L’Italie a toujours cultivé un savoir-faire inné pour le design. C’est une école que s’arrachent les propriétaires nantis en quête de la maison de leur rêve, les belles adresses. Rien ne semble perturber l’hégémonie de l’esthétique transalpine dans ce monde en mouvement. Rencontre avec Gaetano La Vigna, fondateur de GLV Design, un des designers de luxe les plus en vue dans le monde, pour comprendre cette « spécificité italienne » que l’on aime souvent opposer ou rapprocher du style français.
Pourquoi se tourne-t-on toujours vers l’Italie pour chercher les designers les plus pointus ?
Gaetano La Vigna : L’Italie a depuis longtemps la réputation d’être à l’avant-garde du design, notamment dans des domaines comme la mode, le mobilier et le design industriel. Cette réputation est due à plusieurs facteurs. Evoquons, bien sûr, son Histoire. Le pays a un riche héritage en matière d’art et d’artisanat remontant à la Renaissance, qui a jeté les bases de l’excellence du design avec un fort accent sur la qualité et le savoir-faire. L’éducation contribue également à cette excellence car la Botte abrite certaines des écoles et universités de design les plus respectées au monde, lesquelles encouragent les nouveaux talents tout en continuant à soutenir des normes élevées en matière d’enseignement du design. Chez nous, les entreprises familiales séculaires sont souvent transmises de génération en génération.
On peut aussi souligner l’importance culturelle du beau, de l’esthétique. En effet, les Italiens accordent une grande valeur aux produits élégants et bien fabriqués ainsi qu’à l’innovation. Ajoutons à cela, le poids de l’industrie de la mode dont on connaît le rayonnement mondial des grandes Maisons. Tout cela stimule un écosystème, d’où la prévalence du Milan Design Week qui est l’épicentre international dans le domaine du design, de l’architecture d’intérieur, de la décoration…
Enfin, nous ne sommes pas chauvins dans le sens où – bien que passionnés par notre propre héritage – les entreprises et les designers italiens sont également très tournés vers l’international. Ils collaborent avec leurs pairs du monde entier et exportent leurs produits de partout, ce qui les aide à garder une longueur d’avance sur les tendances et préférences mondiales.
Vous-même, comment qualifierez-vous l’École italienne dans ce monde en mouvement et à la cadence toujours plus rapide ?
L’École italienne de design, dans le contexte d’un monde de plus en plus dynamique, peut être décrite comme un mélange de traditions et d’innovations. Elle embrasse la modernité : les designers italiens ne sont pas seulement les gardiens des gloires passées puisqu’ils s’engagent activement dans des techniques de conception, des matériaux et des technologies de pointe. Ils font preuve d’une solide adaptabilité aux nouvelles tendances, notamment les outils de conception numérique, les matériaux respectueux de l’environnement et l’intégration de technologies intelligentes dans les espaces de vie. Enraciné dans l’artisanat, le design italien est profondément ancré dans cette tradition, ne cédant jamais à la pression de la production de masse, les créateurs et les marques italiennes continuent de privilégier la qualité artisanale, valorisant le travail des artisans qualifiés.
Le focus sur le luxe est très prégnant par ailleurs. Même s’il se modernise, le design transalpin conserve souvent une touche de luxe et d’exclusivité. Il y a une utilisation répandue de matériaux haut de gamme et un effort constant pour créer des intérieurs de luxe et avant-gardistes.
Les architectes d’intérieur français ont tout autant la cote à l’étranger. Qu’est-ce qui distingue nos deux pays – réputés très proches – en termes d’approche et d’esthétique ?
Bien qu’ils partagent certaines similitudes, telles que l’accent mis sur la qualité et un mélange d’art et de fonctionnalité, il existe des différences notables. Le design d’intérieur français allie souvent élégance et confort. L’intérieur français consiste à créer un espace à la fois beau et habitable dans un mélange éclectique des styles associant l’antiquité avec des éléments modernes, ce qui créé des lieux intemporels et personnels. Il y a ce chic « effortless » : le style français dégage un air de sophistication sans effort, dans une patine raffinée. Les Français apprécient particulièrement les objets qui racontent une histoire à travers leur âge et leur usure, suggérant un caractère historique habité.
Quant au design d’intérieur italien, sa déclaration s’avère audacieuse, que ce soit à travers des lignes fortes, des formes frappantes ou des contrastes spectaculaires. Comme évoqué plus haut, l’accent est mis sur la qualité artisanale et l’artistique intégrée : le design italien considère souvent les meubles et les accessoires comme des œuvres d’art. Les designers sont connus pour collaborer avec des artistes pour créer des pièces uniques qui sont autant des sculptures que des objets fonctionnels.
En somme, l’approche française se délecte souvent du charme de l’imparfait et de l’historique, tandis que le design italien donne la priorité à la précision, à l’innovation et à l’interaction élégante entre forme et fonction. Les deux écoles ont considérablement influencé le paysage mondial de l’esthétique intérieure. Dans la pratique, la frontière entre les styles peut s’estomper, car les designers des deux pays s’inspirent d’une multitude de sources et collaborent sur des projets internationaux.
« Ecouter, interpréter et exécuter » est votre modus operanti peu importe les projets. Comment répondez-vous aux demandes les plus « irréalistes » sur le papier ?
Face à ce qui semble être une demande « irréaliste » sur le papier, une approche réfléchie et constructive est cruciale. En premier lieu, il convient d’écouter activement en commençant par accorder toute son attention aux besoins et aux désirs du client. Comprendre la motivation et la vision derrière la demande est essentiel. Parfois, ce qui peut paraître irréaliste peut en réalité s’avérer innovant ou révolutionnaire, attendant d’être abordé avec le bon état d’esprit. Ensuite, nous entrons dans la phase de clarification et confirmation. Nous engageons un dialogue avec le client pour s’assurer de sa pleine compréhension de ce qui est demandé. Nous répétons leurs exigences afin de découvrir la profondeur de leur requête.
S’ouvre la phase d’évaluation et de faisabilité (par rapport à des contraintes pratiques telles que le budget, le temps, la technologie et les ressources). Cela permet de déterminer, spécifiquement, ce qui rend la demande irréaliste. Il y a une éducation, un rôle de conseil en vue d’explorer les alternatives dans un élan créatif. L’approche étant d’orienter le projet dans une direction qui maintient l’intégrité de leur vision, tout en étant réalisable. Vient l’élaboration d’un plan par étapes : pour les demandes ambitieuses mais pas totalement hors de portée, nous décomposons le projet en parties gérables pour rendre progressivement réalisable ce qui est « irréaliste ».
Nous recourons à des experts interdisciplinaires, nous innovons et expérimentons en cultivant le dialogue avec le client afin qu’il soit au courant de tout compromis ou de tout changement par rapport au plan initial. Répondre à des demandes « irréalistes » implique donc un mélange d’empathie, d’expertise, de créativité et de communication, garantissant que le client se sente entendu et respecté tout en alignant ses désirs sur ce qui peut être exécuté de manière réalisable.
Dès 2010, vous vous êtes intéressé au marché des pays du Golfe qui a explosé depuis. Le luxe y est très ostentatoire là-bas. Quelles évolutions avez-vous accompagnées dans le domaine du design ?
Depuis 2010, le marché des pays du Golfe manifeste un intérêt marqué pour le design luxueux et ostentatoire, reflétant la prospérité économique de la région et sa propension culturelle à l’opulence. Dans le cadre de cette tendance, dans tous mes projets au sein de la région, j’ai appliqué les éléments suivants : la fusion culturelle, pour commencer. Le design dans le Golfe a évolué pour englober une fusion de l’art et de l’architecture islamiques traditionnels avec des éléments de design contemporains. C’est pourquoi, dans mes projets, j’incorpore des motifs géométriques, de la calligraphie et des détails ornementaux dans des structures modernes.
La durabilité, car malgré le penchant pour le luxe, on constate une tendance croissante vers la durabilité dans le design. Pour cette raison, dans mes projets, j’utilise des matériaux respectueux de l’environnement pour créer des intérieurs durables, même dans le segment luxueux. L’intégration technologique à travers des systèmes d’automatisation et de maisons intelligentes haut de gamme, devenus un incontournable des intérieurs de luxe du Golfe. Ce travail a également été mené dans la conception hôtelière portée par une industrie touristique en plein essor.
J’ai en outre accompagné cette évolution dans les espaces de vente au détail car on connaît la prépondérance des grands centres commerciaux dans ces pays. En tant qu’architecte d’intérieur, j’ai développé des espaces qui non seulement exposent des produits mais créent également une expérience de shopping extravagante. Je peux aussi citer l’intégration de l’art et de la personnalisation : le marché du Golfe a une forte demande de solutions cousues mains reflétant le goût des propriétaires. A la lumière de l’expérience que j’ai acquise, je peux dire que ces développements dans la région démontrent une intersection dynamique du luxe, de la technologie et de la tradition du design, créant ainsi un marché unique pour des solutions intérieures haut de gamme et innovantes.
Vous avez été récompensé en 2023 parmi le top 100 des meilleurs designers au monde par le prestigieux organisme Luxury Lifestyle Awards. A quoi aspirez-vous aujourd’hui ?
Je repousse les limites du design durable vers de nouveaux sommets, en trouvant des moyens sans précédent de fusionner luxe et respect de l’environnement aux fins d’établir de nouvelles normes industrielles. En élargissant l’empreinte mondiale de ma marque, mon objectif est de créer des designs d’intérieur emblématiques qui peuvent être reconnus dans le monde entier et d’influencer les architectes émergents pour qu’ils adoptent une philosophie équilibrant le luxe avec la praticité et la durabilité. J’aspire donc à assumer un rôle de mentor en vue de partager mes connaissances et expériences pour façonner la prochaine génération. Cela pourrait également impliquer la création de contenus pédagogiques.
Il m’importe de travailler sur des projets qui ont un impact culturel profond, de préserver et d’intégrer le patrimoine dans les conceptions modernes, de m’engager dans des projets collaboratifs avec des architectes, des designers de différentes disciplines et des artistes pour créer des espaces révolutionnaires qui incarnent la forme, la fonction et la beauté. De fait, je continuerai à développer une philosophie de design personnelle qui reflète les problèmes actuels, tels que l’impact du design sur la santé mentale, l’intégration du design biophilique et l’évolution des façons dont nous interagissons avec nos espaces en raison des changements globaux. Je veux contribuer à la société par le biais de la philanthropie liée au design, comme la création d’espaces communautaires qui améliorent la vie des moins fortunés ou le lancement de programmes rendant les services de design accessibles aux organisations à but non lucratif.
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