A Manosque, tout près des monts du Lubéron, de la plaine de la Durance et des lavandes en fleur du plateau de Valensole, on se rend chez Jean Giono par la montée des Vraies Richesses. Au bout d’un chemin de terre semé de roses trémières, sa maison est intacte. Elle abrite la précieuse bibliothèque de l’écrivain provençal. Deux mille ouvrages viennent d’être restaurés dans les règles de l’art par des étudiantes de l’Institut National du Patrimoine.
Passé le portail en bois peint de vert, la calade alignant les galets de la Durance descend en pente douce vers le jardin, pensé et entretenu par Jean Giono qui y vécut de 1929, date de l’acquisition de la maison, à sa disparition en 1970. Depuis la terrasse, un escalier à double révolution descend dans la jungle luxuriante peuplée de palmiers, de cèdres et d’oliviers. Un jardin pleins de recoins, de cachettes, d’ombre et de lumière formant un écrin autour du lieu de vie d’une famille unie et réunie autour de l’écriture. Si la roseraie a disparu, reste le buisson vigoureux de la rose Jean Giono créée il y a 25 ans en l’honneur de l’homme, une rose jaune à très grandes fleurs doubles de couleur jaune soleil, qui embaume la fenêtre de sa bibliothèque.
Depuis que Giono s’en est allé, tout dans la maison est resté en place. La cuisine sent le bon café, le torchon pend près de la porte ouvrant sur le perron. Sous le murier, la famille mangeait en été, et palabrait en cercle, tissant la mémoire d’une histoire provençale. Jamais Jean Giono n’a quitté Manosque. On venait à Manosque pour visiter Giono. Et Giono a porté la Provence aux confins de la Terre, par ses mots vibrants et son amour inconditionnel.
Dans la maison à trois étages, Giono avait trois bureaux. Celui de la bibliothèque, au rez-de chaussée, et au 3ème étage, sous le toit, un bureau d’été provisoire, puis son bureau d’écriture où sa présence plane encore, avec un chapeau et une veste en daim, simplement jetés, comme à l’instant, dans un geste pressé par l’urgence d’écrire.
Le Littré, sa Bible, est sur sa table de travail, avec un marque-page à la définition de « téméraire » ou de « tellement ». Et puis des objets dont il aimait s’entourer: un marteau de cordonnier, sans doute celui de son père, des oiseaux en bibelots, ses pipes, ses lunettes, son buvard, de l’encre, des plumes et des plumiers qui ont gravé ses mots.
Mais il avait une affection particulière pour sa bibliothèque, aujourd’hui inscrite à l’inventaire des Monuments Historiques, labellisée Patrimoine du XXe siècle et Maison des Illustres.
Elle contient près de 8500 livres. Deux mille d’entre eux ont été restaurés par des étudiantes de l’Ecole Nationale du Patrimoine, dans le cadre d’un chantier-école de conservation-restauration de livres, et un certain nombre seront présentés à la grande exposition sur Giono qui se tiendra d’octobre 2019 à février 2020 au Mucem à Marseille.
L’écrivain avait une passion pour ses livres acquis tout au long de sa vie. Il la considérait comme l’une de ses « grandes réussites ». « Mon ambition a toujours été de posséder un bureau de travail, une librairie, comme disait Montaigne. Combien de fois n’ai-je pas rêvé, du temps de la jeunesse, à la librairie qu’il décrit? C’est ce qui a été écrit de plus beau sur la paix et le bonheur. »
A l’heure du livre digital et du rêve d’une bibliothèque universelle, des donateurs se sont généreusement réunis autour du projet de sauvetage de la Bibliothèque de Giono, à travers un appel aux dons lancé en 2015 par le Centre National du Livre, clôt en juin 2017 avec plus de 120 000 euros et le soutien de deux mécènes, Pierre Bergé et l’écrivain Metin Arditi. Grâce au soutien également de la Fondation du Patrimoine, de la Fondation d’entreprise Total une subvention du Ministère de la Culture, de la Fondation Louis D.-Institut de France et de l’association des Amis de Jean Giono, la Ville de Manosque en est devenue propriétaire. Au Paraïs, (nom de la maison de Jean Giono), l’association des Amis de Jean Giono reçoit et guide les visiteurs, accueille les chercheurs, gère le fonds d’archives : la maison de l’écrivain est étonnamment vivante.
Et dans la ville, le souvenir de l’écrivain flotte dans les rues, rue Grande, où se trouve sa maison natale, au Crédit agricole, ancien Comptoir National d’Escompte où il a été employé, sur les places, dans les rues, sur la margelle des fontaines, qui forment le décor d’un monde paysan provençal révolu qui lui a inspiré romans et personnages.
Pour communier comme jamais avec la nature, il faut partir un livre à la main (Colline ou Regain) sur les pas de Jean Giono, faire le tour de la montagne de Lure, découvrir les villages de ces Alpes de Haute-Provence -Banon, Aurel, Saint-Vincent-sur-Jabron- et se perdre sur le plateau du Contadour.
L’itinéraire de 152 km est une échappée belle vers les champs de blés, les vergers, et les coquelicots, ces paysages qui sont autant d’invitation à se libérer. « Ce champ n’est à personne. Je ne veux pas de ce champ; je veux vivre avec ce champ et que ce champ vive avec moi, qu’il jouisse sous le vent et le soleil et la pluie, et que nous soyons en accord. Voilà la grande libération païenne » (Jean Giono, le voyage en Italie, Gallimard 1953).
Informations :
· XIIIes rencontres Giono 2018: Giono Héroïnes Romanesques du 31 juillet au 4 Août: théâtre, concerts, lectures, cinéma, conférences, café littéraire
www.rencontresgiono.fr
· https://centrejeangiono.com/
· https://www.tourisme-alpes-haute-provence.com/route-jean-giono/: la route Jean Giono
Textes par Françoise Spiekermeier pour PLUME VOYAGE MAGAZINE
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