A un mois du coup d’envoi des congés d’été, les Français prévoient à « 69% de partir en vacances », selon le 18ème baromètre annuel Europ Assistance : un chiffre « record » qui place nos compatriotes sur la première marche du podium européen. 2018. Un cru exceptionnel ? Depuis quelques années dans l’Hexagone, notre rapport au voyage — à l’ère du low-cost — a sensiblement évolué mettant en lumière de nouveaux comportements. Stéphane Letessier et Pierre Cosentino, fondateurs de l’agence Oovatu, Nautil voyages, observent depuis deux décennies « une résistance à cette grande braderie des vacances à bas coût ». Les Français n’ont jamais été aussi nombreux à les solliciter pour s’offrir des parenthèses idylliques, sur-mesure, de Bali à Maurice. « Le temps où les vacances étaient accessoires a vécu ».
« Quelque chose a changé. Autrefois, voyager était une démarche accessoire, alors qu’à présent, partir en vacances est devenu nécessaire. C’est même un besoin impérieux chez certaines personnes », énonce Stéphane Letessier, cofondateur de l’agence Oovatu, Nautil voyages. Ce globe-trotter devenu entrepreneur il y a vingt ans, pointe une évolution symptomatique de nos sociétés productrices de « stress et de pression » et peu enclines « au lâcher prise ». Début 2000, lorsqu’il s’est spécialisé dans la conception de séjours sur-mesure de Bali à Mykonos en passant par Maurice, au côté de son ami d’enfance Pierre Cosentino, Stéphane Letessier accueillait surtout les projets d’évasion édénique d’une clientèle très aisée, mais ces dernières années ces Français fortunés – d’ailleurs de plus en plus nombreux à les solliciter – ont été rejoints par des congénères affichant des revenus plus modérés « bien que minoritaires, ces profils, aussi, commencent à se presser dans nos agences pour demander une ordonnance de voyage ». Entendez une escapade sur-mesure où le budget devient secondaire par rapport à la promesse de « vivre une expérience inoubliable » dans des contrées frappées du sceau paradisiaque… à des années lumière de leur quotidien pesant.
En 18 ans d’exercice, Oovatu affiche sans discontinuer une croissance à deux chiffres. Cependant, ce qui réjouit plus que tout le duo fondateur est « de ne pas avoir à subir la pression chiffrée d’un actionnaire étranger à leur univers, et d’avoir su garder la gestion de leur société ». Le pari était toutefois risqué lorsqu’ils ont pris le contre-pied du marché de l’époque qui consacra l’avènement du low-cost. « Les agences en ligne commençaient à se positionner sur la toile en capitalisant un maximum sur le prix, le déstockage. Nous, on avait envie de faire partager nos coups de cœur et de se préoccuper de la réussite des vacances plutôt que de proposer un tarif », se souvient Stéphane Letessier. « Imposer la visite de dix temples par jour en concevant des itinéraires inadaptés aux vacanciers, aux familles, n’a jamais été notre positionnement ». Habité par une certaine idée du voyage, il a toujours privilégié « la passion pour préserver la qualité. Ainsi, nous allons plutôt sélectionner les plus beaux sites et s’offrir les services d’un très bon guide, en incluant également des étapes chez des artisans locaux ».
Le cœur de leur clientèle est avant tout français : « Nos compatriotes se révèlent être les plus exigeants ! Et pour cause, en tant que Français, nous sommes des enfants gâtés ! Mère nature a façonné le pays de merveilles touristiques. Nous avons tant d’atouts comme la façade atlantique, la Côte d’azur, le littoral normand, les côtes bretonnes, l’arrière-pays, aussi, est riche de trésors, je pense à l’Ardèche, à nos massifs montagneux. Nos villes sont également si attrayantes, Paris, Nice, Bordeaux… Comparativement à nos voisins allemands qui, eux, ne veulent qu’une chose partir au soleil, profiter de la mer. L’Espagne ou le Maroc, suffisent parfaitement à leur bonheur ! Le Français, lui, est bien plus difficile et exigeant », témoigne Stéphane Letessier.
Le panier moyen est de l’ordre de 8 900 euros par dossier, soit trois fois plus que ses concurrents qui avoisinent les 2 600 euros voire 3 000 euros. L’Ile Maurice demeure la destination phare et la plus demandée en Métropole, l’entrepreneur parle même « d’attachement viscéral » de sa clientèle française, « C’est le Graal pour plusieurs raisons : la desserte aérienne est quotidienne, il y a très peu de décalage horaire, les Mauriciens sont anglophones et francophones et surtout francophiles, le pays a une culture gastronomique foisonnante, des infrastructures à la pointe et bien sûr des paysages à couper le souffle. Tous les experts vous le diront : Maurice, c’est la meilleure hôtellerie du monde au niveau loisir, d’ailleurs l’Ecole de l’hôtellerie mauricienne est une référence dans la région où les acteurs du tourisme des Maldives, des Seychelles, de Madagascar viennent s’y former. » Il évoque également la stabilité sécuritaire du pays, qui « contribue également à cultiver ce lien privilégié ».
Des défis multiples
Après avoir construit et pérennisé leur modèle de tour opérateur haut de gamme en pleine déferlante du bas coûts, Stéphane Letessier et Pierre Cosentino, font face aujourd’hui à l’émergence de problématiques nouvelles : « L’insécurité et la menace terroriste ont engendré pas mal de crispations, impactant de facto les comportements des gens. Leur inquiétude dicte leurs choix à présent ». Plus affûté, également, le vacancier se montre davantage avisé et connaisseur, « Internet est passé par là », s’amuse Stéphane Letessier. Pour autant, il fait preuve de moins de légèreté en pointant l’arrivée du trublion Ventes Privées : « cet acteur parvient à nous affecter épisodiquement. Ces clients prêts à attendre des promotions de dernières minutes qui ne viennent pas forcément, finissent par nous contacter à quelques jours de leurs dates de vacances. Mais, il est trop tard à ce moment-là pour réaliser un voyage sur-mesure faute de disponibilités et, aussi, parce que nous fonctionnons selon le yield management. En clair, les billets d’avion au meilleur prix doivent être achetés très en amont. Finalement, ce sont davantage des consommateurs en attente d’une opportunité que d’une destination ».
Ultime source de préoccupation, la nouvelle directive européenne des voyages à forfait (dite Travel, ndlr) qui entrera en vigueur en juillet 2018, « visant initialement à protéger les touristes européens contre les défaillances d’organisateurs de voyages et de séjours touristiques, sa mise en oeuvre présente des effets collatéraux sur notre activité de voyagiste. Nous devrons faire face à de nouvelles obligations, très lourdes administrativement, au profit des consommateurs qui pourront annuler un séjour jusqu’à la veille, avec une très grande facilité. Lorsque l’on conçoit des voyages sur-mesure au bout du monde et que l’on réserve des nuitées dans un petit hôtel indépendant, il ne sera pas possible d’annuler 24 heures avant sans générer un préjudice financier pour les gérants. Avec cette nouvelle loi, à charge pour nous d’expliquer et de justifier auprès du client qu’il devra malgré tout payer ! ».
En dépit de ces nombreux défis, Stéphane Letessier et Pierre Cosentino, restent stoïques. « Notre taux de fidélisation, aujourd’hui à 43%, augmente d’année en année et l’appétit des Français pour les beaux voyages n’a jamais été aussi grand ! ».
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