Karen Swami a les mains au contact de la terre, et ce, depuis l’enfance. Au fil d’une brillante carrière dans le cinéma, la terre qu’elle travaillait sur son tour installé dans son bureau de productrice, a finalement modelé son destin. Ses céramiques voyagent à présent dans le monde entier et agrémentent les plus beaux intérieurs des grands décorateurs français.
Elle se dit pragmatique. Elle est surtout ancrée dans la terre. La terre qui, passée entre ses mains, se transforme en contenants élancés vers le ciel, aspirant à la perfection mais assumant totalement leurs imperfections comme on fait de ses faiblesses une force. La beauté de ces vasques, de ces pots, de ces pièces aux volumes généreux, tient tout entière dans les accidents de leur vie, dans les réparations, les petits défauts qui trouvent leur propre équilibre, et ne gênent en rien une harmonie agréable à regarder.
La terre a toujours été, pour elle, une respiration. On dit de ses pièces qu’elles sont « tendance » wabi-sabi, mingei *? Pur hasard. C’est la résolution des problèmes, la volonté de sauver des pièces parfois fissurées, l’envie soudaine et incontournable de travailler une couleur, une énergie venue de l’intérieur qui la meut et la plonge dans l’esprit du temps. Karen Swami est avant tout à l’écoute d’elle-même, de ses désirs, de ce qui la traverse et qu’elle donne ensuite à ses mains le devoir de traduire.
Dans le Paris des années 50-60, son père est photographe de mode. Pour Karen, inscrite à un cours de poterie depuis l’âge de cinq ans, sa passion, c’est la terre. Elle fera pourtant une grande école de commerce international, se retrouve à Berlin au moment de la chute du Mur, au sein d’une entreprise chargée de privatiser les biens immobiliers de l’Allemagne de l’Est. C’est du sérieux ! Mais sa fibre artistique vibre toujours. Rentrée à Paris, elle suit les cours de l’Ecole du Louvre, qu’elle délaisse, les trouvant trop théoriques. Elle veut du concret, pétrir le réel comme de l’argile. Un détour par l’immobilier, puis ce sont les Antiquités au marché Paul Bert pendant deux ans, aux côtés de son mari. Devenue mère, elle délaisse la terre. Séparée, l’obligation de travailler, elle tombe dans le cinéma et devient en 2003, productrice pour la société d’Ariel Zeitoun, travaille ensuite avec Alain Terzian, défendant les intérêts des producteurs indépendants. Elle élabore des business plans, gère la production, déléguée ou exécutive, de longs métrages. Ne laisse rien au hasard. Et manque infiniment d’oxygène ! Reconversion professionnelle, stage à Montreuil, CAP de tourneur, à distance. Son professeur lui conseille de « tourner » tous les jours. En 2010, elle installe son tour et un four pour cuire les pièces dans son bureau et prend sa « respiration » entre deux coups de fils. « La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil» de Joann Sfar sera son dernier film. Le fil des relations amène le grand décorateur parisien, Christian Liaigre, à découvrir son travail, et les premières acquisitions de la maison Christian Liaigre commencent en 2012. C’est pour Karen Swami une véritable révélation. « Dans la vie, on passe son temps à se chercher soi-même, dit-elle. Et là, je m’étais enfin trouvée. En terme de ressenti, c’était de la bombe ! Une énergie incroyable. Quand je fais de la terre, ça pétille ! ». Le pétillement la portera jusqu’à la rue Victor Schoelcher, l’homme politique français qui a aboli définitivement l’esclavage en France, né comme elle, un 22 juillet. Au numéro 6, une boutique cherche preneur. Ce sera sa galerie et son atelier, le lieu de son accomplissement. Depuis octobre 2014, elle y fabrique ses pièces sur son tour, installé en arrière de la vitrine, dans cet espace couvert d’étagères et de céramiques couleur jade, blanc craquelé, noir carbonique, au centre duquel trône un rocking chair. « Je ne me revendique pas forcément japonisante, Je fais ce qui me plait ! ».
Les grands noms du design et de la décoration craquent pour ses créations : la prestigieuse Maison Alberto Pinto, Bruno Moinard, le scénographe du luxe, ancien partenaire d’Andrée Putman, et depuis novembre 2016, Christian Dior Maison qui expose les pièces uniques signées Karen Swami dans l’espace Dior Maison de Londres.
A la recherche du noir de carbone, elle a découvert que celui-ci ne s’obtient en céramique que par enfumage. La pièce, encore crue, doit être polie pendant des heures avec une agate, cuite une première fois dans un four électrique puis cuite à nouveau à presque mille degrés, puis plongée, incandescente, dans la sciure qu’elle enflamme. La fumée, alors, pénètre dans l’argile. La voltige consiste ensuite à créer une atmosphère pauvre en oxygène pour intensifier le noir. Or ces pièces se fissurent souvent à la cuisson. Karen a cherché à les sauver. Elle a découvert la technique Kintsugi inventée à l’origine par les laqueurs japonais pour réparer les pièces cassées. Si la cassure signe, pour elle, la fin de la vie, en revanche Karen sublime les fêlures en utilisant la laque végétale (urushi) saupoudrée ensuite d’or pur (kintsugi). « La fissure, la réparation de la fissure, la sublimation de la fêlure, dans le sens de faire des faiblesses une force, cela s’est imposé à moi de façon hyper pragmatique : j’ai fait ça pour palier un problème technique et j’ai découvert le concept à postériori. » Elle qui planifiait l’avenir, intègre totalement l’imprévu dans sa pratique. « Mon partenaire privilégié, c’est l’accident » dit-elle. « La justesse du geste est beaucoup plus acquise qu’il y a cinq ans, donc moins extraordinaire à mes yeux. Du coup, c’est l’accident qui va me surprendre et qui m’entraine dans la révélation de quelque chose qui m’échappe. C’est l’accident qui produit la pièce. Ce qui est exprimé vient d’ailleurs, je ne suis qu’un intermédiaire. En gros, je n’y suis plus pour grand chose… ce qui me permet d’accueillir plus facilement les compliments ! ». Dans sa galerie, le temps s’écoule, à l’écart de l’agitation de la ville, à la recherche de l’équilibre de la forme. Au gré des pièces nait au monde un supplément de beauté.
Karen Swami céramiques,
6 rue Victor Schoelcher 75014 Paris
Tel. : 06 86 30 99 25
* : Wabi-sabi
En japonais, Le wabi fait référence à la plénitude et la modestie que l’on peut éprouver face aux phénomènes naturels, et le sabi, la sensation face aux choses dans lesquelles on peut déceler le travail du temps ou des hommes.
Mingei : mouvement artistique japonais de poterie et de céramique inspiré par le mouvement anglais Arts and Crafts
Texte par Françoise Spiekermeier pour Plume Voyage Magazine © Françoise Spiekermeier
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