Il ne fait aujourd’hui aucun doute que notre capacité à progresser est liée à notre cerveau. Le progrès. Ce fil rouge qui nous a fait passer des premiers bipèdes à l’espèce dominant la chaine alimentaire. Pourtant, l’Homme en lui-même semble présenter très peu de différences entre ces temps anciens et aujourd’hui. En apparence. D’un point de vue physique et biologique, l’être humain est une espèce fragile et vulnérable, que n’importe quel prédateur peut terrasser.
Les compétences du 21ème siècle sont celles qui permettront à l’Homme de s’adapter face aux enjeux de la société moderne. Mais quels sont les atouts qui lui ont permis de s’adapter au cours de son évolution, pour parvenir au statut d’espèce dominante ? Et si ces atouts du passé étaient ceux dont nous avons besoin pour tenir notre place dans un monde rempli de robots ?
L’Homme doit s’adapter pour trouver sa place dans la société moderne
Les compétences du 21ème Siècle sont un sujet qui commence à être de mieux en mieux étudié et diffusé en Europe. Il s’agit des compétences dont nous avons besoin pour continuer à créer de la valeur et nous épanouir dans une société ultra-modernisée et… robotisée ! On parle principalement des 4C, pour la créativité, l’esprit critique, la coopération et la communication. Une fois n’est pas coutume, ce modèle, désormais porté par l’OCDE et le World Economic Forum, a su rapprocher la sphère académique et la sphère professionnelle. En effet, dans un monde où les machines exécutent la plupart des tâches routinières, notre valeur ajoutée réside dans notre capacité à trouver de nouvelles idées, résoudre des problèmes complexes et inédits, et oeuvrer en groupes et communautés pour faire circuler les informations, biens, services et relations. Ces 4C relèvent de notre capacité à apprendre, réfléchir et interagir. Le processus englobant ces qualités peut se résumer sous le mot barbare de cognition. Aujourd’hui un peu, et demain surtout, les personnes qui n’auront pas développé ces 4C seront pénalisés dans la société.
Ma théorie est qu’il n’y a rien de nouveau dans ce phénomène. Selon moi, ce sont ces mêmes 4C qui ont permis à l’être humain de devenir l’espèce dominante sur Terre. L’Homme et ses ancêtres directs n’ont jamais été de grands prédateurs naturels, et ne disposent d’aucune qualité physique exceptionnelle, en comparaison de ce que l’on peut trouver dans le règne animal. Avec deux bras et deux jambes, un corps et une peau fragiles, l’Homme ne dispose pas de parties d’attaque ou de défense particulières. Dans ce que l’on appelle le réseau trophique, ou chaîne alimentaire, l’Homme ne se situe pas du tout au sommet, mais plutôt au même niveau que les anchois et les cochons. Vous avez bien lu. Dans la nature, nos prédateurs sont ceux qui pourraient vouloir s’en prendre à des anchois. Incroyable non ? C’est ce qu’a démontré une étude française en 2013, à partir de l’alimentation historique des êtres humains.
Sur l’échelle alimentaire qui va de 1 à 5,5, où 1 représente le plancton, et 5,5 représente les espèces tels que certains requins, l’ours polaire, le tigre ou encore le boa constrictor, l’Homme se situe à 2,2, et donc plutôt vers le bas de la chaine ! Cela fait au dessus de lui plusieurs milliers d’espèces susceptibles de constituer ses prédateurs. D’un point de vue de sa position dans la chaine alimentaire, l’Homme n’a donc rien d’un super prédateur, et c’est pourtant ce qu’il est dans les faits aujourd’hui, de par sa capacité à altérer significativement les écosystèmes, détruire en quantité les ressources, et représenter un risque létal pour n’importe quelle autre forme de vie connue à ce jour. Ce décalage entre la dangerosité et la position dans la chaine alimentaire constitue une exception dans le règne des formes de vie complexes. Bien évidemment, sans aucun suspense, c’est principalement l’intellect de l’Homme, qui lui a permis de s’adapter à son environnement au point de pouvoir modifier cet environnement. Ceci, et quelques raretés anatomiques.
Ou plutôt, l’Homme doit redevenir adaptable !
Nous savons maintenant avec une quasi-certitude que les Hommes descendent des primates, un groupe désormais constitué de 186 espèces, partageant toutes un ADN très proche. À la différence des autres mammifères, dont les premiers spécimens sont apparus il y a plus de 165 millions d’années, et avec qui ils partagent toutes les caractéristiques propres à cette classe, les primates disposent d’un pouce opposable. Cette spécificité leur confère une main dite préhensile, capable de saisir des objets. À partir de la mesure du rapport entre le pouce et les autres doigts de la main, des chercheurs ont toutefois montré en 2015 que la main du chimpanzé était plus évoluée que celle de l’Homme, représentant sur le plan théorique un avantage compétitif supérieur. Pourtant, l’Homme domine, là où le chimpanzé tient sa place attendue dans la chaine alimentaire. Cet avantage compétitif n’explique donc pas la suprématie de l’Homme. La vision binoculaire et le développement du cerveau constituent les autres différences essentielles. Ces trois caractéristiques ne sont donc pas propres à l’Homme, mais se retrouvent chez les autres espèces du groupe des primates. Cependant, chez l’Homme, le développement du cerveau s’est opéré sans comparaison commune avec les autres primates.
En tant qu’omnivore, l’Homme doit cueillir et chasser pour se nourrir. Bien avant l’élevage, bien avant les cultures, il vivait une vie de nomade chasseur cueilleur. La cueillette, relativement facile, ne nécessitait probablement pas de compétences particulières la plupart du temps. En revanche, la chasse devenait un défi mortel, lorsqu’il s’agissait de s’attaquer à des mammouths par exemple. Aucune chance pour un être humain de terrasser un mammouth à mains nues. Vous imaginez bien la scène. C’est pourquoi l’Homme s’est adapté, et a inventé les premières lances, ces longs morceaux de bois taillés en pointe, afin de transpercer l’épais cuir du mammouth. Cette ‘compétence technique’ a considérablement modifié son statut ! Rapidement, il a même appris à tailler des pierres en pointes, afin de les attacher à ce long morceau de bois, rendant ses lances encore plus efficaces et meurtrières. En fait, d’après des découvertes faites au Kenya en 2014, on sait désormais qu’il y a déjà 3,3 millions d’années que l’Homme utilise des outils en pierre taillée, soit bien avant l’apparition d’Homo sapiens il y a 300 000 ans environ !
C’est l’utilisation de plus en plus accrue des outils qui aurait accéléré le développement du cerveau et freiné l’évolution de ses membres, distinguant ainsi l’Homme du reste des primates. En effet, la main du chimpanzé par exemple a continué à évoluer au cours de ces 3,3 millions d’années. Le chimpanzé à continuer à utiliser ses mains pour s’agripper aux branches, forçant une optimisation progressive de ce système de préhension. Pour l’Homme, qui s’est progressivement appuyé sur les outils qu’il construisait pour modifier son accès à l’environnement, la main a été soumise à moins de contraintes, ralentissant son évolution. C’est donc principalement le cerveau qui a subi les principales évolutions chez l’Homme. Pesant environ 1,3 kilogrammes pour un adulte pour un volume d’environ 1 300 centimètres cube, il est trois fois plus volumineux que ce à quoi nous pourrions classiquement nous attendre, en le comparant à un primate de taille comparable. Ce sont plus de 170 milliards de cellules, dont 86 milliards de neurones environ, qui constituent notre cerveau.
Lorsque l’on commence à rentrer dans le détail du cerveau, des éléments évidents émergent. Par exemple, malgré ce volume du cerveau trois fois plus important relativement à un primate de taille similaire, certaines parties du cerveau lui-même sont beaucoup plus petites chez l’Homme. C’est le cas du lobe olfactif, qui ne fait que le tiers de sa taille attendue. C’est globalement le cas de plusieurs parties du cerveau dont le rôle est lié à des fonctions de base de l’Homme. Il ne s’agit donc pas simplement de savoir si le cerveau a grossi ou non, mais plutôt de savoir quelles parties du cerveau ont évolué, et de quelle manière.
Le cortex pré-frontal, l’arme absolue de l’Homme
Et c’est la surface du cerveau qu’il devient alors intéressant d’explorer, cette fine couche de trois millimètres appelée le néo-cortex, et qui présente de nombreuses circonvolutions lorsqu’il est très développé. Tous ces replis permettent au cerveau d’avoir une plus grande surface tout en tenant dans un crâne qui lui ne varie que peu. Cette surface totalise environ 2 000 centimètres carré, soit une surface qui ne pourrait clairement pas tenir dans le crâne si elle n’était pas autant repliée sur elle-même. La surface du néo-cortex humain est 1 000% supérieure à celle du macaque, et 100 000% supérieure à la souris ! Le néo-cortex est impliqué dans les fonctions cognitives dites supérieures. Ces fonctions comprennent la perception sensorielle, le mouvement volontaire (en opposition aux réflexes), la mémoire, le langage, la conscience, l’imagination, la représentation spatiale, et plus globalement la capacité d’abstraction. Le développement progressif de toutes ces fonctions chez l’être humain a permis de gérer la complexité croissance de sa vie sociale et de son organisation.
Mais c’est vers l’avant du cerveau qu’il faut regarder mieux en détail, dans une partie du néo-cortex appelé le cortex pré-frontal, situé au niveau du haut du front. Le cortex pré-frontal a été nommé ainsi pour la première fois en 1964, par le docteur en neurosciences Konrad Akert, notamment pour distinguer cette zone très spécifique du cerveau, et la comparer entre les différentes espèces de primates. C’est dans cette zone que sont traités le langage, la mémoire de travail, le raisonnement, et surtout toutes les fonctions dites exécutives, que l’on peut résumer par une capacité à adapter nos réactions en fonction du contexte. Vous l’aurez compris, c’est notre capacité à nous adapter rapidement à notre environnement qui doit primer plus que jamais, dans la transformation profonde de la société que nous vivons actuellement. Et la star incontournable de cette adaptation, c’est bel et bien le cortex pré-frontal, doté de neurones capables de transmettre de l’information plus vite, plus loin et en plus grande quantité que les autres neurones. Une sorte de centre de contrôle équipé de la fibre optique !
En étant connecté à toutes les parties du cerveau en même temps, le cortex pré-frontal est en mesure d’offrir un contrôle inouï à l’Homme sur son corps, ses sensations, et ses émotions, le rendant conscient et en mesure de s’adapter rapidement à son environnement. Et dans l’histoire de notre évolution, il a fallu certainement faire preuve de beaucoup de créativité, d’esprit critique, de coopération et de communication pour venir à bout collectivement de mammouths ou autres animaux normalement hors de notre rang. Depuis les primates, jusque l’Homme moderne, nous avons évolué pour devenir l’espèce dominante sur Terre grâce à notre cerveau, alors même que notre biologie et notre anatomie ne nous y prédestinaient pas. Mais depuis que nous n’avons plus vraiment de prédateur, nous avons créé un environnement protégé et artificiel adapté à notre condition. De ce fait, moins de contraintes, et moins de besoin d’évoluer. C’est comme si la machine évolutive s’était progressivement mise au ralenti.
L’Homme peut façonner la réalité et son environnement, c’est la nature même de sa spécificité dans le règne du vivant. Mais au fil des siècles de progrès et de civilisation, il semble avoir oublié cette qualité incroyable, au point de ne plus savoir s’adapter face à ses propres créations, comme les machines. Il est question aujourd’hui pour l’Homme de trouver un nouveau sens à sa vie, dans une société où la machine va progressivement s’occuper de presque toutes les tâches. Les 4C nous ont permis de surpasser tout ce que la nature avait pu créer, pour grandir notre condition. Il nous faut simplement nous rappeler l’incroyable potentiel de notre cerveau et de ce qu’il permet, et faire confiance au développement naturel. La plupart des humains ne gagneront pas dans le jeu du darwinisme social, mais collectivement, les humains ont toutes leurs chances dans le jeu du darwinisme classique, car ils sont équipés pour cela, depuis bien longtemps !
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