Les matières premières qu’il utilise, comme le cuir, se raréfient. Les réglementations deviennent de plus en plus strictes concernant l’exploitation des ressources naturelles et l’élevage. « Beaucoup de matières premières viennent de la nature et des écosystèmes. Si on veut continuer à pouvoir faire des produits de qualité, il y a un cercle vertueux de business éthique à mettre en place », affirme Marie-Claire Daveu, Directrice du Développement durable et des relations institutionnelles internationales de Kering.
Cap sur l’éthique
C’est un fait, les mœurs changent. Selon une étude BCG (Boston Consulting Group), 64 % des futurs consommateurs du luxe issus la « génération Z » veulent des entreprises engagées. Le secteur doit donc s’y adapter.
Du côté des marques de luxe et de mode, les acheteurs ont une sensibilité plus forte car, alertés par des pratiques contraires à leurs valeurs, ils s’informent de manière plus approfondie et achètent des marques plus responsables et engagés. Conscientes qu’il leur faut remettre en question leur manière de faire du business, les marques s’emparent de ces problématiques et créent des départements RSE comprenant des experts aux compétences plus pointues sur certains sujets comme le climat ou encore la diversité et l’inclusion.
Aujourd’hui, une nouvelle problématique émerge et ajoute de nouvelles contraintes pour les marques. En effet, elles doivent faire face à une nouvelle réglementation stricte et salvatrice : la loi du 10 février 2020 sur l’économie circulaire. Cette loi stipule, entre autres, que la destruction des invendus sera interdite d’ici 2022. Un sacré challenge quand on sait que cette destruction se compte en plusieurs millions d’euros pour certaines marques du secteur du luxe.
Des initiatives green au-devant d’un changement de vision
Peu à peu, l’aspect éthique prend de l’importance aux yeux des clients comme des Maisons du luxe. LVMH a érigé une charte de bonne conduite relative au bien-être animal concernant ses filières d’approvisionnements. « 70 % de nos filières sont certifiées par les standards les plus rigoureux. On opte pour un renforcement sur la traçabilité du produit, à tous les niveaux de la chaîne de production, confirme Hélène Valade, Directrice Développement Environnement chez LVMH.
Le luxe se pare ainsi de programmes complets et ambitieux, qui témoignent d’un désir de transformation structurelle. Plus récemment, le designer Alessandro Michele a lancé « Gucci Off The Grid », ligne employant des matériaux de seconde main. Les créateurs John Galliano chez Maison Margiela, et Virgil Abloh chez Louis Vuitton ont conçu des collections « upcyclées ». Enfin Burberry, qui avait fait scandale en brûlant plus de 30 millions euros d’invendus en 2017, s’est engagée à éliminer cette pratique définitivement et a intégré le programme « Make Fashion circular » élaboré par la Fondation Ellen McArthur.
Le monde du luxe opère un virage éthique et écologique sans précédent, la question de la mode green est désormais sur toutes les lèvres. Initié par le « Anti-fur movement », peu à peu, les marques de luxe délaissent une à une la fourrure animale pour de la fausse telle que Prada, Gucci, Dries Van Notten, Burberry ou encore Giorgio Armani. Les grands noms du luxe s’associent en grand nombre à Fur Free Alliance, l’association militant en faveur de l’arrêt de l’exploitation des animaux pour leur pelage depuis automne 2016. Stella McCartney, instigatrice du luxe activiste, est probablement la créatrice la plus engagée. La pionnière de la mode eco-friendly propose depuis le lancement de sa maison éponyme en 2001, des vestiaires écologiques et durables. Elle n’utilise ni cuir, ni fourrure, ni plumes ou aucun autre tissu animal. Elle a récemment annoncé son union avec l’association Bolt Threads, qui s’engage pour le développement durable des matériaux et qui produit de la soie conçue à partir de levure ou encore une alternative au cuir à partir de champignons.
L’innovation des matières touche tous les secteurs du luxe. Les groupes tels que Kering ou LVMH s’inscrivent dans le mouvement et se dotent de départements « Développement Durable ». Ce n’est que le début d’une longue liste de designers éco-responsables répondant à la demande qui ne cessent de croître de consommateurs de plus en plus exigeants et concernés par la notion d’éthique dans ce milieu.
La biodiversité au cœur des enjeux
Selon une étude de l’IFOP (Institut français d’opinion publique), depuis la crise sanitaire, les consommateurs attendent des marques qu’elles soient engagées pour l’environnement. Parmi les motivations d’achat, 24 % veulent une consommation raisonnée et 25 % sont pour une consommation engagée et respectueuse de l’environnement. Ce changement de paradigme se fait principalement sous l’impulsion des « millenials », ces nouveaux consommateurs très attentifs aux valeurs du développement durable. Face aux attentes environnementales, le luxe, à juste titre considéré comme d’autres secteurs comme un gros émetteur d’émissions de CO2, se réinvente et adopte des gestes éco-responsables. À commencer par LVMH qui, à travers son plan Life 360, vient d’annoncer, qu’à l’horizon 2026, ses Maisons n’utiliseraient plus de plastique vierge dans ses emballages. Cela passe par la case innovation pour le leader mondial aux 75 marques.
Concernant la biodiversité, le groupe de Bernard Arnault s’engage à ce que dans 5 ans, 100% des matières premières stratégiques soient certifiées par des moyens préservant les écosystèmes et les ressources en eau. Sur le climat, le groupe s’engage à réduire de 50% d’ici 2026 ses émissions de carbone liées aux consommations énergétiques, par rapport à 2019, et à fournir ses boutiques et sites à 100% en énergie renouvelable.
Son grand rival Kering n’est toutefois pas en reste, puisque le numéro deux du luxe s’est engagé à compenser intégralement les émissions de gaz à effet de serre générées par l’ensemble de ses activités, y compris sa chaîne d’approvisionnement, via notamment des programmes de protection des forêts. Le groupe affirme qu’il compense désormais toutes les émissions annuelles résiduelles comptabilisées, celles liées à l’extraction de matériaux achetés par l’entreprise, ou au transport des salariés, qui constitue souvent la part la plus importante des émissions d’un groupe.
Boosté par les Accords de Paris en 2015, Kering instaure l’EP & L : un outil qui mesure, tout au long de la chaîne d’approvisionnement, les émissions de CO2, la consommation d’eau, la pollution de l’air et de l’eau, l’utilisation des sols et la production de déchets. Si 2020 aura été l’année de l’accélération du green des géants du luxe, ces derniers sont aujourd’hui encore parmi les principaux pollueurs au monde. Un problème que la filière tente de prendre à bras le corps à travers le « Fashion Pact », coalition mondiale qui réunit 56 entreprises et 250 marques à ce jour, créée au Sommet du G7 de Biarritz à la demande d’Emmanuel Macron et pilotée par François-Henri Pinault. Objectifs : enrayer le réchauffement climatique, restaurer la biodiversité et protéger les océans. Chanel a par exemple renoncé à utiliser la fourrure animale et les peaux exotiques. Multinationales et créateurs indépendants s’unissent également à travers le collectif de philanthropie environnementale 1% pour la planète. Initié par Yvon Chouinard, fondateur de Patagonia, l’association a, depuis 2002, permis de récolter plus de 200 millions d’euros pour la protection des espèces sauvages, la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution. Kering s’est engagé à atteindre un « impact net positif » sur la biodiversité à horizon 2025 en régénérant et en protégeant une superficie six fois supérieure à l’empreinte écologique totale de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement du groupe. Dernier exemple en date, en mars dernier, LVMH a dévoilé ses engagements « biodiversité » et renforcé son partenariat avec l’Unesco en voulant atteindre la « neutralité biodiversité » d’ici à 2030.
Même si le chemin reste long pour l’industrie de la mode, l’une des plus polluantes au monde, les initiatives green auront constitué le fil rouge des années 2020 et 2021 pour bon nombre d’acteurs du luxe. Le secteur a encore un long chemin à parcourir avant de se voir décerner le titre de luxe durable mais de plus en plus d’acteurs s’engagent pour créer le luxe de demain. Une chose est sûre : le luxe sera durable ou ne sera pas.
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