Les clubs privés bien connus de nos élites ont toujours la vie belle, à condition de s’adapter et de partager leur terrain de jeu avec de nouvelles structures. Enquête.
Le Siècle, le Jockey, l’Interallié, le Saint James, le Travellers, le Polo, le Tir… Dans les cercles parisiens ultra privés où la distinction d’un membre se mesure à son degré de confidentialité, on n’entre pas, on est admis. « Un beau nom, une existence brillante, le goût des chevaux et de la dépense assurent l’admission au Jockey », écrivait en 1864 Charles Yriarte, le premier historien du Jockey, que Marcel Proust citait déjà comme le sanctuaire de l’élite. Que du beau monde en somme, où grands patrons, aristocrates et hautes personnalités politiques se côtoient depuis plus d’un siècle, qu’il s’agisse de savourer un filet de turbot rôti à la terrasse du Saint James, de se défouler lors d’une partie de tennis au Tir aux pigeons, ou de montrer ses talents au polo. Mais il est très ardu de devenir membre de ces clubs luxueux et discrets (majoritairement masculins), qui sont avant tout des lieux de pouvoir et d’influence où l’on peut « faire des affaires sans en avoir l’air », selon l’un de leurs adhérents. C’est que, pour se mêler à l’élite des personnalités politiques, industrielles et intellectuelles du pays, l’excellence d’un curriculum autant que les qualités humaines basées sur des valeurs (l’éducation, le bon goût, le dépassement…) sont requises – et la cooptation de rigueur.
Il ne s’agit pas d’exhiber, mais d’être adoubé. Pourtant, en ces temps où l’on débat à l’envi de l’égalité femme homme et de la mondialisation d’une économie en pleine transformation digitale, les cercles des grands patrons semblent accuser un léger « coup de vieux ». Sous les ors et les boiseries des hôtels particuliers au charme parfois suranné, l’entre-soi ne constitue plus une valeur, voire un attrait. Un vent nouveau souffle sur la sphère professionnelle : des clubs d’entrepreneurs, des think tanks, des réseaux plus agiles et ouverts s’organisent. L’esprit et la culture du digital s’invitent dans les réseaux des classes dirigeantes, avec la volonté d’abolir les différences et de privilégier l’efficacité sans distinction d’origine ou de parcours : ce sont les meilleurs qui intéressent, pas les mieux nés !
Des cercles pour le business
Pour cultiver en toute sérénité sa communication, ses relations d’affaires et son corps en salle de fitness, certains clubs ont transformé l’essai de la carte « business ». « Le Saint James ne s’inspire pas du modèle du club à l’anglaise où l’on se retrouve entre amis, c’est plutôt un outil de travail. Nos membres, issus de la banque, du monde politique ou de la publicité, organisent leurs petits déjeuners d’affaires, leurs déjeuners au restaurant ou en privé. » Avec son jardin à l’anglaise, ses tentures de velours et sa moquette léopard dans un esprit rétro chic, l’hôtel particulier de l’Ouest parisien a fait peau neuve. Ouverture du pavillon à l’hôtellerie (Relais & Châteaux), table gastronomique, inauguration d’un spa. « L’image des clubs a tendance à vieillir, mais ce n’est pas notre cas grâce au service hôtelier qui nous oblige à nous mettre à la page », explique Laure Pertusier, directrice générale du Saint James Paris. Avec le même nombre de membres depuis sa création (650), celui qui figure en bonne place parmi les clubs historiques de la capitale opère une « sélection plus démocratique, orientée business, et moins élitiste que le Jockey Club, par exemple ; il arrive régulièrement qu’un haut dirigeant coopte un associé ».
Salon déjeuner Club Saint James Paris
Clubs privés : Où sont les femmes ?
Si ces fraternités d’hommes moyennant plusieurs milliers d’euros d’adhésion et de cotisation annuelle prennent des formes nouvelles, les femmes semblent étonnamment encore mise à l’écart. Le club privé serait-il le dernier bastion d’une misogynie sociale ? « Une tradition plus que de la discrimination », explique un membre de l’Automobile Club sur l’adhésion toujours interdite aux femmes, qui sont tolérées dans certaines activités, « en tant que conjointes ». Dans les autres cercles, désormais ouverts à ces dames, leur faible pourcentage reflète l’écart professionnel qui prédomine dans les hautes instances. « Nous avons des femmes d’affaires connues qui prennent leur rendez-vous chez nous, mais il y a seulement 20 % de membres féminins », précise Laure Pertusier.
Le club comme gardien des valeurs
D’autres espaces privés fédérés autour de passions sportives élitistes comme le cheval, le tennis ou le tir au vol se sont largement ouverts aux femmes. « L’ADN du Tir aux pigeons, qui fut l’un des premiers cercles de tir en Europe avant d’y développer le tennis, est d’avoir des générations de familles rassemblées autour d’activités sportives », explique François Bayard, président bénévole du Tir aux pigeons. Il ajoute : « Certaines grands-mères, qui ont appris à nager ici, accompagnent leurs petits-enfants au tennis, c’est un rendez-vous familial au-delà du rendez-vous sportif où nous souhaitons, quitte à passer pour old school, créer du lien avec quelques règles de savoir-vivre. » Dans cet écrin bucolique qui s’étend autour de deux étangs au cœur du bois de Boulogne, la liste d’attente est longue pour les déjà admissibles. « Les membres viennent plus et plus longtemps. Mathématiquement, on ne peut pas accueillir davantage. On essaie de trouver des solutions. » Spécificité oblige, le droit d’entrée des clubs est valable à vie. « Ce n’est pas un lieu de passage, mais c’est vrai que les gens évoluent et sont moins sédentaires, précise le président. On a initié une cotisation beaucoup plus élevée qui permettra d’intégrer le club sans payer les droits d’entrée. » À l’étude également, des adhésions réservées à la semaine pour éviter les goulets d’étranglements du week-end.
« Le Tir a su opérer un tournant de modernisation tant dans l’esprit que dans sa structure, en commençant par la rénovation et l’agrandissement de notre pavillon pour accueillir un restaurant, une salle de sport, un spa… et bientôt une piscine. » Ici, les générations passent mais elles se retrouvent dans des lieux physiques où le plaisir de partager une partie de tennis entre une mère et son fils ou sa fille vaut son pesant d’or. Dans une époque gouvernée par les réseaux sociaux et la dématérialisation du service, l’expérience est précieuse. Hospital Club à Londres, The Battery à San Francisco et, très récemment, We Are à Paris (voir encadré), sont de nouveaux clubs qui soutiennent les industries créatives car ce sont des acteurs majeurs de l’économie, en proposant à leurs membres un espace de découverte et de production de contenu (musique, cinéma, luxe, mode, édition…). « Comme un terrain de jeux qui décloisonne nos silos créatifs et permet aux membres issus de ces milieux de travailler de manière transversale », explique Éric Newton, fondateur de We Are. Des clubs toujours élitistes mais qui jouent un rôle de facilitateur professionnel : « Ces industries doivent jeter des ponts car le digital a tout balayé, le concurrent de TF1 n’est plus M6 mais Netflix, Facebook ou YouTube. » Des clubs « tendance » pour sceller les amitiés de demain… et les deals qui vont avec.
Pour reprendre la phrase culte du Guépard de Lampedusa, « quelque chose devait changer pour que tout reste comme auparavant. »
Le nouveau club We Are
Situé rive droite, à deux pas de Matignon, We Are Club regroupe les professionnels des médias. Son hôtel particulier -et de son jardin- de 1200 m2 ouvre ses portes aux artistes, entrepreneurs, et décisionnaires avec une programmation quotidienne mais également des espaces de production de contenu (studio Broadcast, lab culinaire…). Le club se revendique comme un lieu de transversalité où il « se passe tous les jours quelque chose ». Salle de cinéma, concert, exposition… Une sorte de « one-stop-playing » de la nouvelle scène artistique réservée à des membres en priorité issus des industries créatives. Restent ouverts au public, la restauration et ses espaces d’exposition.
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