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Immobilier | Le viager ressuscité

Avec un marché de l’immobilier qui a enclenché un nouveau cycle dû à une inflation structurelle et le vieillissement de la population, le système de vente immobilière en viager, dont les origines remontent aux empires babylonien, égyptien et romain, connait un renouveau inédit. Souvent méconnu ou mal perçu par une partie de la population, le viager semble s’imposer comme une réponse innovante à des problématiques nouvelles, et devrait amplifier sa croissance ces prochaines années.

 

Le viager, malgré des origines qui datent de l’Antiquité, trouve une résonance particulière aujourd’hui à cause de plusieurs facteurs clés. En premier lieu, des facteurs économiques : l’inflation structurelle, notamment sur des biens de première nécessité, le déficit commercial record et un fort taux d’imposition entraînent une baisse du pouvoir d’achat. Bon nombre de seniors sont alors à la recherche de solutions pour maintenir leur niveau de vie. Parallèlement, le niveau plus élevé des taux d’intérêts, corollaire de la hausse de l’inflation, limite également les possibilités de crédits immobiliers et donc les achats de biens. Ce qui crée un contexte où les acquéreurs sont à l’écoute de solutions permettant de lisser l’achat d’un bien et les vendeurs potentiels ont davantage besoin de trouver des moyens de doper leur pouvoir d’achat. Ensuite, des facteurs démographiques : la France rentre dans une phase active d’augmentation du nombre de seniors.

 

La prévision ancienne du papy-boom est en train de se réaliser et se conjugue avec l’allongement de la durée de vie du fait des progrès de la médecine. Cette modification démographique constitue un terrain favorable pour le marché du viager. Selon les différentes projections, notamment celles du rapport de la concertation Grand âge et autonomie par Dominique Libault de 2019, les plus de 65 ans seront multipliés par deux et les plus de 85 ans seront multipliés par trois d’ici 2050. Ce vieillissement de la population pose des questions nouvelles de dépenses sociales de la dépendance, qui auront besoin de trouver des sources de financement nouvelles. Le viager qui permet de « libérer des liquidités » trouve donc plusieurs échos favorables dus à ces différentes évolutions factorielles.

 

C’est ainsi que les professionnels du secteur expliquent la dynamique autour des offres du type viager : « Les vendeurs que nous rencontrons ont besoin de vivre plus sereinement leur troisième et quatrième âges à domicile, dans le logement où ils ont tous leurs repères, et même pour certains, afin de vivre plus dignement. Nombre de nos grands- parents vivent avec le minimum vieillesse et un pouvoir d’achat qui ne cesse de s’affaiblir. Bien qu’ils détiennent une richesse enfermée dans la pierre, personne ne les a informés qu’ils pouvaient hériter d’eux-mêmes et rendre mobile cet argent cristallisé dans leur bien immobilier », explique Sophie Richard, fondatrice de Viagimmo.

 

Des modalités diversifiées et adaptées

La vente en viager est une formule immobilière ancienne, dont les modalités ont évolué pour se réadapter aux besoins contemporains. Le principe du viager, à comprendre au sens large, repose sur une cession de bien immobilier en échange d’un capital et/ou d’une rente versée à vie. En France, le terme viager s’entend au sens large tant il existe de formules qui dessinent des solutions adaptées à des besoins divers. Il est essentiel de se faire accompagner par des professionnels pour comprendre tous les enjeux et implications.

 

Petit rappel :

  • Viager occupé : cette formule, ancienne et largement répandue, permet au vendeur de conserver le droit d’habiter ou d’utiliser le bien jusqu’à un moment précis, par exemple son déménagement en maison de retraite ou son décès. En échange, il obtient un paiement initial nommé « bouquet », suivi d’une rente mensuelle à vie. La présence de cette rente vise à équilibrer la réduction de valeur du bien en raison de son occupation.
  • Viager libre : à l’opposé du viager occupé, le viager libre propose la vente d’un bien sans restriction d’occupation. L’acheteur a alors la liberté d’y résider ou de le louer immédiatement après l’achat. Le vendeur bénéficie, comme dans le viager occupé, d’un « bouquet » suivi d’une rente mensuelle. Puisque le bien est disponible immédiatement, sa valeur est en général supérieure à celle d’un viager occupé où une décote est appliquée en raison de l’occupation.
  • Vente à terme avec occupation : dans ce schéma, le vendeur conserve le droit d’occuper le bien pour une durée préalablement établie, ou éventuellement jusqu’à son décès. La spécificité de cette formule réside dans le fait que la période de paiement est clairement définie dès le départ, éliminant ainsi toute incertitude. Le vendeur touche un capital au moment de la signature notariée, puis reçoit des mensualités sur une période déterminée.
  • Vente à terme libre : cette modalité se rapproche de la précédente, avec la nuance que le bien est immédiatement disponible pour l’acquéreur dès la formalisation de la vente. Le vendeur, quant à lui, bénéficie d’un capital initial lors de l’acte de vente, suivi de versements mensuels échelonnés sur une période fixée à l’avance, écartant tout imprévu.
  • Nue-propriété : l’achat en nue-propriété est un système dans lequel l’acquéreur n’achète que la « substance » du bien (abusus) sans pouvoir en jouir (ni usus, ni fructus). Le vendeur, quant à lui, conserve l’usufruit, c’est-à-dire le droit d’utiliser le bien et d’en percevoir les éventuels revenus (location, par exemple). Cette formule présente un avantage fiscal pour l’acquéreur, qui bénéficie d’une réduction sur la valeur du bien.

 

Sophie Richard, fondatrice de Viagimmo

 

Il existe aussi le bouquet sans rente ou la vente grevée du droit d’usage et d’habitation (DUH) qui est une variante de la nue-propriété, dans laquelle le vendeur conserve la possibilité d’habiter le bien jusqu’à la fin de sa vie mais il ne pourra pas le louer. En revanche, s’il part en maison de retraite ou vivre dans sa famille, il percevra un capital complémentaire. Bien souvent, dans ces deux cas, le paiement se fait sous la forme d’un capital unique versé le jour de la signature de l’acte.

 

Ces différents types de solutions sont également à l’origine de la dynamique nouvelle du marché. « La nue-propriété permet de toucher de l’argent dès la signature alors qu’avec le viager, c’est chaque mois, c’est pour cela que l’on observe que la vente de nue-propriété se pratique de plus en plus. Le vendeur détient l’usufruit du bien, peut l’habiter ou le louer contrairement au viager où l’on ne peut que l’habiter étant titulaire d’un droit d’usage et d’habitation », analyse Vincent Illouz, responsable Nue-propriété & Viager chez Daniel Féau France. Une dynamique nouvelle qui s’apparente, selon lui, à une réelle évolution du viager : « Le viager traditionnel connaît une mutation, avec un glissement vers la nue-propriété, perçue comme un “viager 2.0”. Ce système permet aux seniors de convertir leur bien immobilier en liquidités tout en continuant à l’habiter ou à le louer. »

 

Les principaux types d’acheteurs de ces solutions sont les particuliers, majoritairement âgés de 40 à 55 ans, souvent déjà propriétaires de leur résidence principale, qui cherchent à diversifier leurs investissements, ainsi que des investisseurs institutionnels pour qui le viager est une forme d’investissement locatif, mais sans les inconvénients classiques tels que les impayés ou le turnover de locataires.

 

Viagériste, un métier en croissance

Pour répondre à cette nouvelle dynamique, il faut que l’offre puisse suivre la demande. C’est ainsi que le métier de viagériste connaît, lui aussi, une nouvelle croissance. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser intuitivement, il ne s’agit pas tant que cela d’agents immobiliers qui font du viager que d’agences spécialisées tant les deux professions, malgré des similitudes évidentes, présentent des nuances distinctes.

 

Dans le domaine du viager, les transactions se déroulent généralement à un rythme plus lent, les modes de rémunération sont moins immédiats et les négociations commerciales diffèrent aussi grandement de ce qui se pratique habituellement dans l’immobilier. « La relation humaine établie entre le vendeur et l’acheteur, qui revêt une dimension plus personnelle dans le viager, est très différente de celle du métier d’agent immobilier. Il faut bien comprendre les motivations des vendeurs et les projets d’investissement des acheteurs, ce qui nécessite un accompagnement personnalisé particulier, souligne Vincent Gibelin, le fondateur d’Univers Viager. Le métier de viagériste est donc un métier de niche dans l’immobilier. » L’essor du viager devrait s’accompagner de création d’emplois de viagéristes et offre donc de nouvelles opportunités pour les (futurs) professionnels de l’immobilier.

 

Des perspectives encourageantes

Faisant le constat du vieillissement de la population, des problèmes de pouvoir d’achat et d’une meilleure communication qui contribuent en premier lieu à mieux populariser ces solutions, le marché du viager attire davantage de professionnels. Il pourrait donc s’ancrer plus profondément dans les mœurs. C’est notamment la conviction de Sophie Richard, de Viagimmo : « Vendre en viager va permettre de réguler l’économie réelle en rendant mobile l’argent immobilisé dans le capital immobilier côté vendeur et dans le capital financier côté acquéreur. Le viager contribue au nouveau monde en apportant sa pierre à l’édifice de l’économie circulaire. Il peut devenir une retraite complémentaire à part entière et apporter enfin une réponse apaisée à ce climat socio-économique très difficile que nous vivons actuellement. »

 

Vincent Gibelin, fondateur d’Univers Viager

 

Davantage de personnes pour exercer le métier mais aussi davantage d’acteurs dans le secteur, c’est l’analyse de Jérôme Cohen, conseiller en viager pour Viager-Facile.com : « À court terme, nous estimons que le marché du viager en France restera dynamique, soutenu par le vieillissement de la population et la recherche de solutions financières à long terme. Cependant, les fluctuations économiques et les taux d’intérêt joueront un rôle important dans la dynamique du marché. À moyen terme, nous anticipons une consolidation du secteur, avec une augmentation de la concurrence entre les acteurs du marché, ce qui pourrait se traduire par une plus grande diversité de produits de viager et des avantages améliorés pour les vendeurs et les acheteurs. » Vincent Gibelin, le fondateur d’Univers Viager, se montre optimiste sur le potentiel de croissance du secteur : « En trois ans, je suis passé de ma seule agence de Bordeaux à 13 agences sur l’ensemble du territoire national. »

 

Parmi les nouveaux acteurs, les professionnels de l’investissement semblent également avoir de l’appétit pour ce marché en expansion. Plusieurs investisseurs institutionnels se sont déjà spécialisés dans différents types d’acquisition, notamment Viagénérations et Silver Avenir qui sont positionnés comme des acheteurs importants. Les investisseurs institutionnels recourent plus particulièrement à la modalité de bouquet sans rente ou la vente grevée du droit d’usage et d’habitation (DUH) qui permet d’optimiser et sécuriser des achats immobiliers pour investisseurs moins pressés et qui disposent de liquidités. « Le marché attire de plus en plus d’investisseurs, notamment des investisseurs institutionnels qui ont investi dans plus 1 000 logements ces dernières années, ce qui représente déjà plus de 10 % du marché viagériste, et témoigne d’une forte accélération puisque l’on partait de zéro il y a quelques années ! » fait remarquer Vincent Gibelin.

 

Cet essor de l’offre et de la demande a également vu éclore plusieurs start-up consacrées aux solutions viagères. À la croisée de la proptech et de la fintech, plusieurs nouveaux entrants commencent à proposer des crédits basés sur les biens immobiliers des personnes de plus de 60 ans en France. Parmi ces start-up, Arrago, par le biais d’une filiale d’Arkéa, aidée par un fonds de dette de 50 millions d’euros, se concentre sur le prêt viager hypothécaire qui permet d’emprunter une somme en échange d’une hypothèque sur un bien immobilier. D’autres start-up comme Skarlett et Grandpa servent d’intermédiaires et offrent également des options de vente viagère. Une autre start-up, Dillan, se concentre sur le démembrement de propriété, en achetant elle-même une part des biens via une société foncière pour fournir aux seniors des liquidités.

 

Adapté aux enjeux actuels, le viager offre une alternative intéressante, tant pour les seniors que pour les nouveaux acquéreurs.

 

Cet article a été écrit par MICHAEL MIGUÈRES

 

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