Symbole d’une qualité de vie idyllique et d’un retour à la nature, la montagne a toujours été vue comme un refuge idéal pour les investisseurs. Mais face à l’impact grandissant du réchauffement climatique, l’investissement en moyenne ou haute altitude reste-t-il toujours une bonne affaire ?
Un article issu du numéro 29 – hiver 2024, de Forbes France
Que vous soyez amateur de grands espaces, féru de sports d’hiver ou simplement amoureux de chalets enneigés, les montagnes françaises ont de quoi vous séduire. Chaque année, elles attirent de nombreuses familles en France et à l’étranger qui cherchent à échapper à l’agitation urbaine. Une dynamique particulièrement renforcée durant la crise sanitaire, avec une envolée des prix causée par davantage d’acquisitions de résidences secondaires, notamment pour y télétravailler au calme.
L’agence immobilière Barnes à Chamonix a justement constaté une hausse considérable du nombre de transactions depuis 2019. « Nous étions autour des 8 000 euros le mètre carré et nous avons atteint les 12 000 euros en 2022, voire 20 000 euros pour les biens d’exception », précise Oonagh Mackenzie, directrice de l’agence. Puis le marché est redevenu « plus rationnel », sans pour autant marquer un regain des transactions. « Nous avons toujours beaucoup plus de demandes que d’offres et le taux de renouvellement est assez bas », explique- t-elle.
Selon les données de la Fnaim, les prix dans les stations de montagne ont augmenté de 3 à 5 % en moyenne en 2023, après une hausse de plus de 10 % en 2022. Si certaines stations d’altitude comme Val d’Isère ou Courchevel continuent d’afficher des prix très élevés, le marché global se stabilise. D’après Oonagh Mackenzie, les clients acheteurs semblent « beaucoup plus tatillons et sont prêts à patienter » pour trouver la perle rare. L’attentisme et la prudence sont de mise pour s’assurer que le bien nouvellement acquis soit bien situé et en bon état.
Il y a toujours eu un fort décalage entre l’offre et la demande dans l’immobilier de montagne, en particulier dans les stations les plus prisées. Selon les chiffres de 2023 de la Fnaim, les prix des logements en station sont toujours plus élevés en moyenne que dans le reste du pays : 3 933 €/m2 contre 3 057 €/m2.
Pendant la crise sanitaire, le nombre de clients étrangers a grandement baissé, en particulier les Britanniques suite au Brexit. « Mais ces derniers refont surface, comme les Suisses ou encore les Américains, détaille Oonagh Mackenzie. Il y a aussi beaucoup d’acheteurs parisiens et lyonnais. » La spécialiste précise que les plus grandes ventes ont été conclues par des entrepreneurs qui ont vendu leur société et considèrent cet investissement comme une valeur sûre.
Rentabilité locative
« À Megève, la tendance en termes de volume de transactions est plutôt à la baisse sur 2024 (- 20 %), mais l’année n’est pas terminée et la reprise se fait sentir depuis l’été et se confirme clairement sur cette fin d’année, laissant présager un volume de transactions sur 2025 au moins équivalent aux années covid », constate Gaël Lombard, directeur adjoint chez Barnes Megève. « Les biens les plus demandés sont les produits situés au village ou proche à pied sur une typologie de 2 à 4 chambres, poursuit-il. Ensuite, viennent les chalets individuels proches du village de taille intermédiaire (150 à 250 m2) ainsi que les grosses unités (plus de 300 m2). » La dernière catégorie concerne les biens en pleine nature ou à proximité des pistes de ski et de randonnée, notamment dans les secteurs du Mont d’Arbois ou de Rochebrune.
Même constat à Chamonix : les logements les plus prisés restent ceux proches du centre, donnant accès facilement au cœur de la ville, aux commerces et aux restaurants. Mais d’autres clients veulent être en pleine nature, en haut de la vallée, dans de petits hameaux isolés et authentiques. « Une grande majorité des acheteurs sont des familles fortunées qui souhaitent réunir tous leurs proches à la montagne pour Noël », complète Oonagh Mackenzie. Enfin, Chamonix attire aussi les grands sportifs : déjà parce que sa station de ski en haute altitude bénéficie de neige à chaque hiver, mais aussi grâce aux nombreux circuits de randonnée. Il s’agit donc davantage d’achats plaisir mais la possibilité de louer son bien pour rembourser une partie des frais peut aussi être un argument de poids.
« La fréquentation de Chamonix est constante, ce qui offre une rentabilité locative tout le long de l’année », fait-elle valoir. Un avantage certain qui mérite d’être suivi de plus près au vu des discussions parlementaires en cours sur l’évolution de la niche fiscale dite « Airbnb ». Les petites stations de moyenne altitude, quant à elles, restent moins chères, mais sont souvent moins performantes en termes de rentabilité locative, surtout si elles dépendent d’une offre de ski fragile.
Une régulation de plus en plus stricte
Il n’y en aura donc pas pour tout le monde. Et le marché est tellement saturé qu’il est souvent complexe pour les mairies de trouver un équilibre entre résidents permanents et nouveaux acquéreurs. La mairie de Megève a par exemple révisé en 2023 son Plan local d’urbanisme (PLU) pour privilégier les ménages qui souhaitent acquérir une propriété en vue d’en faire leur résidence principale. Conformément à la loi Climat et résilience de 2021, la surface constructible est par ailleurs davantage encadrée et réduite, avec un privilège accordé à la modernisation des infrastructures existantes plutôt qu’à leur extension.
Enfin, les quotas de logements sociaux imposés par les mairies pour les nouveaux projets immobiliers sont aussi de plus en plus stricts. La dernière modification du PLU de Chamonix- Mont-Blanc va justement dans ce sens. « Tout programme de logement supérieur ou égal à 300 m2 de surface de plancher d’habitat comprendra un minimum de 25 % de cette surface de plancher à usage de logements locatifs conventionnés et représentant au minimum 25 % des logements réalisés», peut-on lire. « Logiquement, tous les chalets anciens de plus de 200 m2 ont pris de la valeur », explique Oonagh Mackenzie. Mais gare aux vieilles pierres. Car ces chalets anciens nécessitent parfois des restaurations qui peuvent dissuader à l’achat. En particulier, les biens qui ont besoin de travaux d’isolation, de toiture ou bien de l’installation d’une pompe à chaleur.
À ce titre, la loi Climat et résilience impose plusieurs restrictions : à partir de 2025, il sera interdit de louer les logements ayant une étiquette énergétique G, et cette restriction s’étendra aux étiquettes F à partir de 2028. Une mesure qui aura un impact considérable pour les propriétaires de chalets : selon une étude de 2022 de Heero à partir d’un échantillon de 70 stations de ski, près de 50 % des logements sont des passoires énergétiques (classés F ou G), contre un ratio de 16,9 % en moyenne nationale.
L’impact du climat
Il faut aussi garder à l’esprit que les paysages d’altitude sont en profonde mutation. Avec le réchauffement climatique, l’enneigement naturel est évidemment plus incertain, en particulier dans les stations en basse et moyenne altitude. « Les stations, déjà fragilisées par la baisse de fréquentation et le vieillissement de l’hébergement, sont également affectées par les conséquences du réchauffement climatique sur l’enneigement », notait la Cour des comptes dans un rapport de février 2024 sur le sujet.
Face à l’urgence, la Compagnie du Mont- Blanc, qui gère le domaine skiable de Chamonix, a annoncé un plan d’investissement de 750 millions d’euros d’ici 2052 afin de moderniser ses infrastructures de remontées mécaniques et déployer des systèmes d’enneigement artificiel à grande échelle. Mais ce recours à la neige de culture n’est pas donné à tout le monde. Ces dispositifs s’avèrent très coûteux et, surtout, ne permettent pas vraiment de compenser la perte d’enneigement naturel dans les stations les plus impactées par le réchauffement climatique.
La situation ne semble pas plus rassurante si l’on se réfère aux projections du Giec de 2019 sur l’enneigement des domaines skiables en haute montagne : par rapport à la période 1986-2005, l’épaisseur moyenne de neige en hiver à basse altitude devrait diminuer de 10 à 40 % entre 2031 et 2050 et de 50 à 90% entre 2081 et 2100. Et puisqu’un investissement immobilier se fait sur le long terme, il apparaît important de s’intéresser aux villes et régions qui cherchent à ne pas être uniquement dépendantes d’un tourisme mono- centré sur la pratique des sports d’hiver.
De nombreuses stations ont déjà décidé d’explorer des loisirs estivaux pour compléter leur offre touristique. Et certaines sont plus en avance que d’autres. « Certains expriment des craintes vis-à-vis du changement climatique et nous récupérons de nouveaux biens immobiliers en basse altitude, admet Oonagh Mackenzie. Mais la mairie de Chamonix a été très proactive et s’est fortement diversifiée ces cinq dernières années. » Durant l’été, Chamonix accueille par exemple le marathon et l’Ultra-Trail du Mont-Blanc mais aussi plusieurs festivals culturels et de musique comme le CosmoJazz ou le Chamonix Vallée Classics. « Nous avons beaucoup plus de monde en été qu’en hiver et il s’agit en majorité de randonneurs », assure-t-elle.
« Nos acquéreurs ont un profil familial, avec une volonté d’usage à l’année et pas seulement l’hiver ! Megève est un village qui vit toute l’année avec un engouement de plus en plus présent l’été, valide Gaël Lombard. Le réchauffement climatique est un fait, il faut s’adapter et Megève n’a jamais eu vocation à être seulement une station de sports d’hiver, et ce, depuis son origine. »
Il fait valoir l’obtention de son deuxième Flocon vert, un label obtenu par une trentaine de stations françaises à ce jour récompensant leurs efforts écoresponsables. Il s’agit par exemple d’alimenter les remontées mécaniques avec 100 % d’énergie renouvelable ou encore de privilégier des canons à neige économes en eau.
Une diversification touristique vitale
« Oui, l’immobilier de montagne, en tout cas à Megève, reste une valeur refuge, maintient Gaël Lombard. Megève est un village prestigieux de montagne qui vit à l’année, où l’on peut skier, mais également faire beaucoup d’autres choses, en termes de qualité de vie, de services, de commerces, d’hébergement, de gastronomie, etc. » Mention est par exemple faite aux activités proposées par le Palais des sports, mais aussi aux festivals de Toquicimes (gastronomie de montagne) et Jumping international (équitation). Plus récemment, une nouvelle salle des congrès a vu le jour pour développer le tourisme d’affaires. Les activités de plein air comme la randonnée, le VTT, l’escalade, le parapente mais aussi le tourisme de bien-être ont gagné en popularité dans la totalité des stations en basse, moyenne et haute altitude. Certaines stations du Massif central, comme Super-Besse et Le Mont-Dore, ont aussi misé sur des équipements récréatifs comme des parcs aventures et des centres aqualudiques.
Plusieurs programmes de restauration de sites historiques ont aussi émergé : dans les Pyrénées, par exemple, plusieurs musées et centres d’interprétation du patrimoine ont été créés pour valoriser l’agropastoralisme et l’industrie du XIXe siècle, afin d’attirer les touristes, y compris pendant la saison estivale.
En résumé, l’investissement dans l’immobilier de montagne reste avantageux, à condition de prendre en compte non seulement l’emplacement et la qualité du bien, mais aussi son efficacité énergétique, sa capacité à générer des revenus locatifs toute l’année et sa conformité avec les normes écologiques. La garantie de rentabilité et de durabilité reste aussi fortement dépendante du niveau d’efforts de diversification de l’offre touristique entrepris par les stations.
Podium de l’immobilier en station
Le plus cher en 2023
• Les Alpes (4 672€/m2 soit + 4,9%)
Top 10
Val d’Isère (14 758 €/m2)
Courchevel (12 600 €/m2)
Megève (11 057 €/m2)
Meribel (10 615 €/m2)
La Clusaz (10 364 €/m2)
Chamonix (9 688 €/m2)
Les Gets (8 348 €/m2)
Avoriaz (8 131 €/m2)
Val Thorens (8 103 €/m2)
Tignes (7592 €/m2)
• Le Jura (2 671 €/m2, soit + 1,3 %)
• Les Pyrénées (2 502 €/m2, soit + 6,6%)
• Les Vosges (1 901 €/m2, soit – 2 %)
• Le Massif central (1 756 €/m2, soit + 4,6 %)
• La Corse (1 576 €/m2, + 7,1 %).
Source : Prix des logements en station de ski en novembre 2023 de la Fnaim.
À lire également : Marché immobilier français : en 2025, la reprise se confirme
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