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Tests de personnalité : Science ou non-sens ?

personnalité

Alors que l’évaluation de la personnalité prend une place de plus en plus importante dans les processus de recrutement et autres décisions RH, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer ses limites, voire sa dangerosité.

 

Il n’est ainsi pas rare d’entendre que les inventaires de personnalité contribuent davantage à mettre des gens dans des cases, plutôt qu’à réellement aider à comprendre la complexité des comportements humains. Ou qu’ils seraient une aberration dans un monde qui réclame plus d’authenticité dans l’intérêt porté aux candidats et aux collaborateurs.

Si ces attaques ont le mérite de poser de bonnes questions, elles amènent malheureusement des réponses encore plus dangereuses que ce qu’elles cherchent à dénoncer. En effet, les critiques qui émergent sont surtout nourries de raccourcis issus d’une méconnaissance du sujet et, il faut l’avouer, de certains tests très populaires qui ne reposent sur aucun fondement scientifique. Ainsi, même s’il est avisé de mettre en garde face à l’utilisation naïve des derniers cités, nul ne devrait se forger une opinion sur cette base unique, ni mettre tous les questionnaires dans le même panier.

 

Du non-sens…

Parmi les inventaires qui relèvent de l’absurde, le MBTI (Myers-Briggs Type Indicator) occupe une place de choix. En effet, alors qu’il serait utilisé par plus de deux millions de professionnels chaque année, les recherches démontrent que, si l’outil séduit par son apparente intuitivité, ses qualités psychométriques ne soutiennent pas son utilité dans les décisions organisationnelles : il permet ainsi de créer une illusion de savoir quant à la personnalité des personnes, mais ne servirait, in fine, à rien d’autre qu’animer un sujet de discussion entre collègues. Qui plus est, en repassant le test une seconde fois quelque temps plus tard, 50% des personnes obtiendraient un résultat différent. Ce non-sens ici attribué au MBTI (au-delà de ses incohérences de conception) est toutefois inhérent à la plupart des tests de personnalité typologiques – basés sur la théorie des types psychologiques. Ce courant de pensée, initié par la typologie Jungienne (du nom de son auteur, le psychiatre Suisse Carl Gustav Jung) postule que des types opposent de manière qualitative les différences individuelles : par exemple les types extravertis (E) et introverti (I). Malheureusement, les mises en garde de l’auteur lui-même quant à la récupération mal comprise de ses travaux, ou leur surgénéralisation abusive, n’ont pas freiné les faims commerciales de certains éditeurs.

L’erreur de ce type d’outil réside ainsi, pour partie, dans le fait qu’ils considèrent la personnalité comme une variable qualitative, plutôt que quantitative : en ce sens, comme peuvent l’affirmer, à raison, certains détracteurs, les tests typologiques ont effectivement tendance à mettre les gens dans des cases. Bon nombre de recherches démontrent pourtant que la personnalité devrait se considérer de manière quantitative et continue : un individu peut se situer à n’importe quel point du continuum (e.g. score de 1 à 10), et sa position détermine comment il agira dans divers contextes.

Pour mieux cerner les limites des tests typologiques et du MBTI en particulier, prenez l’exemple de la taille – une variable quantitative, qui se définit selon un continuum de référence en centimètres. Imaginez maintenant si la taille se mesurait selon un modèle qualitatif à deux dimensions : soit une personne est grande, soit elle est petite. Au-delà de l’absurdité même engendrée par ce genre de mesure, sa compréhension s’avère relativement pauvre et simpliste : un individu à la limite des deux catégories pourrait (1) devenir grand – ou petit, en gagnant – ou perdant, un seul centimètre, (2) et ne serait pas considéré comme plus grand – ou plus petit, qu’un autre individu à l’un ou l’autre des extrêmes des deux catégories. Pire, comme déjà mentionné précédemment, 50% des personnes seraient classées dans la catégorie opposée en se remesurant quelque temps après…

 

…à la Science

Quand on aborde le sujet des tests de personnalité, il est ainsi primordial de préciser de quoi l’on parle de manière plus précise : de tests typologiques et superficiels (comme le MBTI), ou de tests factoriels basés sur une conception quantitative et continue, où la personnalité est considérée au travers de différents traits de personnalité ? Cette dernière approche se révèle davantage rigoureuse, et scientifiquement et empiriquement soutenue. Elle repose notamment sur un modèle qui a démontré une validité solide depuis plus de 30 ans : les Big Five (aussi nommé Five-Factor Model ou modèle OCEAN). Si ce modèle a longtemps été réservé à un public averti ou aux experts, son utilisation tend – fort heureusement, à se démocratiser dans les activités et les décisions RH.

Selon le modèle des Big Five, la personnalité est organisée en 5 grands domaines indépendants : l’extraversion, l’agréabilité ou l’ouverture aux autres, l’ouverture à l’expérience, la conscienciosité ou rigueur dans le travail, et la stabilité émotionnelle. De nombreuses recherches démontrent aujourd’hui que ces domaines prédisent avec consistance de nombreux éléments liés au travail. Par exemple : (1) l’extraversion est positivement corrélée à l’efficacité des leaders, (2) l’agréabilité permet de faire émerger des comportements de citoyenneté organisationnelle en entreprise, (3) l’ouverture à l’expérience d’accroître l’innovation, et de plus facilement s’adapter dans un monde en constante évolution, (4) la conscienciosité s’avère un prédicteur universel de la performance, quel que soit le poste, (5) la stabilité émotionnelle permet d’être moins sujet à des épisodes de burnout.

Aussi, les liens entre les Big Five et la réussite au travail s’avèrent encore plus clairs quand ils sont envisagés dans un contexte donné. Timothy Judge et Cindy Zapata, de l’Université de Notre-Dame, montrent ainsi, en s’appuyant sur la théorie de l’activation des traits, que : (1) la conscienciosité et l’ouverture à l’expérience sont davantage corrélées à la performance pour les métiers qui requièrent de l’autonomie, (2) la stabilité émotionnelle, l’agréabilité et l’extraversion prédisent plus la performance à des postes qui nécessitent de fortes compétences sociales, (3) l’agréabilité est négativement corrélée à la performance, et l’extraversion positivement, dans les environnements compétitifs, (4) l’ouverture à l’expérience est plus explicative de la performance lorsqu’il existe un fort besoin d’innovation, (5) l’extraversion, l’agréabilité et la stabilité émotionnelle sont plus liées à la réussite en poste dans les emplois qui impliquent de travailler avec des individus mécontents.

Quand ils sont bien construits, les tests de personnalité apportent ainsi une forte plus-value aux décisionnaires RH. En réduisant les nombreux biais inhérents à la cognition humaine et à l’intuition, ils permettent notamment de recruter la bonne personne au bon poste, de faire évoluer les collaborateurs avec le plus de potentiel, de réduire le turnover, ou encore de prendre des décisions plus équitables. Bien sûr, la personnalité, même si elle est mesurée de façon fiable et valide, ne peut tout expliquer : il est dès lors indispensable de la coupler à une mesure des capacités de raisonnement, qui permettent, elles, d’anticiper jusqu’à 42% de la performance future d’un individu. 

 

Finalement, la question n’est donc plus vraiment de savoir s’il est pertinent d’évaluer la personnalité, mais plutôt comment le faire. Avant de se faire un avis sur l’utilité des tests de personnalité, chacun devrait alors avoir l’humilité de challenger ses propres préconceptions naïves, et questionner les avis de nombreux pseudo-experts peu informés, qui, soit portent un jugement hâtif et négatif en catégorisant à tort l’ensemble des outils suite à une mauvaise expérience, soit continuent d’utiliser et de promouvoir des tests mal construits et qui sont d’une inutilité abyssale.

 

Emeric Kubiak – Head of Science @AssessFirst

 

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