Ceux qui l’ont connu vous le diront. Jean-Loup Dabadie était un homme drôle, raffiné et singulier tout en restant populaire. Il cultivait cette singularité en jouant avec les mots comme personne. Il en était amoureux comme un académicien et écrivait comme un poète. Le regretté Michel Piccoli disait du scénariste qu’il était un écrivain « mélancomique ».
Nous sommes aujourd’hui tristes et c’est normal. C’était une personnalité attachante, cultivée et passionnée. Il nous manquera même si les hommes rares ne meurent jamais réellement. Leurs créations non plus. Il croquait la vie à pleines dents avec ses rires, ses larmes, ses doutes, ses émotions. J’entends encore ses imitations et ses anecdotes si originales et si drôles. Il pouvait jouer plusieurs rôles à la fois. De nombreux sujets étaient abordés dans l’intimité comme dans ses scénarios où il excellait. Il observait les individus avec émotion et les actions avec justesse.
Les textes qu’il écrivait pour ses comédiens et ses comédiennes étaient du sur-mesure. Sa signature était de la haute couture. Tout était écrit dans ses scénarios et rien ne manquait, à la virgule prêt. Claude Sautet lui dit un jour : « Il faut que tu m’écrives les regards » alors Jean-Loup écrivit « Elle baisse les yeux ». Il fera dorénavant parler les regards, les gestes, les sourires des comédiens et des comédiennes. Jean-Loup Dabadie avait compris qu’un acteur pouvait d’un seul regard, dire, interroger, deviner, douter. C’était ensuite du velours pour les metteurs en scène avec lesquels il travaillait. La complicité qu’il avait eue avec Claude Sautet, Yves Robert, Claude Pinoteau et Jean Becker, pour ne citer qu’eux, était exceptionnel. Ainsi, il y avait une vraie alchimie entre Jean-Loup Dabadie et les metteurs en scène comme Claude Sautet : « Ce qui est bouleversant, c’est qu’une fois qu’il m’avait lu, on corrigeait. C’est trop long, ça accroche ici, il y a tel mot qui … On avait lui et moi, je peux le dire, avant d’avoir l’œil, une très bonne oreille. On sentait bien la résonance des mots …Alors je me remettais au travail jusqu’à ce que fatigue s’ensuive. »[1] En parlant de Claude Sautet, il se disait [en plein tournage] qu’il ne serait jamais surpris du résultat final. Et il avait raison ! Combien de fois avons-nous revu dans le film du dimanche soir, César et Rosalie ou Vincent François Paul et les autres sans se lasser ! Aujourd’hui, il n’y a plus de jour pour les voir ou les revoir sans modération. Ces films étaient de grands crus. Ils ont bien vieilli comme le Château Figeac, un vin de Bordeaux qu’il appréciait tant. C’est Jean-Loup Dabadie et son fils Clément qui m’ont fait découvrir le Château Haut-Bailly. C’est devenu depuis mon Pessac Léognan préféré.
Un scénario était avant tout une histoire avec des personnages et des énigmes. Les situations n’arrivent jamais comme on le pense. Par exemple, dans les films avec Claude Sautet, nous ne savions jamais qu’elle serait la fin. Il ne commençait jamais un scénario sans un titre. Romain Gary disait que derrière un titre il y avait toujours quelque chose, une idée, un instinct, une intuition, une intention. Romain Gary rajoutait : « n’attends pas d’avoir un sujet pour écrire. Il m’avait regardé de ses yeux étrangers : « Écris » »[2] Quand on cherche un titre de cinéma, il faut l’écrire en majuscules. C’est souvent le titre qui donne envie ou non d’aller voir ce film s’exclamait Jean-Loup Dabadie. Il disait également à propos de l’histoire d’un film : « Les idées trop claires n’intéressent personne, tout comme les histoires. Pour les scénaristes, une histoire de gens qui n’ont pas d’histoire n’intéresse personne. Il faut que les gens aient des histoires qui font des histoires, qui sont compliquées »1
Nous retrouverons dans le scénario des films qu’il fera avec Claude Sautet, les thématiques de l’usure, l’échec, le temps, la camaraderie masculine, les femmes, les disputes, les retrouvailles, le doute, le rire, la tristesse, la solitude, l’abandon, la séparation, la joie, les restaurants enfumés. Les cafés, c’est comme Paris, c’est vraiment mon univers dira Claude Sautet au bonheur de Jean-Loup Dabadie qui aimait également les ambiances de brasseries et de bistrots. Le magicien des mots de la langue française repose désormais en paix dans son village de l’Ile de Ré qu’il affectionnait tant. L’environnement était primordial dans sa vie comme dans ses films. Ainsi, les Choses de la vie se passe en partie sur l’île de Ré et la maison dans César et Rosalie sur l’île de Noirmoutier et certaines scènes de Garçon dans cette dernière île. Quand il n’était pas rue de Passy, c’est à l’île de Ré qu’il écrivait la plupart de ses sketchs, ses pièces de théâtre, ses chansons et ses films que nous avons tant aimés. Il appréciait le silence, le ciel bleu, la mer et les senteurs qu’il retrouvait à la « Varangue », sa lumineuse maison des Portes-en-Ré durant la période estivale. C’était son paradis ! Il a été heureux. Il venait également hors saison pour y trouver l’inspiration nécessaire à son art : l’écriture. Il aimait y faire du vélo, s’y ressourcer et y travailler. Il aimait les bains de mer à la pointe de son île comme son ami Jean d’Ormesson les prenait dans la baie de Saint-Florent en Haute-Corse. Il venait régulièrement à la Colombe d’Or au mois de juin avec sa femme Véronique profiter de ce lieu chargé d’histoire qui avait vu passer tant de chanteurs, d’écrivains, de comédiens, et d’artistes célèbres depuis les années 20. Cet endroit calme et magique respirait l’histoire. Nous croisions autrefois Lino Ventura, César, Yves Montand, Serge Reggiani, Simone Signoret. Jean-Loup Dabadie adorait jouer aux Scrabble avec la comédienne de Casque d’Or. Il aimait ces moments magiques et inoubliables où le temps semblait s’arrêter. Il nous laisse aujourd’hui une œuvre qui le rend définitivement immortel. Merci d’avoir été un grand magicien de la langue française et d’avoir écrit de si jolies histoires. Des histoires qui font partie des choses de la vie et de notre vie.
[1] – N.T. Binh – Dominique Rabourdin. Editions de La Martinière. 2005
[2] – Philippe Labro. Je connais des gens de toutes sortes. Gallimard. 2002
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