Chez Epicure, restaurant trois étoiles de l’hôtel de luxe le Bristol, dans le 8e arrondissement de Paris, le chef Arnaud Faye vient de prendre la succession de la légende Eric Frechon. Un défi pour Faye. Un éblouissement pour nous.
Il faut rappeler qu’Epicure, philosophe éponyme du restaurant triple étoilé du Bristol, n’aurait guère goûté au luxe clinquant du palace parisien, ni à tout ce qu’il charrie dans l’imaginaire de désirs non naturels et non nécessaires – la gloire, la richesse, l’obsession du pouvoir -, que repoussait vertement le penseur grec. Epicure était ce philosophe de la mesure, de l’ascétisme équilibré, qui voyait le bonheur dans le calme de l’âme et du corps, et qui refoulait les jouissances excentriques, les mettant au rebut de toute forme de sagesse.
Une fois ce rappel exécuté, une fois mises de côté les tapisseries et les dorures, le sage sait, si son calcul est bon, qu’il peut de temps à autre succomber à une jouissance ponctuelle sans pour autant verser dans l’hédonisme vulgaire. On se demande donc, au moment de goûter la cuisine d’Arnaud Faye, nouveau chef de la maison, si Epicure aurait succombé à son restaurant homonyme, et par exemple, à l’une des plus incroyables mayonnaises que notre langue ait connue, accompagnant un tourteau au coulis de salicornes et galette de sarrasin qui a ouvert notre dégustation. On ose se poser encore la question au moment de savourer une langoustine écossaise, cèpes et fenouil, batifolant une dernière fois dans un bouillon crémeux à la pince de langoustine, sorte de jus délirant que les dieux – dont n’a que faire Epicure, faut-il le rappeler – doivent certainement utiliser en rince-doigt.
Ainsi va la cuisine d’Arnaud Faye, de perfections en perfections, de cuissons justes en assaisonnements admirables, des harmonies comme ça, qui vous font oublier les cris du luxe et des voluptés mal renseignées, et qui vous fait entrer dans un univers d’harmonies où s’associent les soupirs des héros et les murmures des hommes. On est heureux de manger ainsi, car on sait qu’en cuisine, même si Faye a l’air détendu, on l’attend au tournant. Faye, doublement étoilé à la Chèvre d’or à Eze près de Nice, a été recruté cet été par le Bristol pour remplacer le mythique Éric Frechon, 25 ans derrière les fourneaux – record de longévité dans un palace -, triple étoilé depuis 2009, MOF – tout comme Faye -, qui avait fait d’Epicure le meilleur restaurant du monde dans plusieurs classements. Faye arrive avec cet objectif officieux : conserver les trois étoiles et imposer sa patte : une cuisine plus contemporaine, plus méditerranéenne aussi sans doute, et davantage marquée par les saisons. Il y en a qui, évidemment compareront Faye à Frechon. Nous ne l’avons pas connu, et nous prendrons ce léger regret comme une forme de bénédiction : ne pas comparer, c’est se donner entièrement.
Cela donne une cuisine qui a éteint rapidement nos atermoiements de philosophes du dimanche, parce que dans nos assiettes, il y avait quelque chose de plus grand que nous. Par exemple cette noix de Saint-Jacques gentiment saisie, accompagnée d’un époustouflant caviar de Sologne maturé, avec émulsion de pommes de terre fumée et gnocchis au cresson dont on n’est toujours pas revenu.
Il y a aussi ce turbot du Finistère et ses carottes de Touraine, son jus d’arêtes et de gingembre, où la carotte éclate, le turbot chavire et la verveine chantonne dans des mélodies acidulées et des gammes de jazz. Viendra ensuite un pigeon de Pornic, agrémenté d’une polenta qui tenait autant du maïs pour le goût que de la crème brulée pour la texture, avec un petit abat présenté comme une confiserie, et un jus de volaille réduit à la cardamome noire – des plats dans lesquels les textures, les parfums, s’affirment tout à la fois fragiles et tenaces, fins et robustes, et se répondent dans des dialogues enlevés, où le goût devient la plus suprême des sagesses, et qui – oublions un peu Epicure -, feraient passer ceux de Platon pour des brèves de comptoir.
On finira ce ravissement par deux desserts signés Yu Tanaka : une glace au miel (récolté dans les ruches situées sur le toit du Bristol – et pollen, assortie de framboise et gingembre – un délire encore une fois. Le dernier mot reviendra à un dessert très très chocolat – ganache et sorbet – qui aurait mérité autre chose, que seulement du cacao en déclinaisons robustes.
Aussi, on manquera de superlatifs pour parler des vins qu’on nous a servis, des liquides si époustouflants qu’on ose douter qu’ils soient fait de raisin. Mentions spéciales pour le Savennières, cuvée « Fidès » d’Eric Morgat, 2016, ou encore le Condrieu « Challiées de l’Enfer » de Georges Vernay (2017).
Et voilà que l’on ressort d’Epicure avec cette impression que c’est bon, on a vu ce qu’il fallait voir, que l’on peut désormais se retirer du monde de l’ostentatoire car on a connu le luxe le plus exquis, celui de la maestria. Il faut aussi se laisser aller au bonheur du service façon palace, grâce auquel les équipes du Bristol vous font passer un moment merveilleux. On en ressort avec cette impression de paix intérieure, cette sensation d’avoir touché du doigt une des plus grandes extases gustative possibles. Ce qui provoque chez nous une forme d’apaisement de l’âme, un grand calme qu’Epicure appelait l’ataraxie. Et très vite, nous le savons, pour le bien de notre corps, il ne faudra pas abuser trop prochainement de ce genre de séquences de volupté.
L’avis de Forbes : inoubliable. L’expérience palace associée à une cuisine démentielle fait d’Epicure une table fabuleuse.
Epicure, 112 rue du Faubourg-Saint-Honoré, Paris
Plats et la carte, et menu en 8 temps à 440 euros ; 6 temps à 340.
NB : Forbes a été invité par Epicure pour tester na nouvelle carte
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