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Villa Albertine à Marfa : rencontre avec les Artistes en résidence

Restitution de la promotion 2024 de la Villa Albertine à Marfa, performance de Grégroire Schaller (Crédit: Sarah M. Vasquez)

On ne présente plus la Villa Albertine créée en 2021 par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et avec le soutien du ministère de la Culture. Le programme encadre chaque année les résidences de plusieurs artistes à travers différentes villes des Etats-Unis comme New York, Los Angeles, Chicago ou Atlanta. Dès ses débuts, la Villa s’est également investie au Texas et plus particulièrement à Houston et Marfa. Après une trentaine d’artistes reçus au Texas depuis trois ans et une première résidence collective à Marfa en 2022 sur le thème de l’imaginaire autour de l’exploration spatiale, le programme de la Villa Albertine a choisi cette année cinq artistes et chercheurs pour s’emparer du sujet « habiter le désert ». 

 

Marfa est une petite ville de 2 000 habitants située dans le désert du Chihuahua, désert le plus grand d’Amérique du Nord. Au-delà de son caractère géographique et géologique hors du commun, l’installation de l’artiste américain Donald Judd, dans les années 1970, a donné à la ville un caractère original dans la région. Elle continue encore aujourd’hui d’attirer de nombreux artistes, intellectuels et activistes. Marfa était donc le lieu de rayonnement parfait pour que les résidents découvrent la richesse de ses alentours tant d’un point de vue biologique, géologique qu’humain. 

Las Casas Ranch, property of the Judd Foundation, Presidio County, TX (Crédit: Donald Judd Foundation)

Deux d’entre eux, Josefina Paz, Grégoire Schaller ainsi que Mathieu Potte-Bonneville, chargé de la conception et de l’accompagnement de la résidence à Marfa cette saison, ont accepté de répondre aux questions de Forbes et de partager leurs découvertes et rencontres.

 

Josefina Paz est artiste plasticienne. Son travail explore les conséquences des frontières sur le rapport de l’homme à la terre et au territoire, et sur le rapport des hommes entre eux. 

Grégoire Schaller est un danseur français qui lie chorégraphie et documentaire pour explorer la relation entre le corps humain et des paysages extrêmes, comme les déserts et les volcans. Ses performances interrogent la place de l’homme dans ces univers inhospitaliers.

Mathieu Potte-Bonneville est un philosophe français et expert de Michel Foucault. Ancien président du Collège international de philosophie, il dirige aujourd’hui le département Culture et Création du Centre Pompidou. Initiateur de plusieurs programmes de création pluridisciplinaire, il tente d’offrir à de jeunes artistes et chercheurs des cadres de réflexion mêlant pensée, engagement et création.

 

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Mathieu Potte-Bonneville, vous avez contribué à la conception et à la mise en œuvre du programme de la résidence collective de la Villa Albertine à Marfa cette année. Pouvez-vous nous expliquer le choix du thème pour cette promotion ? 

Mathieu Potte-Bonneville : Dans le cadre de mes fonctions de directeur du département Culture et Création du Centre Pompidou, j’ai décidé de créer il y a quatre ans le cycle mensuel “Planétarium” pour soutenir la création pluridisciplinaire. Le but est de documenter les transformations migratoires, écologiques et géopolitiques de notre monde en croisant des regards artistiques et scientifiques à travers l’étude de lieux remarquables. Le programme nous conduit à nous intéresser à de multiples lieux du monde : une plage en Écosse, une mine à Bitcoin en Chine… Nous avions également accueilli la restitution de la première saison de la résidence de la Villa Albertine dirigée par Frédérique Aït-Touati. Le partenariat s’est progressivement renforcé et cette saison j’ai assuré le commissariat artistique de la résidence à Marfa. J’ai choisi une problématique centrale dans les débats sociologiques et écologiques aujourd’hui, celle de l’habitabilité de la terre. Marfa est le lieu idéal pour explorer ces questions et rendre compte de cette lutte grâce aux regards sensibles et artistiques de nos résidents et à l’utilisation d’un large éventail de média et d’un dialogue entre les disciplines. 

Portrait de Mathieu Potte-Bonneville

 

Josefina Paz et Grégoire Schaller, comment avez-vous découvert le programme de résidence à Marfa de la Villa Albertine et qu’est-ce qui a motivé votre candidature ?

Josefina Paz : J’ai découvert l’existence de cette résidence collective à Marfa grâce à la restitution de la première édition au Centre Pompidou dans le cadre du Cycle Planétarium, que je suivais depuis un moment.  C’est la situation géographique de Marfa, proche de la frontière sud ouest des Etats-Unis et dans un désert, ainsi que la thématique de cette édition, qui ont motivé ma candidature. Je souhaitais poursuivre mes réflexions dans un collectif croisant perspectives artistiques et scientifiques.

Grégoire Schaller : J’ai déjà réalisé des performances dans des cratères volcaniques notamment à Nisyros en Grèce, et découvrir que le désert de Chihuahua abrite lui-même un ancien volcan a été un signe pour poursuivre cette exploration. Dans ces paysages extrêmes, le corps se trouve confronté à ses propres limites. À Marfa, j’ai souhaité inscrire mon travail dans ce territoire unique, rencontrer ceux qui y vivent et explorer avec eux la manière dont le corps et l’âme s’adaptent à l’immensité désertique.

Quel sens a pour vous « habiter le désert », thème de la résidence de cette année à Marfa ?

Josefina Paz : Dans cette région il n’y a pas un long mur entre les deux pays mais une frontière géomorphologique, le Rio Grande, qui divise deux pays mais aussi le désert du Chihuahua. J’ai découvert une partie du fleuve à sec. On se rend rapidement compte que bien que la frontière ne soit pas matérialisée de manière continue, par la présence d’un long mur comme dans d’autres États américains, différents dispositifs de défense et de sécurité sont mis en place pour la contrôler. La frontière devient une sorte de pointillé et est aussi délocalisée. La typologie et topologie de cette frontière, plus une étendue et un relief qu’une ligne, ont une incidence sur les corps qui habitent et traversent la région. Habiter le désert m’envoie à la résilience des corps et ses déplacements. 

Grégoire Schaller : Je m’intéresse depuis plusieurs années à l’articulation du corps et du paysage mais aussi plus récemment je recherche les limites de mon corps avec plusieurs performances chorégraphiques sur des musiques répétitives ou accroché avec la tête en bas. Le désert était pour moi un moyen de faire converger ces deux axes de réflexion. Je souhaite aussi montrer que l’aridité et l’économie de moyens lié à cet environnement extrême suscite créativité mais aussi solidarité. Au fur et à mesure de la résidence, j’ai découvert un lien inattendu entre désert et spiritualité. C’est un terrain qui incite à l’introspection, au retour sur soi, de par son infini horizon qui procure une nouvelle forme de vertige. J’ai pu notamment corroborer ce ressenti lors de mes entretiens avec des figures locales dont des révérends et prêtres de Marfa. 

Comment avez-vous construit le programme de la résidence ?

Mathieu Potte-Bonneville : Nous avons essayé d’explorer différents types d’enjeux lors de cette résidence tout en multipliant les échanges avec les habitants de Marfa, qui accueillent notre réflexion avec une grande ouverture. Tout d’abord, on peut mentionner la question environnementale. Le désert du Chihuahua est une réserve de biodiversité incroyable aujourd’hui mise à l’épreuve. La deuxième question portait sur la gestion des ressources et notamment de l’extraction minière et pétrolière au nord de Marfa. Enfin, nous avons abordé la dimension artistique de la ville avec l’installation de Donald Judd qui donne une profondeur historique à notre approche. On mesure combien le choix effectué par Judd est un geste complexe : d’un côté, il s’inscrit dans la mythologie américaine de la nouvelle frontière en dramatisant l’affrontement de l’homme face à un espace immense et inhabitable ; mais il s’en détache également en formulant une nouvelle approche de l’habitation avec un soin porté à la préservation du vivant et du territoire, dont témoigne aujourd’hui la vigilance écologique dont fait preuve la fondation Judd. 

Quelles ont été vos interactions avec les autres résidents ?

Josefina Paz : Nous avons organisé des moments d’échanges informels hebdomadaires pour discuter de nos différents projets et partager nos questionnements ainsi que nos différentes approches disciplinaires. Ces échanges ont été très importants pour nourrir ma propre réflexion et prendre du recul sur nos visites et rencontres.

Grégoire Schaller : Je suis d’accord avec Josefina, cet échange est très important d’autant plus que l’on savait que l’on devait faire une restitution collective à l’issue de ce mois de résidence. Notre objectif n’était pas de présenter de manière successive nos travaux mais de les entremêler. Ces interactions ont été essentielles, non seulement pour partager nos points de vue mais plus pratiquement pour échanger des conseils pratiques sur les outils et média de prédilection de chacun : relecture de texte, montage vidéographique, cartographie… 

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de cette résidence ?

Gregoire Schaller : J’ai été marqué par les rencontres que nous avons faites et plus précisément par le processus d’enquête que nous avons dessiné. Au fur et à mesure des semaines, les projets ont commencé à prendre forme, mais il reste encore tant de matière à explorer. Je compte poursuivre cette recherche et creuser davantage ces matériaux d’entretiens dès mon retour. La première restitution est le fruit d’un travail brut et s’accompagne de petites maladresses. Le projet a encore besoin d’être mûri et je sais que je pourrais rectifier la justesse du message et la composition dans les prochains mois.

Josefina Paz : La résidence a été une expérience riche qui va continuer de nourrir mes questionnements et préoccupations. Lors de la restitution finale, j’ai pu montrer une première étape de mon projet artistique qui allie objets, son et poésie. La prochaine étape, une fois de retour, inclura une partie d’écriture, mais pour cela je dois faire décanter ce mois de rencontres et de réflexions.

Josefina Paz lors de la restitution collective de la résidence 2024 à Marfa (Crédit: Sarah M. Vasquez)

 

Mathieu Potte-Bonneville : J’ai beaucoup apprécié la confiance que les artistes nous ont accordée tout au long du programme et je suis heureux que les projets de chacun aient été modifiés par cette expérience. J’ai eu le privilège de pouvoir assister à cet atelier collectif et observer ce processus créatif. Cette résidence a conforté l’idée que l’art et la création sont des outils puissants pour cartographier notre présent et qu’on ne peut distinguer questions conceptuelles et sensibles. 

 

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Actualités des artistes:

Josefina Paz (Crédit: Josefina Paz 2024)

68ème Salon de Montrouge du 7 au 23 février

Portrait de Grégoire Schaller (Crédit Photo: Pierrick Rocher)

Août 2025 – Future résidence à la villa Kujoyama à Kyoto en compagnie de l’artiste plasticien Darius Dolatyari-Dolatdoust

 

Centre Pompidou: Forum Biodiversité – Quelle culture pour quel futur? Du 20 au 24 novembre 

 

Pour en savoir plus sur les institutions de Marfa et de la région:

 

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