Ses collections de bijoux, de sculptures audacieuses sont de toutes les shopping listes. Et même le « How to spend it » du très sérieux Financial Times s’attarde sur le phénomène. Mais il serait trop hâtif de résumer Anissa Kermiche à ses créations virales de vases en forme de popotins, de poignées d’amour et autres attributs féminins… La Franco-Algérienne installée à Londres est une orfèvre passée maître dans l’art d’égayer nos intérieurs et nos humeurs. L’ancienne élève ingénieure férue d’informatique s’est créé une véritable signature à l’effigie des Femmes, des héroïnes qu’elle célèbre avec tendresse et conviction. Découverte.
Vous transformez les objets de la vie quotidienne en ‘art qui se porte’. Quelle est l’histoire derrière ces créations ?
Anissa Kermiche : Depuis toute petite, je me suis toujours amusée à détourner les objets de leur usage premier. Transformer des cerises en boucles d’oreilles ou des anneaux de rideaux en bracelets par exemple. Je me souviens m’être enroulée entière dans des chaînes cassées de vélo en m’imaginant porter une robe moulante en fer… La réalité ne n’a jamais trop intéressée et il a toujours fallu que je me crée un monde de fantaisie. C’est sans doute mon amour inconditionnel pour le surréalisme, la sculpture qui s’exprime à travers mes créations.
Vous déshabillez les femmes à travers votre ligne de vases et de céramiques aussi sensuels que voluptueux. Ces objets design représentant des poitrines, hanches et popotins sont devenus des best-sellers… Assumez-vous d’être une artiste transgressive ?
Anissa Kermiche : Je ne suis ni la première, ni la dernière créatrice à travailler autour du corps et de la nudité. Là où j’aime cependant penser que mon travail a une valeur ajoutée, c’est en ayant secoué quelque peu le monde du bijou et du design ! On dit en anglais “think outside of the box” (sortez du cadre), ce qui est mon mantra en général. Je trouvais le monde du design un peu trop rigide et m’étonnais qu’un objet fonctionnel ne soit souvent juste appréhendé de manière géométrique. Cylindres, cubes… pourquoi les objets du quotidien ne présentent-t-ils pas de formes plus pensées ? L’art et l’originalité ne devraient pas se limiter à des toiles accrochées à nos murs, selon moi. C’est dans ce sens que nous sommes en train d’imaginer des vases, bougeoirs, ronds de serviette, etc… avec des formes ludiques, qui puissent égayer les intérieurs.
Certaines de vos créations empruntent aux parures du vestiaire algérien comme la ligne ‘Louise d’or’ (colliers, boucles d’oreilles…). Vous êtes notamment riche de cette double culture. Quelle est la part d’inspiration de votre pays d’origine ?
A.K : Je suis ravie que vous releviez ce point ! Je me rends rarement compte de l’origine de mes dessins sur le moment même, mais plutôt une fois que la collection existe. C’est en ce sens que la création est incroyablement thérapeutique. Cette collection “Liberte Egalite Féminité” s’inspire également de la Révolution Française : chacune des pièces porte le nom d’une révolutionnaire qui a sacrifié sa vie pour les droits des femmes. J’ai mêlé cela a des formes de bijoux que nous trouvons en Algérie comme un symbole de l’émancipation de la femme immigrée, à l’image de la génération de mon Algérienne de mère, une femme forte, pugnace, convaincue.
Instagram a joué un rôle important dans votre éclosion médiatique. Quelle a été votre stratégie digitale pour devenir un phénomène viral ?
A.K : Nous savons tous que personne ne se rend plus sur les sites Internet des marques… mais plutôt sur leur plateforme Instagram, raison pour laquelle cette vitrine a toujours été une priorité dès notre lancement. Lorsque je me suis lancée il y a cinq ans, j’ai construit le feed comme un lookbook, lorsque les marques n’y songeaient pas vraiment encore. L’esthétique, la charte graphique ne devaient souffrir d’aucune approximation. Nos campagnes sont de fait travaillées en profondeur. En tant que petite marque distribuée dans des adresses de prestige, à l’instar du grand magasin Printemps, nous nous retrouvons en compétition avec de grands joailliers qui ont des budgets faramineux à investir, notamment dans des shoots publicitaires.
Produire du contenu à moindre coût relève du parcours du combattant. Il faut donc déborder d’imagination en présentant des concepts novateurs aux photographes ou directeurs artistiques. Ces derniers apprécient de pouvoir enrichir leur portefeuille créatif par ces travaux plus audacieux, moins standardisés pour lesquels ils acceptent volontiers d’offrir des prestations à un tarif plus bas aux jeunes griffes comme la mienne.
Vous résidez à Londres, une ville que vous qualifiez d’idéale pour les gens curieux. Que trouvez-vous à Londres qui n’existe nulle part ailleurs ?
A.K : Au risque de me faire ‘taper sur les doigts’ pour ce que je vais dire, ce n’est au final pas Londres en elle-même qui me fascine… mais la mini-Europe qu’elle constitue. Ceci grâce à nous, Européens, qui sommes venus poser nos valises avec des rêves et pleins d’espoir. Le bouillon culturel génère une dynamique avec une impression de possibilités infinies. Les éternels insatisfaits – dont je suis – y sont au paradis, car il y a toujours quelque chose à célébrer, une nouveauté à découvrir…
Le confinement a été propice à la réflexion, voire à l’introspection pour beaucoup d’entre nous. Que ressort-il de cette période tant sur le plan créatif que personnel ?
A.K : J’adorerais dire que le confinement m’a permis de me ressourcer mais cela a été tout le contraire ! Nous avons fortement bénéficié de cette période où, justement contraints à l’introspection, les individus ont dû repenser leurs intérieurs. Très concrètement, notre activité online a quintuplé et j’ai même dû recruter de nouveaux salariés à distance. Sur le plan créatif, l’enthousiasme général autour de mes créations m’a convaincue d’étendre mon offre.
Sur le plan personnel, j’ai réalisé que je travaillais bien mieux isolée mais que le contact humain était tout de même irremplaçable pour innover et progresser. Nous avons depuis adopté de nouvelles méthodes de travail qui semblent fonctionner pour tout le monde, avec quelques jours depuis la maison.
Anissa Kermiche, dans dix ans ?
A.K : Rien ne m’effraie plus que le temps qui passe, même si j’ai quelque part hâte d’atteindre l’âge de la retraite pour m’adonner à mes passion et lever le pied au travail ! Je n’ai pas de but quantitatif mais j’espère continuer d’enthousiasmer les gens par mon travail, garder ma naïveté créative même sous la pression des impératifs marchands. J’espère que mon équipe aura grandi tout en s’épanouissant à mes côtés ! Néanmoins, ce qui m’importe le plus est de ne pas être un effet de mode. Espérons que dans 10 ans, Forbes s’intéressera toujours à mon travail…
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