Revisiter une institution est une mission qui peut faire ou défaire une réputation. Le jeune tandem d’architectes lyonnais, Margaux Lally et Luc Berger, ajoute un joyau à son palmarès de designers sur qui il faut compter. Sous l’impulsion de leur congénère Charles Jouffre, le duo mène les travaux de rénovation du plus ancien palace parisien (1835), Le Meurice. Réunissant la fine fleur des métiers d’art français, la feuille de route consiste à inscrire l’établissement dans la modernité sans rompre avec l’héritage classique. Un mot d’ordre : demeurer intemporel. Rencontre.
Comment jeter un nouveau regard sur Le Meurice, établissement quasi bicentenaire soumis à de nombreuses contraintes techniques ?
Margaux Lally et Luc Berger : C’est une Grande Dame de l’hôtellerie, un monument patrimonial qui impose une autre mécanique. Nous nous sommes plongés dans les archives historiques où nous avons recherché des anecdotes liées à des personnages notoires y ayant séjourné (Dalí, Picasso, Léon Tolstoï, Edmond Rostand…). Par cette exploration, nous avons davantage compris l’âme de l’adresse. Nous avons également parcouru le style architectural 18è, 19ème siècle afin de reprendre les codes, mais dans l’objectif d’aboutir à un revamping élégant qui puisse durer dans le temps. Il était essentiel de ne pas tomber dans l’ostentatoire pour inscrire l’hôtel dans une empreinte intemporelle.
Nous avons pris le temps d’interroger les clients fidèles, le personnel en vue de comprendre leur perception et de sonder la relation entretenue avec Le Meurice. C’est un projet de rénovations en plusieurs étapes initié en 2016, ce qui nous permet de réfléchir à chaque temps. Ainsi, nous pouvons raconter une histoire différente tout en étant en cohérence. Par exemple, il y a eu la phase des papiers peints dessinés à la main, puis nous avons eu l’idée de créer des personnages récurrents que l’on voit évoluer différemment sur les murs.
Enfin, nous avons pris le parti de ne jamais regarder ce qu’il pouvait se faire ailleurs pour ne pas être influencés, même imperceptiblement.
Hôtel des artistes et des esprits libres, Le Meurice a toujours eu à cœur de promouvoir l’art et l’artisanat. Comment avez-vous retranscrit cette philosophie ?
Allemande d’origine et Française de cœur, la directrice générale Franka Holtmann tenait particulièrement à célébrer les savoir-faire tricolores. Cela nous convenait parfaitement car nous mettons aussi un point d’honneur à valoriser l’école française dans nos ouvrages. Nous avons visité de nombreux ateliers pour aller au contact des artisans. On ne cesse de se nourrir de nos échanges ! Nous les challengeons également en les amenant à sortir de leurs zones de confort. Aujourd’hui, Le Meurice est l’unique palace à abriter des chambres toutes différentes. Aucune clef ne se ressemble ! Un défi rendu possible grâce au travail créatif et minutieux de ces artisans.
L’Hexagone a une histoire forte avec la soierie, les tissus, la passementerie, la marqueterie de marbre, si bien que nous sommes érigés en référence depuis des siècles. Les hôtes qui séjournent au Meurice savent qu’ils trouveront de magnifiques pièces artisanales cousues mains.
Qui sont ces virtuoses que le monde nous envie ?
Nous pouvons citer le travail remarquable de la marqueterie de pierres, un savoir-faire français très rare. L’art de la pierre dure prend vie par l’incrustation d’une multitude de pierres comme la nacre, l’onyx ou encore le jaspe sur une pierre de fond tel que le marbre. Sylvaine Gorgo redonne ses lettres de noblesse à cette peinture de pierres, une peinture éternelle que l’on peut découvrir dans les chambres 324 et 328 du Meurice.
La Passementerie de la maison Declercq est le fruit, quant à elle, de techniques ancestrales : création de galons, franges, jasmins, glands, cartisanes… tisser, broder, remplir, cette maison parisienne créée en 1852 entretient son savoir-faire historique. Chaque pièce est unique et résulte d’une conception, d’un choix de couleurs et d’une méthode de fabrication sélectionnés avec attention pour répondre parfaitement au projet, dont celui du Meurice.
Evoquons par ailleurs la manufacture Prelle, une Maison familiale lyonnaise créée en 1752 qui a su conserver les techniques anciennes en matière de soierie tout en les faisant cohabiter avec plusieurs générations de métiers à tisser, depuis les métiers à bras – seules machines sur lesquelles on peut tisser les précieux velours ciselés, brochés en soie ou brocarts d’or et d’argent – jusqu’aux métiers électroniques les plus modernes. Les rideaux des chambres et suites du Meurice ont été réalisés grâce à ce savoir-faire exceptionnel.
Il y a tant d’autres chefs-d’œuvre dans nos ateliers qui régalent l’œil des esthètes.
Vous avez poussé dans leurs retranchements vos partenaires… Quid des défis qui ont été posés à votre agence ?
Déjà, celui de mener des travaux dans un hôtel toujours ouvert ! Il a fallu redoubler d’ingéniosité pour acheminer les matériaux dans la discrétion, pour ne pas perturber la quiétude des guests. Il nous a été demandé de trouver une solution pour qu’aucun fil ne soit apparent malgré une domotique dernier cri. Sur la suite Belle Etoile, joyau du palace, qui offre une vue à 360° sur Paris et tous les monuments – avec l’impression de résider dans un appartement – nous devions réfléchir à plusieurs solutions techniques. Si un résident confortablement installé dans le séjour souhaitait prendre un bain, il devait avoir le loisir d’activer la baignoire depuis la tablette disposée dans le salon et le temps de gagner la salle de bains, l’eau de la baignoire devait être remplie…
Ou, bien encore, s’il souhaitait louer pour une longue durée la suite Belle Etoile en ne s’entourant que de ses proches et personnel, nous devions imaginer une solution pour ne pas déranger les hôtes en raison du jardin à entretenir sur la terrasse suspendue. Nous avons donc installé des plantes capables de traverser les saisons sans l’intervention quotidienne d’un jardinier-paysagiste.
A nous de savoir relever chaque défi qui se pose au studio.
Comment allez-vous aborder la prochaine et dernière phase des travaux ?
Toujours avec l’objectif de conférer un caractère unique à chaque chambre. Nous continuerons à œuvrer pour que les habitués ne soient jamais décontenancés : ils doivent se sentir chez eux après notre coup de frais. Les espaces concilieront modernité et classicisme avec un côté fleuri rappelant les Tuileries, voisin de chaussée du Meurice. Aujourd’hui, la suite Pompadour réagencée en 2016 n’a pas pris une ride. Voilà, notre boussole. La prochaine phase à rénover se fera du côté
de la rue Castiglione, il est question de nous pencher sur des personnages féminins forts comme la Pompadour. Elle avait notamment une propension à la gourmandise, de fait nous allons axer la décoration autour du pastel afin de rappeler l’univers d’un bonbon. En outre, depuis le début, nous avons dessiné plusieurs pièces de mobilier : deux canapés, des tapis, une méridienne ce qui apporte un cachet aux lieux revisités.
Le Meurice porte en lui un tas de souvenirs et un morceau d’Histoire, en cela c’est un projet magnifique à superviser.
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