A travers la présentation de 70 œuvres tirées de la collection de la styliste de mode Agnès b au Musée de l’Immigration à Paris se dessine le portrait d’une collectionneuse effrénée, taraudée par la question de l’altérité, du genre, de l’identité.
Une collectionneuse engagée depuis plus de quarante ans auprès des artistes, de valeurs humanistes et de la création par Françoise Spiekermeier.
C’est un geste tendre mais éminemment politique qu’Agnès b considère comme « un manifeste pour la tolérance ».
« Vivre !! » est une exposition où Agnès b s’expose.
Passant outre sa discrétion habituelle, la créatrice qui n’aime pas la publicité, s’est mobilisée afin de passer un message au public dans ces temps troubles où pas un jour ne passe sans que les médias ne relatent le décès de migrants en Méditerranée ou leur expulsion de leurs camps de fortune. La fermeture de la jungle de Calais, l’impossibilité pour les migrants de rejoindre leur famille en Angleterre, les conditions de vie désastreuses, le discours d’exclusion véhiculé par certains politiques, l’air du temps nauséabond a poussé la créatrice à l’action.
« Un collectionneur fait lui même œuvre d’artiste »
C’est avec un enthousiasme non dissimulé que Sam Stourdzé, le directeur des Rencontres d’Arles est devenu le commissaire de cette exposition. Durant une année, il s’est plongé dans la collection, foisonnante, aux œuvres parfois enfouies, accomplissant un voyage initiatique entre photographie, sculptures et installations, au cœur des préoccupations de son architecte.
Il en est sorti un cri, « Vivre !! », devenu un titre et un parcours articulé en sept sections, comme des exclamations. « Vivre ? », C’est travailler ! C’est se révolter ! C’est aimer ! C’est danser ! C’est habiter ! C’est la jeunesse, et puis la mort. Loin de constituer une collection d’art abstrait, Agnès b est fascinée par les œuvres où il est question de l’humain, de l’autre, de la définition de soi et de la question du genre.
« Quand il crée sa collection, explique Sam Stourdzé, un collectionneur fait lui-même œuvre d’artiste. Chez Agnès b, c’est flagrant car elle est elle-même une créatrice. On sent qu’elle a besoin d’être auprès des artistes, qu’elle se nourrit de leur univers, qu’ils soient musiciens, plasticiens, cinéastes. Tout ça a créé au fil du temps une famille et un environnement qui a permis aux artistes de pouvoir créer, d’avoir un peu plus de courage, et à Agnès b je pense, d’avoir un environnement pour s’épanouir, de faire de la mode mais de s’exprimer un peu en marge de ce milieu dans lequel elle ne se reconnaît pas complètement. Elle se sent plus proche des artistes. »
Musée de l’Immigration
Au Musée de l’Immigration, au fond de la salle « Repères », présentant la collection permanente à travers un émouvant parcours relatant l’histoire de l’immigration en France, un paravent blanc dissimule l’accès à l’exposition. Un recoin lumineux, comme un espoir. Première salle : à gauche, le thème de la jeunesse, à droite celui de la mort. Ca commence fort !
D’une suite de photographies, la jeunesse apparaît comme une posture : chercher, douter… les affres de l’adolescence. Première œuvre exposée, symbolique en tous sens : le nageur (Whirlwind) de Ryan McGinley, un jeune photographe américain, déjà star, un skateur tout droit sorti de Kids le film de Larry Clark, exposé pour la première fois en France en solo show à la galerie du Jour (la galerie d’Agnès b) en 2006, et qui résume la démarche de la collectionneuse : ignorer les frontières et les tendances du marché, s’en remettre à son instinct, à son émotion face à l’œuvre, même lorsqu’il s’agit d’un jeune artiste. La sensibilité et l’émotion, seul moteur du choix.
En matière d’art, il faut se sentir libre. Car l’art est cet espace de liberté inaliénable présent au cœur de chacun, l’espace dans lequel la créatrice s’est peut-être exprimé de la manière la plus intime tout au long de sa carrière, en soutenant des artistes, entretenant une relation d’amitié avec nombre d’entre eux ayant retenu son regard. Le thème de la jeunesse se termine par un néon de Claude Lévêque qui écrit d’une main tremblante et avec une ligne un peu tombante : « le réveil de la jeunesse empoisonnée ».
L’œuvre de l’artiste Mona Atoum traite de l’exil
On passe l’arme à gauche: la mort.
Espace restreint placé à droite, on attaque avec un portrait de Marylin Monroe lorsqu’elle était encore Norma Jean qui pourrait même être une allégorie de sa vie : « Marylin shows what death looks like » , réalisé par le photographe de mode André de Dienes en 1950, on ne voit que ses mains prenant sa tête cachée sous une grossière couverture de laine. Un fantôme apeuré, consterné. A côté d’elle, un pantin, une enveloppe, « le déguisement » de l’artiste Pierre Ardouin… et si la mort n’était qu’un costume ?
Au milieu de l’exposition se glissent quelques œuvres relevant de la collection du Musée, illustrant parfaitement la communauté d’esprit entre la styliste et la vocation du lieu. Citons par exemple Bukhara, un tapis de Mona Hatoum, artiste palestinienne dont l’œuvre traite de l’exil, où la carte du monde se retrouve gravée en creux, entrant en résonnance avec une tapisserie sur toile signée Alighiero Boetti, Mappa del Mondo (1984), célèbre pour ses planisphères brodées par des tisserands d’Afghanistan qui semble redessiner le monde par simple apposition du drapeau national pour chaque pays.
Talents émergents et goût pour le décalage
L’amour est traité à travers la photographie, celle de Henri Cartier Bresson choisie pour l’affiche de l’exposition, celle de jeunes photographes dont la présence démontre la profonde curiosité d’Agnès b pour les talents émergents, et son goût pour le décalage, à travers le choix d’une photographie de Weegee surprenant de son flash crépitant la tendresse d’un couple dans la nuit new yorkaise des années 50, loin des scènes de crime qui l’ont rendu célèbre.
La guerre, la révolte, autres sujets privilégiés au sein de l’exposition, non pas à travers la photographie de guerre mais de manière détournée, celle d’un néon de l’artiste originaire de Bosnie-Herzégovine, Damir Radovic : « Who started the war ? » ou encore l’installation d’Annette Messager « Deux clans, deux familles » (1998) questionnant l’identité des déplacés, des migrants, du nomadisme à travers une sorte de cimetière de peluches aux visages recomposés à l’aide d’une photographie, énigmatiques sentinelles d’une enfance volée.
En point d’orgue, résumant l’ensemble, le lieu, l’exposition, la collection, un mot griffonné par l’Abbé Pierre : « Et l’autre ? ».
Photos des œuvres Courtesy Collection Agnès b.
Vivre !! 70 œuvres choisies dans ma collection Agnes b.
Du 18 octobre 2016 au 8 janvier 2017
Palais de la Porte Dorée, 293 avenue Daumesnil 75012 Paris.
Métro Porte Dorée.
du mardi au vendredi de 10h à 17h30.
Le samedi et le dimanche de 10h à 19h
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