Olivier Maynard célèbre en 2021 ses trente années de carrière en tant que photographe professionnel. Photographe publicitaire, culinaire et d’entreprise pendant trois décennies, il change de terrain de jeu pour se consacrer à l’art. Ses photos, qui sublimaient les talents et les métiers des autres, deviennent, par et pour elles-mêmes, des œuvres d’art. Elles prennent désormais place dans les galeries. L’exposition Color&Food mêle les deux passions de l’artiste photographe : la gastronomie et la couleur. Il pose son regard d’esthète et de créateur sur des aliments bruts, les transforme, joue sur les couleurs et les matières, et invite à voir la beauté jusque dans les plus infimes détails du quotidien.
Commençons par le début… Comment êtes-vous entré dans le monde de la photographie ?
Olivier Maynard : C’est sans doute une succession de découvertes et d’opportunités qui m’y a conduit… J’ai entamé un cursus en médecine, avec une spécialisation en pharmacologie.
Le service militaire m’a interrompu après quatre années d’études. Pendant cette période, je me levais à 4 heures du matin pour préparer la cartographie météorologique des pilotes de la Patrouille de France, ce qui m’a donné beaucoup de temps libre. J’en ai profité pour m’inscrire aux Beaux-Arts de Sète, en section sculpture. J’avais comme professeur François Michaud, un artiste sétois qui réside désormais à Vancouver (Canada). C’est en suivant ses cours que j’ai commencé à appréhender les volumes, la lumière et la composition. J’étais alors très attiré par l’architecture. L’architecte brésilien Oscar Niemeyer reste l’une de mes idoles.
Plus jeune, j’avais découvert et admiré Vasarely, mais aussi et surtout le design automobile et les magnifiques œuvres d’art des carrossiers des années 70 : Bertone, Pininfarina, Zagato, Gandini, etc. Toutes ces voitures m’ont rendu dingue ! Voilà pour ma sensibilisation à l’art…
Quant à mon intérêt pour la photographie, il est venu par hasard. J’ai d’ailleurs un épisode bien précis en tête. J’étais en train de fouiller le grenier de la maison familiale, quand je trouvai les superbes chapeaux en raphia que portait ma mère dans les années 50. J’organisai immédiatement une séance photo. Je m’amusai à faire le portrait d’une amie avec le vieux Foca de mon père. Le résultat m’encouragea à continuer. Je me mis à capturer des scènes de rue, des paysages, à photographier des amis…
Très vite, l’appareil photo ne me quitta plus. Je réalisai un book en noir et blanc que je montrai au photographe publicitaire auvergnat Pierre Soissons. Il m’embaucha comme assistant. En parallèle, je pris des cours à l’ETPA (école de photographie) de Toulouse. Diplômé en 1992, je m’installai deux ans plus tard à Sète, ville des vacances de mon enfance, en tant que photographe publicitaire.
Vous avez nommé votre exposition Color&Food. D’où vous vient cet attrait pour la couleur ?
Dans mon enfance, les automobiles étaient vertes, rouges, bleu pâle, jaune citron, etc. En 1975, j’avais 10 ans et tout le monde portait des vêtements à fleurs. La couleur était partout… Je me souviens d’une armoire en formica rouge sang qui trônait dans la cuisine, d’assiettes en bakélite jaune et de gobelets orange que nous emportions en pique-nique.
Aujourd’hui, les architectes privilégient les tons mastic, taupe, gris, tabac…
À cela s’ajoute que j’ai eu la chance de beaucoup voyager, avec mes parents puis seul, au Maroc, en Espagne, en Italie, en Israël, en Grèce… La culture méditerranéenne a modifié profondément ma vision, mes goûts, mes amours… Je suis passé du vert de mon Cantal natal au bleu intense de Sète. Et puis, d’une certaine manière, j’ai très tôt capturé et « collectionné » les couleurs. Mon père faisait beaucoup de photos avec son Rolleiflex et il achetait des cartes postales que je conservais précieusement dans une boîte. Quand il pleuvait trop longtemps, je les ressortais et voyageais à travers elles.
Au cours de votre carrière, vous avez su concilier impératifs publicitaires et sensibilité artistique. Quel est le secret de cet équilibre si subtil ? Quand et comment cela a-t-il débouché sur le projet Color&Food ?
Mes collaborations avec les grands chefs, en particulier celles avec les frères Jacques et Laurent Pourcel, m’ont permis d’étudier la photogénie de plats. Grâce à eux, j’ai compris que l’aliment pouvait se transformer en œuvre d’art à part entière. C’est simplement une question de point de vue… Au fil des années et de mes participations aux dîners des chefs donnés à l’Hôtel du Palais à Biarritz, j’ai rencontré de grands noms d’établissements étoilés : Sébastien Bras, Jacques Marcon, Arnaud Donckele, Didier Coly, Jean-Luc Poujauran, César Troisgros, Lionel Levy…
La photographie culinaire m’a amené à travailler dans de prestigieux hôtels comme le Raffles à Singapour ou le Dusit Thani à Bangkok. J’y ai côtoyé des chefs comme Kotaro Hasegawa et André Chiang. Mes voyages en Asie ont été en eux-mêmes une grande source d’inspiration : Shanghai, Singapour, Bangkok, Tokyo m’ont permis de découvrir des couleurs et matières premières insoupçonnées telles que le pitaya (fruit de dragon), le ramboutan, le durian, etc. Je me suis retrouvé face à des étals de fruits et de légumes dont je ne me doutais même pas l’existence : c’était quasiment du Vasarely comestible !
Toutes ces collaborations et découvertes m’ont apporté beaucoup sur le plan professionnel. Lorsque l’on revisite les livres de cuisine des années 70 avec la nappe à carreaux rouges et blancs, on se dit qu’on a vraiment vécu une révolution ! L’exigence, la passion et l’inventivité dont fait preuve chacun de ces véritables artistes pour sublimer un plat sont une importante source d’inspiration. Quant à la photographie publicitaire, elle demande une grande créativité, beaucoup de concentration et de technique.
Color&Food n’est en rien le fruit du hasard. Au contraire, c’est la concrétisation d’années de travail nourries par ces personnages, ces voyages et ces ambiances. Ce sont ces trente années de prises de vues qui m’ont permis de réaliser cette série. Cela peut paraître simple de prime abord de photographier une noix bleue sur fond bleu, mais c’est en réalité très complexe.
Vous avez installé votre atelier à Sète dans l’Hérault. Vous êtes donc voisin d’autres artistes internationaux tels que Pierre Soulages, Hervé Di Rosa, Robert Combas, Franck Noto… Cette île singulière vous inspire-t-elle ?
Sète n’est pas seulement la patrie originelle ou adoptive de tous ces artistes, elle est aussi la terre de Paul Valéry, de Jean Vilar, de Georges Brassens…
Il y a un vrai mystère dans cette ville qui inspire et invite à la rêverie, l’imagination, la poésie. Elle a une topographie quasi insulaire entre mer et étang. La qualité de la lumière, surtout en octobre, est incomparable. Les couleurs des coques de cargos, la réverbération des façades colorées le long des quais, le bleu outrancier omniprésent influencent chacun.
J’aime beaucoup les dessins de Topolino, les peintures de Le Bail, les textes de notre regretté Jean-Pierre Destand et évidemment tout le courant de la figuration libre que j’ai vu apparaître sous l’impulsion de l’exceptionnel artiste René-François Grégogna. Color&Food est d’ailleurs presque née grâce à une phrase que m’a dite Hervé Di Rosa un jour d’octobre pendant un trajet en voiture. « Olivier, tu peux dessiner une pomme de vingt façons différentes, mais l’essentiel est de le faire d’une façon qui n’existe pas encore. » Cette phrase, pourtant évidente, a été un choc. Je me suis alors précipité acheter une bombe de peinture, un kilo de pommes et je me suis mis à faire des essais, ton sur ton. La suite a donné Color&Food.
Où pouvons-nous admirer vos œuvres en 2021 ? Qu’attendez-vous de cette exposition ?
Vous pouvez les découvrir dans mon atelier à Sète, mais aussi en galerie au Luxembourg, et bientôt à Barcelone, Monaco, Londres… Color&Food prend son essor grâce à mon ami et directeur artistique David Taylor, qui a été le catalyseur de ce projet. Je souhaite voir évoluer cette aventure, et qu’elle soit source de plaisir, de beauté et de gourmandise. J’ai envie qu’elle offre en partage tout ce que j’ai pu en éprouver pendant ma carrière photographique et artistique. Je suis père de trois enfants, et ce projet est un peu mon dernier né. Nous verrons ce qu’il deviendra, mais ce qui est certain, c’est que cette série réunit tout ce qui m’a inspiré et fait vibrer ces dernières années. Je la livre au public en espérant leur transmettre bien plus que des images : c’est un regard, une passion, un état d’esprit, que je veux proposer.
À la croisée du graphisme culinaire, de la composition monochrome et du street art, Color&Food pose un regard inédit sur notre quotidien alimentaire. La vision, la mise en scène et la technique d’Olivier Maynard rehaussent la sensualité et la personnalité insoupçonnée de mets qui n’intéressent, habituellement, que nos papilles. Et si vous laissiez l’artiste photographe sétois réenchanter votre perception d’une huître, d’une banane, d’un melon, d’un burger, d’un poulpe ou d’une écrevisse ?
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