Lorsque l’on travaille dans un environnement où les mots « leadeur » ou « leadership » sont mentionnés en moyenne toutes les six secondes, il est difficile d’imaginer qu’il peut en être autrement. Au WEF lorsque nous parlons de leadeurs, nous entendons généralement les PDG, les chefs d’État ou les entrepreneurs de la prochaine génération. Pas les artistes.
Il y’a plus de 25 ans, le fondateur du WEF et son épouse ont cependant réalisé l’importance des artistes et des célébrités pour influencer la culture, en les nommant ainsi « Cultural Leaders » (leadeurs culturels). Leurs visions leur permettent de façonner le mode de pensée du grand public. Il suffit d’observer l’influence qu’ont la télévision, le cinéma, la musique, l’art ou l’architecture sur nos cultures et nos valeurs.
Les arts ne sont pas incompatibles avec le leadership. Plusieurs mouvements sociaux ont eu parmi leurs leadeurs des artistes. La créativité et l’esprit critique sont des compétences essentielles pour les futurs dirigeants (cf. le rapport du WEF sur les emplois de demain). De plus en plus d’universités, tout au moins aux Etats-Unis, intègrent les arts dans des MBAs pour promouvoir la créativité des futurs dirigeants. Pour ses jeunes leaders, le WEF collabore notamment avec la Columbia School of the Arts à New York pour proposer un module, avec des artistes, portant sur la créativité.
On constate toutefois que le leadership est largement perçu comme du domaine des activités « sérieuses ». Les artistes qui ont réussi à pénétrer les sphères de pouvoir et d’influence afin d’œuvrer à un changement social, sont en grande partie issus eux-mêmes des mêmes cercles dominants. L’immense popularité de Bono lui a permis d’utiliser la plateforme fournie à Davos pour promouvoir la campagne ONE afin de combattre la pauvreté extrême, aidant ainsi à mobiliser plus de 25 milliards d’Euros. Depuis des décennies, le leadership d’Elton John, en faveur des personnes porteuses du VIH/Sida, est remarquable. Le plaidoyer de Leonardo di Caprio sur la crise climatique est louable.
Ces “leadeurs culturels” utilisent leur immense capital culturel pour changer les choses. Il ne leur a pas été nécessaire de fréquenter les Grandes Ecoles. Leurs conseillers, coaches, publicitaires, avocats et leurs réseaux étendus, fournissent le soutien nécessaire pour aider à la concrétisation de leurs visions. Qui ne voudrait pas être associé à ces géants ? Avec une telle adulation et un accès et des ressources presque illimitées, l’œuvre sociale de tels artistes devrait être la règle plutôt que l’exception.
Cependant, dans l’ombre, loin des courants dominants, de nombreux autres artistes sont également en passe de devenir des « leadeurs culturels ». Ils manquent cependant souvent d’accès et de ressources. Parfois, ils sont confrontés à des situations qui nécessiterait des compétences de leadership très sophistiquées.
Que doit faire une artiste comme la kenyane Wanuri Kahiu, lorsque son film Rafiki, qui relate une histoire d’amour emplie de joie entre deux femmes, est interdit de diffusion par le gouvernement de son pays ? Quelles compétences sont nécessaires pour mener à bien ses recours auprès de la cour constitutionnelle ? Avec quels moyens la mannequin sud-africaine Thando Hopa, la première personne atteinte d’albinisme à faire la une du magazine Vogue, continuera-t-elle de tracer le sillon de la diversité corporelle et cognitive ? Comment Rena Effendi, la formidable photographe qui éclaire les personnes oubliées par les évolutions technologiques, peut-elle aider à leurs prises en compte dans les décisions des Politiques ? Quelles compétences, quel savoir-faire, quels réseaux, amèneront ces artistes et d’autres à réussir à inscrire leurs visions dans l’agenda des décideurs ?
C’est déjà un défi pour les minorités de faire partie des grands débats, que dire alors pour un artiste d’une communauté marginalisée. Et pourtant, les artistes, ces conteurs et capteurs de l’imaginaire, disposent d’un potentiel unique pour faire évoluer nos systèmes de pensée. Avec leurs visions, ils ont le pouvoir de changer la Fenêtre d’Overton, ce cadre de discours acceptable, à partir duquel le changement politique est possible.
Seuls, ils ne peuvent pas y arriver. Ils ont besoin d’accès, de conseils et de ressources, que d’autres prennent comme acquis. Ils ont besoin de modèles pour apprendre comment façonner un dialogue que les politiciens, les médias et le grand public peuvent adopter, malgré tous les obstacles. Comment la chorégraphe transgenre Jin Xing est-elle devenue l’une des personnalités les plus influentes de Chine, avec plus de 100 millions de téléspectateurs regardant ses émissions chaque semaine ? Quel parcours de vie a emmené la célèbre musicienne béninoise Angélique Kidjo jusqu’à être invitée par le président Macron au G7 de 2019, pour lancer un fond de 217 millions de dollars afin de soutenir les femmes entrepreneurs en Afrique ?
Pour répondre à ces questions, le WEF, en collaboration avec l’artiste Lynette Wallworth et avec le soutien de la Fondation Ford, lance le New Narratives Lab, un cursus pour artistes dédié à favoriser une nouvelle génération, diversifiée, de leadeurs culturels. Grâce à un mentorat individualisé avec des membres expérimentés du réseau des leadeurs culturels du WEF, ces artistes, issus de communautés sous-représentées, seront accompagnés pour optimiser l’utilisation des ressources du WEF, au sein des cercles de pouvoir et de prise de décision, afin de créer de précieuses alliances, apprendre à se faire écouter, et provoquer le changement.
Alors que nous entamons une décennie décisive pour l’être humain et pour la planète, la manière dont nous soutiendrons ces artistes exceptionnels au potentiel de leadeurs, pourrait faire toute la différence. Nous avons besoin de nouvelles visions pour rassembler les gens afin de créer un monde plus inclusif et durable à un moment où, comme l’a dit Greta Thunberg, « notre maison est en feu ». Nous avons besoin d’artistes « leadeurs », venant d’horizons divers et avec une variété d’expériences de vie, qui peuvent façonner les pensées et nous aider à remodeler notre monde.
Par Nico Daswani, Directeur Arts et Culture
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