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Dominique Cuvillier : « Le Triomphe Du Luxe Cool »

Journaliste et spécialiste des marques de luxe, Dominique Cuvillier analyse dans Le triomphe du luxe cool, la montée en puissance du paradigme de la décontraction dans le secteur. Entretien. 

Vous dites que le luxe s’est « désennobli » : qu’entendez-vous ? 

La notion de luxe est née dans les milieux aristocratiques au XVIIe siècle. Il n’y avait pas encore de marché, mais déjà une production d’objets, de vêtements réservés à une élite, marqués par sa rareté, son raffinement. Au XXe siècle, la grande consommation a balayé cette exclusivité. Les grandes maisons de mode se sont rendu compte qu’elles pouvaient vendre leurs produits à M. et Mme tout le monde. C’est à cette époque que les marques ont multiplié les licences, ont diversifié leurs lignes, se sont lancées dans la parfumerie, les lunettes, des objets dits « haut de gamme ». 

Vous présentez plutôt le terme « désennobli » comme quelque chose de positif ? 

Oui. Le parfum a par exemple été un produit très important dans la démocratisation, ou plutôt la popularisation du luxe. Les fragrances avaient été pendant longtemps l’apanage des élites. La force des grandes marques de mode a été de transmettre leur histoire, la part de rêve qu’elles inspirent, au plus grand nombre.

Mais évidemment, ça n’a pas eu que des bons côtés. Les productions « mass market » et la prolifération de l’exploitation sous licence a porté préjudice aux marques. Le pire ça a été les Américains. On s’est retrouvé dans les années 70, avec du Ralph Lauren dans les supermarchés, ce qui a rendu très flou le positionnement de la marque. 

Comment les marques de luxe ont-elles réaffirmé leur positionnement ? 

Il y a eu dans les années 80 un mouvement de rationalisation du marketing des marques. Avant, les créateurs ne voulaient pas entendre parler de marketing. Dans un marché d’offre, c’est presque un gros mot. Aujourd’hui, les marques ont une maîtrise absolue de leur image, de leur histoire. Elles se sont aussi réapproprié leur savoir-faire en limitant les licences et en internalisant certaines parties de leur production. 

Vous parlez du triomphe du luxe cool. C’est quoi le luxe cool alors ? 

Le luxe cool, c’est le luxe qui sort des codes, des contraintes habituelles. Il a trait à un phénomène de décontraction du monde. Avant, pour être sérieux, il fallait forcément être en costume-cravate. Je me souviens, quand j’étais journaliste dans les années 80, on m’a refusé l’accès à une conférence de presse chez Maxim’s parce que j’avais mis des jeans avec ma chemise et mon blaser. Aujourd’hui vous n’avez plus besoin d’être guindé pour aller dans un restaurant gastronomique. Exit aussi la nappe blanche et les 24 couverts. Tout est beaucoup plus dépouillé, simple. L’hôtellerie et la restauration ont bien compris ça, mais l’habillement aussi.

L’appropriation des sneakers par les maisons de luxe est un symptôme de ce triomphe…

Totalement. Les sneakers, mais aussi les lunettes de soleil. Ce sont des objets qui ont deux avantages. D’abord, ils sont très ostentatoires. Et ça reste le cœur du luxe : afficher son statut social et sa singularité stylistique. Ensuite, ils ont des prix assez abordables : vous pouvez vous acheter des solaires d’une grande maison pour 300 euros. 

D’où vient la nécessité du luxe d’être plus cool ? 

Tout simplement, les marques se sont adaptées à ce que j’appellerai la « californisation » du monde. Un CEO de start-up de la Silicon Valley n’a pas besoin d’un costume trois pièces pour être crédible. Ce sont des individus qui évoluent dans des lieux où le style dominant, c’est le sportswear. Pourtant, ils désirent aussi acheter du luxe. Les marques du secteur ont compris qu’elles ne sont plus prescriptrices en matière de mode, mais qu’elles doivent s’adapter aux nouvelles tendances. Et je ne parle pas que des millenials que tout le monde s’arrache. Même les seniors se décontractent, mettent des baskets, des sweats à capuche…

Avec le cool, les enjeux éthiques et environnementaux prennent également de plus en plus de place. Comment les marques de luxe s’adaptent ? 

C’est compliqué. D’un côté, elles tiennent des engagements vis-à-vis de l’environnement, etc. De l’autre, se sont des entreprises qui, comme toutes les entreprises, sont dans des logiques de croissance : elles produisent beaucoup et consomment beaucoup de ressources. Et le fondement du luxe, c’est quand même de vendre des produits dont vous n’avez pas besoin, ce ne peut pas être complètement écologique. 

Et surtout, dans le luxe, il y a une dimension de plaisir. Or, avec l’écologie, l’éthique, le bio, on est dans une sorte de dictature imposée, et de logique d’autoflagellation permanente. Il faut accepter que tout n’est pas possiblement écolo. 

Le triomphe du luxe cool, éditions Maxima, 24 euros 

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