Symbole du dialogue interculturel et fruit de la relation privilégiée entre la France et les Emirats arabes unis, le musée du Louvre Abu Dhabi est devenu, en six mois, une étape incontournable de la ville. Si le Louvre des sables a pour vocation de refléter l’histoire commune de l’humanité à l’aune des civilisations, le musée entend s’affirmer comme l’un des foyers culturels majeurs de cette région du monde. Toile de Léonard de Vinci, statue de la Vierge et l’Enfant qui côtoie le Saint Coran, sculpture de Ramsès II… le Louvre Abu Dhabi abrite de nombreux chefs-d’oeuvre. Rencontre, sur place, avec son directeur général, Manuel Rabaté.
Six mois après l’inauguration du musée Louvre Abu Dhabi par le président Emmanuelle Macron et son épouse aux côtés du Prince héritier Mohammed Ben Zayed Al-Nahyan et du président du Louvre Jean-Luc Martinez, quel premier bilan dressez-vous en termes de fréquentation touristique ?
Le moment est effectivement opportun pour dresser un premier bilan. Notre projet a émergé il y a dix ans, et durant cette décennie, nous avons largement eu le temps d’anticiper ce que serait le public du musée du Louvre Abu Dhabi. Près de 190 nationalités différentes cohabitent aux Emirats, de plus, la position privilégiée du pays lui confère la place de véritable hub mondial à la croisée de plusieurs centres névralgiques (Inde, Arabie Saoudite, Afrique, Europe…). Annuellement, des millions de voyageurs transitent par la ville, c’est dans ce contexte que nous avons mené nos réflexions. Nous avons suivi deux axes de travail : enraciner le musée localement afin qu’il ait une résonance chez les autochtones et cibler par ailleurs la population touristique : voyageurs de loisir, visiteurs professionnels via les salons et séminaires, tourisme médical. Les autorités émiraties ont très bien compris que la diversification était indispensable. Ainsi, la fréquentation affiche la tendance de 55% de touristes et 45% de locaux.
Chaque jour, nous accueillons entre 2 000 et 5 000 visiteurs avec des pics périodiques. En fin d’année 2017, lorsque le calendrier a fait coïncider les congés locaux avec les vacances internationales, suivi de près par le nouvel An chinois, nous avons atteint les 10 000 journaliers.
Quelle est la vocation de ce musée ? Quel dialogue avez-vous l’ambition d’entretenir avec l’écosystème émirati et, plus globalement, régional ?
L’ADN du Louvre se fonde dans la compréhension de l’humanité à travers les civilisations. Il y a toujours eu cette aspiration à vouloir embrasser la totalité du monde, à collectionner des objets civilisationnels emblématiques et crédités d’une richesse historique inestimable. De fait, le Louvre Abu Dhabi, c’est une histoire de l’art à vocation universelle qui promeut des valeurs d’ouverture et de générosité en racontant l’Histoire de l’humanité par le biais de 600 œuvres visuellement très fortes. Bien qu’il y ait une composante française importante comme l’excellence, l’expertise muséale ainsi que les prêts de sculptures, de tableaux, de mobiliers.., le Louvre Abu Dhabi reste un musée de droit émirien. Les Français peuvent d’ailleurs être fiers d’occuper les avant-postes de cette mission universaliste.
Par ailleurs, le choix des Emiriens d’adhérer à cette idée n’est pas anodin : il traduit l’ambition du pays de se positionner dans le monde comme un acteur central de la cause humaniste, invitant de facto le monde à venir chez lui. Le Louvre Abu Dhabi est un puissant outil d’éducation, un investissement dans la culture, en d’autres termes, c’est un actif stratégique comme peuvent l’être les universités au rayonnement international. A vol d’oiseau de l’établissement, se trouve la Sorbonne Abu Dhabi, la New York University of Abu Dhabi, ce qui nous place dans le district « intellectuel » de la ville. C’est dans cet écosystème qu’évolue le Louvre Abu Dhabi, et tout ce maillage participe à favoriser l’esprit d’émulation.
Du reste, gardons en tête que ces aménagements ne datent pas d’aujourd’hui puisque la volonté d’embrasser la culture s’inscrit dans un processus bien plus ancien. Le musée Al Ain qui retrace l’histoire des Emirats a été fondé en 1969, soit deux ans avant la proclamation de la fédération des Emirats arabes unis.
Nous cultivons également des liens très étroits avec nos pairs des musées Guggenheim Abu Dhabi, le Zayed National Museum, le musée de Riyadh ou de Mascate à Oman, auprès desquels nous avons emprunté des œuvres. Le Louvre Abu Dhabi ne peut clairement pas assouvir à lui seul la soif culturelle manifeste. Il nous faut interagir avec nos confrères et consoeurs. Il peut éventuellement y avoir un peu de compétition entre nous en matière d’expositions, toutefois nous saurons travailler en bonne intelligence pour nous coordonner sur le calendrier : l’idée est d’enrichir l’offre car elle est loin d’être saturée. A mon sens, la ligne directrice qui prédomine est le fait qu’Abu Dhabi s’affiche désormais comme une vraie destination touristique. Dès lors, nous devons donner envie aux visiteurs (locaux comme touristes) de rester plus longtemps, notamment par le levier des abonnements aux musées, par l’événementiel.
Quelles sont les pièces maîtresses du musée qui suscitent aujourd’hui le plus d’attraction et d’appétence ?
Nous disposons de beaucoup de chefs-d’œuvre. Je pense spontanément à la Vierge Marie, qui nous est prêtée par le Louvre, et au Saint Coran, tous deux exposés côté à côte dans la salle des textes sacrés. Il y a bien sûr aussi la monumentale statue de Ramsès II, le dragon chinois, la Belle Ferronnière de Vinci, le tableau de Bonaparte franchissant les Alpes (prêt du Musée national du Château de Versailles), l’autoportrait de Van Gogh… Au total, nous disposons de 300 prêts, de 280 acquisitions du Louvre Abu Dhabi et enfin de 20 prêts régionaux.
Lors de la récente visite d’état en France du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, plusieurs partenariats culturels ont été scellés entre les deux pays. Le savoir-faire hexagonal a été sollicité pour créer un orchestre national, un opéra et même un musée jusqu’à trois fois plus grand que le Louvre Abu Dhabi. Comment interprétez-vous cette frénésie culturelle ambiante ?
Si le musée Louvre Abu Dhabi suscite aujourd’hui de l’appétence et de l’envie, cela montre que nous avons réussi quelque chose. Je précise au demeurant qu’un tel projet a nécessité 10 ans de réflexions, de travaux : c’est une machine très complexe. Il faut pouvoir faire fonctionner des alchimies de part et d’autres.
Pourriez-vous décliner une journée type ?
Aucune journée ne se ressemble vraiment. Le seul dénominateur commun est que l’activité est très soutenue. Voici un condensé de mes dernières heures : hier, j’étais à l’Emirat de Dubaï pour participer au grand salon du tourisme « Arabian travel market », ce matin, j’ai assisté à la foire du livre d’Abu Dhabi où le Louvre Abu Dhabi avait son stand, un peu avant notre interview, je discutais avec mes équipes sur la gestion du système de climatisation en vue des fortes chaleurs estivales… Je suis « au four et au moulin » au service de ce magnifique projet.
Comment le musée Louvre Abu Dhabi sera-t-il appelé à évoluer à moyen-terme ?
Les prêts étant prévus pour dix ans, nous devons anticiper cette échéance. Ce qui implique que nous devons poursuivre nos acquisitions, diversifier nos expositions en creusant toujours notre rigueur scientifique et, aussi, continuer à accueillir tous les publics. Durant la prochaine décennie, nous nous emploierons à construire une collection Louvre Abu Dhabi de premier plan.
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