Référence de la sculpture animalière moderne, Michel Bassompierre suit les pas de François Pompon dont il a fêté, en 2022, les 100 ans du célèbre ours blanc lors d’une exposition à Saulieu. Pour France 3, il a déclaré :
« Pour travailler, j’ai besoin d’être seul dans mon atelier. Je suis tout seul avec mes rêves, avec mon arche de Noé. Il y a un roman qui dit que les oiseaux se cachent pour mourir, moi je dis que les ours se cachent pour vivre. »
Artiste reconnu, il expose régulièrement ses œuvres partout en France et à l’international. Ses ours, gorilles ou pandas se reconnaissent au premier coup d’œil et la lumière sublime ses réalisations. Ses mains transforment le bronze en or. Capable de dessiner et modeler rondement, il est collectionné internationalement et représenté dans de multiples galeries.
Pour comprendre la sculpture, il faut 50 ans
Vos œuvres se déclinent en jeux, miels, dos, fratries, poursuites, chasses, dominants, bains, voluptés, effluves, parfums ou rencontres et, comme un musicien, vous semblez décliner vos gammes pour sans cesse progresser. Quelle est l’origine de ces séries ?
Depuis plus de 50 ans que je sculpte, j’ai réalisé des centaines de pièces. J’aime représenter l’animal dans toutes ses attitudes, qu’il soit en train de jouer, de chasser, de se nourrir, de se reposer. L’ours en particulier a une infinité de positions, que je ne me lasse jamais de matérialiser.
Au 19ème siècle, quand on représentait les animaux, il y avait souvent le côté conflictuel entre eux. Il n’y avait pas besoin de titre explicatif parce qu’on voyait qu’une action se passait, comme par exemple un fauve en train d’attaquer une antilope. Quand j’ai fait les Beaux-Arts, à la fin des années 1960, cette mode était bannie. Il fallait faire l’animal seul, ne pas y ajouter un deuxième sujet. Ca m’a marqué et c’est ce que je continue à faire. Et donc plutôt que d’avoir une position animale anecdotique, je préfère qu’il n’y ait que le titre qui soit anecdotique.
Ours, gorilles, pandas, tigres. Pourquoi cette spécialisation dans le monde animalier ? Comment choisissez-vous d’ajouter un nouvel animal à votre œuvre ?
Je me suis orienté vers les animaux pour la variété et la richesse des formes. Réaliser des bustes m’aurait peut-être intéressé, mais ces sujets offrent peu de liberté, je ne me serais pas amusé.
Je choisis toujours des animaux aux formes rondes. Ce qui m’attire c’est la richesse de l’anatomie et les possibilités de poses qu’offrent ces sujets en sculpture. Dans les sculptures d’ours et de gorilles, je peux apporter à la fois la forme et l’esprit de l’animal. C’est moins le cas avec le cheval ou l’éléphant d’Asie, dont le mouvement de la tête est limité par exemple et dont les expressions sont moins marquées. Au fil des années, j’ajoute de nouveaux animaux à mon arche lorsqu’une nouvelle forme me parle, m’intéresse ou m’intrigue. Je me penche alors sur le sujet…
Combien de temps d’observation cela vous prend-il pour analyser un animal ?
Pour analyser mon sujet, il me faut un mois ou deux. Mais pour le maîtriser complètement, il faut une dizaine d’années. Et pour comprendre la sculpture, il faut 50 ans.
Je me suis orienté vers les animaux pour la variété et la richesse des formes.
Les 5 sens sont en éveil en contemplant vos œuvres. Essayez-vous de donner vie à vos réalisations ?
J’ai eu trois périodes durant mes 50 années de carrière. Dans la première, j’ai d’abord cherché à représenter l’animal. Au fur et à mesure, quand j’ai commencé à maîtriser la forme et l’anatomie, j’ai tenté de représenter l’esprit de l’animal. Mais aujourd’hui, j’oublie presque l’animal pour me concentrer sur la sculpture. C’est davantage la forme que l’animal lui-même qui m’intéresse. Il est presque devenu un prétexte à des formes sculpturales. Je me concentre avant tout sur les volumes.
J’ai coutume de dire que nous sommes quatre dans ma tête : l’animalier (qui observe et comprend son sujet et ses comportements), l’anatomiste (qui saisit la structure des corps), le dessinateur (qui maitrise la ligne restituant le mouvement) et le sculpteur (qui retranscrit en volume). Mais à la fin, c’est toujours le sculpteur qui décide !
Vos formes, tout en rondeurs, sont un défi aux reflets et à la simplicité. Sur votre site, vous dites que « jamais la lumière ne vient heurter l’ombre ». Comment arrivez-vous à ce résultat ?
C’est peut-être en maîtrisant le dessin, qui doit être précis, surtout si l’animal est rond. Sinon, cette forme ronde devient molle. Je m’arrange pour que les formes restent fluides. Il n’y a plus d’angle, ils sont tous arrondis, en respectant l’anatomie de l’animal. D’ailleurs, tout est en courbe chez les animaux.
Comment vos dessins préparatoires s’intègrent-ils dans votre processus créatif ?
J’ai commencé par observer l’animal dans des zoos ou des cirques, et maintenant, des vidéos, me permettent de voir l’animal évoluer dans son biotope. Dans les musées, j’étudie ensuite le squelette, qui permet de comprendre la démarche et le comportement de l’animal, et surtout d’éviter les fautes anatomiques. Je réalise ensuite des croquis de l’animal. Je le dessine alors comme s’il était transparent : je représente les attaches des membres cachés, pour être sûr que ça soit cohérent dans la partie qu’on voit. Je me sers ensuite de ces croquis pour faire une maquette en argile, que j’agrandis ensuite, toujours dans le même matériau. J’en fait ensuite un tirage en plâtre, qui permet d’avoir une finition totalement lisse et d’obtenir des courbes parfaites.
Dans les musées, j’étudie ensuite le squelette, qui permet de comprendre la démarche et le comportement de l’animal, et surtout d’éviter les fautes anatomiques
Le bronze, le marbre ou la résine. Comment sélectionnez-vous les matériaux qui donnent corps à vos réalisations ?
Je travaille avec des matériaux nobles et pérennes, qui durent dans le temps et peuvent se transmettre de génération en génération.
Mes œuvres monumentales sont en bronze lorsqu’elles sont présentées de façon pérenne. Mais elles sont généralement en résine, car plus légères et plus faciles à transporter dans le cadre de mes expositions temporaires de plein air aux quatre coins de la France et à l’étranger.
Votre atelier doit regorger de souvenirs et d’essais. Exposez-vous ces travaux ?
Au fil du temps, mon atelier s’agrandit parce que l’arche ne cesse d’accueillir de nouveaux animaux. J’ai un projet de musée qui devrait voir le jour prochainement. Le public pourra ainsi découvrir quelques-unes de mes œuvres originales en plâtre ou en terre cuite. Je pourrai aussi y présenter mon processus créatif, en reconstituant une partie de l’atelier.
Pour vos bronzes, vous travaillez avec de nombreuses fonderies d’art. Comment se font ces choix ? Qu’est-ce qui les distingue des autres fondeurs ?
Je travaille avec six fonderies en France, une en Italie et une en Belgique. Le lissé tendu, propre à mes sculptures très rondes, demande une technicité que toutes les fonderies ne maîtrisent pas. Et même dans les équipes de celles avec qui je travaille, seules quelques personnes sont capables de réaliser mes pièces. Il existe plusieurs fonderies d’art de grande qualité en France et en Europe, avec des praticiens hautement qualifiés, qui maîtrisent des savoir ancestraux, qu’il est important de mettre en avant et de conserver.
Seules quelques personnes sont capables de réaliser mes pièces
Sur votre site, vous expliquez les différentes techniques de fonte au sable et à la cire perdue. L’explication et la transmission de votre savoir sont-elles importantes pour vous ?
Toute ma vie j’ai aimé transmettre. Je trouve qu’il est intéressant de permettre aux personnes qui découvrent mes bronzes d’imaginer la complexité, la technicité et la durée du processus de création. Derrière le créateur, il faut une équipe de métiers très spécialisés pour parvenir à réaliser un bronze. Le travail doit se faire en toute confiance entre celui qui va créer l’œuvre et celui qui va permettre de la matérialiser de façon pérenne.
A Saulieu, vous avez montré l’héritage qui vous lie à François Pompon pour les 100 ans de son ours blanc. Est-ce important pour vous de vous inscrire dans une suite de sculpteurs animaliers ?
François POMPON et Rosa BONHEUR sont des artistes pour lesquels j’ai beaucoup d’estime, car l’art animalier a longtemps été considéré comme un art secondaire, un sous-art. Les Beaux-Arts formaient à l’être humain. Pour apprendre les animaux, il fallait faire les Arts Déco. Rosa BONHEUR et François POMPON ont contribué à anoblir l’Art animalier.
Quand je suis entré aux Beaux-Arts en 1967, cette ségrégation était terminée. Je me suis pour ma part retrouvé à faire de l’Art Animalier à une époque où l’on basculait dans l’Art Contemporain. En sortant de l’école, je me suis senti incompris, mais j’ai continué à suivre les conseils de mes professeurs, de rester toujours sincère avec moi-même et de ne pas céder aux modes ou aux injonctions. J’en ai fait ma ligne de conduite, et j’ai toujours fait ce qui semblait beau à mes yeux et à mon esprit, sans chercher à plaire.
Avec Baccarat, en réalisant un tigre, vous jouez sur les transparences. Ce type de collaboration prestigieuse est-il important pour vous ?
Oui, ça me parait important dans la vie d’un artiste de travailler avec une maison aussi prestigieuse. J’ai eu l’occasion d’aller visiter la manufacture récemment. J’y ai rencontré des techniciens très hautement qualifiés, qui font un travail remarquable.
La technique de fonte du cristal est un peu similaire à la coulée du bronze, mais porte son lot de contraintes, qui constituent pour moi un nouveau challenge.
En sortant de l’école, je me suis senti incompris, mais j’ai continué à suivre les conseils de mes professeurs, de rester toujours sincère avec moi-même et de ne pas céder aux modes ou aux injonctions
Avec le Zoo de Beauval, un nouveau défi vous attend avec les pandas. Comment est née cette collaboration ?
Je travaille depuis quelques mois maintenant sur le panda, dans le cadre d’une prochaine collaboration avec Baccarat. Des photos du modelage ont été publiées sur les réseaux sociaux, et la directrice du Zoo de Beauval, Delphine DELORD, a découvert mon travail et s’y est tout de suite intéressé. Elle m’a alors invité à venir à la rencontre des pandas. J’ai eu la chance incroyable de m’approcher d’eux pour pouvoir les dessiner, et mieux comprendre la forme de leur crâne, très différente de celle de l’ours que j’ai l’habitude de représenter. Au printemps 2024, ma sculpture géante de panda sera dévoilée à l’entrée du Zoo.
Vos réalisations se transforment en objets d’art et de collection. Quelle importance donnez-vous au fait d’être présent en galeries ? Comment choisissez-vous les galeries qui vous exposent ?
Le choix des galeries s’est fait un peu au hasard des sollicitations et des rencontres. Une grande confiance doit exister entre l’artiste et le galeriste car les contrats ne font pas tout. Je choisis mes galeries avec mon équipe en fonction de leur notoriété et de leur positionnement géographique. La présentation de mes sculptures dans 25 galeries à travers 7 pays et ce de de façon permanente, est très importante pour moi. Je ne suis bon qu’à être artiste et de mon point de vue, seules les galeries sont capables de vendre mes sculptures.
Chaque œuvre vendue me permet d’en produire de nouvelles, d’agrandir mon atelier ou d’étoffer l’équipe qui m’entoure chaque jour.
Il est aussi important de préciser que c’est gratifiant de savoir que ce que mon sens du beau peut être partagé très largement. Enfin, les galeries me permettent aussi de plus en plus d’exposer dans l’espace public. En nouant des partenariats avec des villes, elles mettent l’Art dans la rue. Il devient alors accessible à tous, même à ceux qui n’osent pas pousser les portes des galeries. Je trouve ça très intéressant comme démarche.
Vous arrive-t-il également d’aller à la rencontre des personnes qui collectionnent vos œuvres ?
Il m’arrive de rencontrer les collectionneurs lors des vernissages dans les galeries, mais aussi de plus en plus lors de mes grandes expositions dans l’espace public. J’y lie toujours alors une conférence, où j’invite des scientifiques ou des Fondations, comme le WWF ou la Fondation Good Planet de Yann ARTHUS-BERTRAND, à venir parler de la nature et des animaux. Ils le font mieux que moi, qui ne sait m’exprimer que par mes sculptures. Pendant ces moments, je réalise une sculpture en direct, et nous avons ensuite un temps d’échange toujours très intéressant avec le public.
Il est aussi important de préciser que c’est gratifiant de savoir que ce que mon sens du beau peut être partagé très largement
Certaines de vos œuvres se vendent plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’euros,. N’est-ce pas vertigineux ?
Effectivement, les sommes évoquées sont très élevées mais il faut savoir que pour réaliser une sculpture, il me faut entre un et trois mois de travail à l’atelier avec mon équipe. Puis entre un et six mois de travail en fonderie pour plusieurs personnes. Et enfin, il faut payer les loyers des galeries et les salaires des vendeurs. Chacune de mes sculptures permet ainsi de rémunérer près d’une dizaine de personnes tout au long de la chaine.
Je suis même fier de savoir que mon travail fait vivre de nombreuses familles et permet de conserver sur notre territoire national des savoir-faire ancestraux qu’il serait catastrophique de voir disparaitre. Pratiquement tout est réalisé en France. C’est un choix délibéré d’essayer de faire mon travail du mieux possible à tous les niveaux et pas forcément à moindre coût.
Sur votre site, vous proposez des gravures en 3D dans des cubes. Est-ce pour rendre votre œuvre plus abordable ?
Cela permet effectivement au plus grand nombre d’avoir une petite représentation de mon travail chez soi. Je trouve ça surtout intéressant d’en proposer parce que dans ces cubes en cristal, on voit presque le dessin en 3D que je réalise quand je fais mes croquis.
Je suis même fier de savoir que mon travail fait vivre de nombreuses familles et permet de conserver sur notre territoire national des savoir-faire ancestraux qu’il serait catastrophique de voir disparaitre
Votre présence sur les réseaux sociaux est importante. Comment arrivez-vous à les gérer ? N’est-ce pas trop chronophage ?
J’ai la chance d’être entouré dans mon atelier par une équipe de six personnes qui m’épaule dans toutes les tâches du quotidien. Elle me permet de ne pas m’épuiser dans des missions que je ne maitrise pas et qui m’ennuient profondément. Je peux ainsi me consacrer exclusivement à la création.
En 2015, vous avez failli détruire toutes vos œuvres mais cela s’est transformé en un nouveau départ. Comment avez-vous vécu cette renaissance et ces 8 années ?
Effectivement, une collaboration malsaine avec une galerie m’avait ruiné et poussé à douter de ma capacité à rebondir. Mais au lieu d’être la fin de mon aventure, cela a marqué un essor incroyable de ma carrière grâce à l’arrivée de personnes de confiance et très compétentes à mes côtés. J’ai créé et créé pendant des décennies, sans réussir à décoller. Mais aujourd’hui, à mon grand étonnement je m’envole. Et c’est un réel plaisir.
Aujourd’hui, à mon grand étonnement je m’envole. Et c’est un réel plaisir
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