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Le « goût Rothschild » vu par Jacques Garcia

Du 22 au 27 novembre prochains, au sein de la foire FAB Paris 2024, l’exposition Une Rothschild sur la Riviera * offrira un aperçu de ce que l’on a appelé « le goût Rothschild ». Une cinquantaine de pièces appartenant à la célèbre famille dont la plupart subliment l’incroyable villa Ephrussi, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, seront présentées dans deux salles. La scénographie a été confiée au grand décorateur Jacques Garcia. Entretien avec ce fin connaisseur du « goût Rothschild ».

Un article issu du numéro 28 – automne 2024, de Forbes France

 

Comment définissez-vous le « goût Rothschild » ?

JACQUES GARCIA : Pour commencer, par une immense générosité. Rendez-vous compte que cette famille a donné plus de 120 000 objets à l’État français ! C’est colossal. Ensuite, l’éclectisme. Les Rothschild se sont intéressés à tout, c’est ce qui fait leur force. Le Moyen Âge, la Renaissance, l’impressionnisme… Enfin, il y a une touche particulière que l’on retrouve dans les choix de leurs collections, des capitons, du velours, des couleurs vives.

 

Le nom de Rothschild est plus associé à la fortune qu’au bon goût. C’est injuste ?

J.G. : Je ne suis pas d’accord avec vous. J’ai toujours entendu parler du « goût Rothschild ». Ils étaient en concurrence avec le duc d’Aumale dont les collections sont exposées au château de Chantilly. C’est une rivalité qui ressemble à celle de François Pinault et Bernard Arnault aujourd’hui dans l’art contemporain. Guy et Marie-Hélène de Rothschild ont perpétué ce goût singulier tout au long du XXe siècle. Je les ai fréquentés, nous formions une coterie qui se retrouvait à l’hôtel Lambert dans les années 70, dans les boiseries et les dorures.

 

Comment êtes-vous entré dans ce cercle privilégié à 20 ans ?

J.G. : Quand on est riche et puissant, il nous manque une chose : la jeunesse. Et parfois, la beauté s’est étiolée. Il y avait donc, dans cette coterie, des jeunes gens qui apportaient leur fraîcheur. J’en faisais partie. Pour le reste, je n’entrerai pas dans les détails…

 

Pour en revenir aux pièces qui seront exposées au Grand-Palais, quand et comment ont-elles été réunies ?

J.G. : Les Rothschild ont commencé à acquérir des objets dès le XVIIIe siècle. Comme la famille s’est disséminée aux quatre coins du globe, il y en a de toutes provenances, de tous les styles. Et comme cela a duré plus d’un siècle, cela représente une quantité de choses incroyable !

 

Secrétaire à abattant, attribué à René Dubois, XVIIIe-XIXe siècle.
Baromètre, attribué à Adré-Charles BOULLE, XVIIIe

 

Comment avez-vous conçu votre scénographie pour l’exposition ?

J.G. : L’espace n’est pas très grand. J’ai voulu que l’on retrouve l’ambiance de la villa Ephrussi qui est une maison de bord de mer, avec des couleurs pâles, beige, rose… Ce n’est d’ailleurs pas le goût Rothschild tel que je vous l’ai décrit, mais ce décor met en valeur les meubles, peintures, sculptures ou porcelaines. Ce n’est pas non plus le style Jacques Garcia qui se caractérise par les teintes flamboyantes… J.G. : Ce n’est pas le goût « grand genre ». On imagine des femmes en robes légères et des hommes en costume de cotonnade et surtout pas en frac.

 

Comment avez-vous été choisi pour cette scénographie ?

J.G. : Les conservateurs de la villa Ephrussi sont venus me voir. Ils savaient que je connaissais leur monde, l’époque. Mais au fond, je ne sais pas trop pourquoi moi, il faudrait leur demander.

 

Le goût Rothschild et ce décor très soft que vous décrivez vivent-ils en harmonie ?

J.G. : Parfaitement ! On retrouve aussi cette union dans la villa Eugénie de Biarritz ou dans la villa de Sissi, à Corfou, en Grèce. Le bord de mer est une invitation à la douceur de vivre. On n’est pas dans la nécessité de puissance qui prévaut à Paris.

 

Découvrir des pièces qui n’ont jamais été vues dans la capitale provoque-t-il une émotion particulière ?

J.G. : Oui, pour les collectionneurs qui connaissent cet univers. Parfois, elles ont été restaurées dans les règles de l’art. Les amateurs devraient ressentir beaucoup de plaisir en les voyant ainsi ressuscitées.

 

Et vous, quels sont vos goûts personnels ?

J.G. : Je suis propriétaire du château du Champ de Bataille, dans l’Eure. J’y expose des collections qui datent de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Il est entouré par le plus grand jardin d’Europe qui fait quelque 44 hectares et il est ouvert au public. C’est l’architecte Le Vau qui l’a construit avant de construire Versailles. J’ai essayé de reconstituer l’époque. Pour le reste, mes goûts sont éclectiques, et vont de l’Antiquité à l’art contemporain.

 

De quelle collection êtes-vous le plus fier ?

J.G. : J’ai plusieurs collections que j’aime mais j’ai un frein, contrairement aux Rothschild ou à Bernard Arnault, l’argent. Parfois, je dois me séparer de certains objets pour en acquérir d’autres. C’est douloureux mais je n’ai pas le choix.

 

Les Rothschild étaient-ils sensibles à la mode ?

J.G. : Pas du tout, ils faisaient la mode ! Ceux qui courent après la mode sont influencés par leurs marchands qui leurs disent ce qu’il faut acheter. Les Rothschild ont un dialogue direct avec les œuvres. Comme le duc d’Aumale et tous les grands collectionneurs.

 

La nouvelle génération des Rothschild est-elle sensible à l’art ?

J.G. : Je ne sais pas… La famille a mis beaucoup de pièces en vente récemment… Il faudrait leur demander.

 

La villa Ephrussi, un trésor méconnu

 

 

La villa paradisiaque inspirée de la Renaissance italienne a été construite à Saint-Jean-Cap-Ferrat, au bord de la Méditerranée, par Béatrice Ephrussi de Rothschild, au début du XXe siècle. La baronne, qui était l’une des plus importantes collectionneuses de son temps, y a placé nombre d’objets et œuvres de choix que l’on retrouvera, pour certains, au sein de l’exposition du Grand-Palais. La sélection a été réalisée par la nouvelle directrice de la villa Ephrussi, Oriane Beaufils.

Peu avant sa mort, en 1933, la baronne, qui n’a pas eu d’enfant, a légué
la bâtisse, les jardins de 7 hectares et les 5 000 pièces de sa collection à l’académie des Beaux-Arts qui a obtenu en 1996 le classement de l’ensemble au titre des Monuments historiques.

3 questions à Oriane Beaufils, directrice de la villa Ephrussi

 

 

Pouvez-vous nous renseigner sur la valeur des pièces de la collection ?

ORIANE BEAUFILS : Comme il s’agit d’une collection publique, on ne donne pas de prix, ni de gamme de prix.

On peut néanmoins dire que la baronne Béatrice a dépensé beaucoup d’argent dans sa collection d’art, notamment la porcelaine de Sèvres dont elle raffolait. Les quelques archives de ses comptes qui subsistent aux archives Rothschild font état d’une « tasse-mania ». Elle a acheté un nombre incalculable de tasses, parfois pour 10000 francs de l’époque sur un trimestre, ce qui représente une somme considérable !

Comment la collection s’est-elle constituée à travers les âges ?

O.B. : La collection de la villa rassemble toutes ses possessions : le contenu de la villa du Cap-Ferrat, de son hôtel particulier avenue Foch à Paris et de ses deux villas à Monaco. Elle collectionne, à partir des années 1890, peut-être un peu avant. Elle a grandi dans un monde de collectionneurs et est une habituée dès le plus jeune âge du milieu antiquaire. Elle achète aussi jusqu’à sa mort. En 1934, on lui livre encore une dernière tasse, c’est dire… Fidèle à l’esthétique Rothschild, elle aime les arts décoratifs du XVIIIe siècle français.

Son goût a évolué au fil du temps…

O.B. : Dans les années 1920, elle s’intéresse à l’impressionnisme et acquiert un Monet, des Renoir, un Sisley. Elle voyage beaucoup et sa quête d’exotisme se retrouve dans les collections : paravents en laque de Coromandel, tapis kazakh, chaussures mandchoues ou chasubles italiennes.

 


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