Le fils de la princesse Stéphanie de Monaco et de l’entrepreneur Daniel Ducruet a la passion du foot chevillée au corps. En quelques années, il est passé de stagiaire à cadre dirigeant de l’AS Monaco où il seconde le vice-président, Oleg Petrov. Formé dans une Business school américaine, initié à la science du ballon rond par de brillants professeurs comme Luis Campos, Louis Ducruet vit par et pour son club. Cet entretien est le premier qu’accorde ce jeune homme de 27 ans qui concilie immense ambition et absolue lucidité, à la veille d’une double confrontation face au PSG, les 12 et 15 janvier, cruciale pour la saison de l’AS Monaco.
Vous avez été embauché par l’AS Monaco comme recruteur international à moins de 25 ans. C’est très jeune pour ce genre de poste ?
Oui. Mais c’est un travail que j’ai adoré. On fait un peu de l’espionnage industriel. On supervise des joueurs d’autres équipes à l’étranger, puis on fait des rapports aux dirigeants du club qui décident ou non d’aller plus loin. C’est un rôle de l’ombre qui est primordial.
Vous n’entrez pas en contact avec les joueurs s’ils vous intéressent ?
Non parce que dans ce type de transactions, tout va très vite. Le moindre mot malheureux peut faire monter les enchères, voire même tout faire capoter. Il vaut mieux que ce soient les gens en responsabilités qui entament les discussions avec les agents et les dirigeants du club concerné, c’est-à-dire le directeur sportif ou le DG .
Un recruteur étudie aussi l’extra-sportif, la psychologie du joueur, sa capacité à communiquer, etc ?
Oui, mais sans le rencontrer. On mène notre enquête en regardant ce qui a été écrit sur lui dans la presse, en visionnant ses interviewes, en observant la manière dont il utilise les réseaux sociaux. Et pour les plus jeunes qui n’ont pas encore de réputation établie, nous avons des recruteurs académiques qui les suivent depuis leur plus jeune âge. Ils connaissent souvent leur entourage, leurs parents, leur comportement sur et en dehors du terrain. Par exemple, quand un joueur marque un but, sa réaction est intéressante. Est-ce qu’il va le partager avec ses coéquipiers ou est-ce qu’il va le célébrer de façon très individuelle ? Ce sont des choses significatives de la personnalité du joueur.
Comment avez-vous été formé à ce métier ?
Je n’ai pas fait d’école, j’ai appris sur le tas. Des recruteurs seniors m’ont donné des conseils et surtout, les directeurs sportifs, Luis Campos puis Antonio Gordon, m’ont accompagné. Aujourd’hui, je seconde le vice-président de l’AS Monaco, Oleg Petrov, dans les différentes missions qu’il souhaite me confier comme je l’ai fait avec son prédécesseur, Vadim Vassiliev.
En quelle langue communiquez-vous avec M. Petrov ?
En anglais. Mais il souhaite que les réunions se déroulent en français et il s’efforce de comprendre et de parler notre langue. Ca n’est pas quelqu’un qui vient du monde du football mais c’est un grand businessman qui a très bien réussi aux côtés de M. Rybolovlev, le propriétaire du club, notamment dans le diamant. Nous sommes, du coup, complémentaires puisqu’il peut me questionner sur ce qui touche au foot, notamment le recrutement. Mais aussi sur la Principauté qu’il ne connaissait que comme un visiteur de passage. Je peux lui répondre sur qui fait quoi à Monaco, sur le protocole et quand je ne sais pas, je me renseigne.
« J’espère un jour diriger ce club qui représente mon pays »
Vous avez aussi un rôle de représentation de la principauté au sein du club, en tant neveu, sœur du Prince Albert, 15e dans la hiérarchie protocolaire monégasque ?
Bien sûr. Je ne peux pas nier mon statut familial. Le fait de m’exposer à un poste aussi important dans l’organigramme du club est un atout dont il se sert. En clair, pour une mission de représentation, il est toujours plus valorisant d’envoyer Louis Ducruet qu’un directeur de département inconnu. Et moi, cela ne me dérange pas, bien au contraire.
Où en est la relation entre le club et la principauté ?
L’AS Monaco appartient à une société privée détenue à 66% par M. Ribolovlev, le stade à l’Etat monégasque qui le met à la disposition du club. Pour le reste, je ne suis pas habilité à vous répondre.
La politique managériale du club, quand les Russes sont arrivés, qui consistait à acquérir de jeunes joueurs talentueux, de les faire éclore puis de les revendre au prix fort, n’a pas changé ?
Ca n’est pas si simple. Certains joueurs, quand ils sont courtisés par de grandes écuries à l’étranger, demandent à partir. Ca n’est jamais bon d’imposer de rester à un garçon qui s’est impliqué et qui souhaite un transfert afin d’évoluer dans sa carrière. L’ASM est un tremplin reconnu sur la planète football qui ne retient pas coûte que coûte ses joueurs. C’est grâce à cette philosophie que beaucoup de jeunes très talentueux veulent venir chez nous.
Il semble que votre cellule de recrutement ait perdu son feeling, qu’elle se trompe plus souvent dans ses choix qu’auparavant.
Disons qu’elle a eu un coup de moins bien. À mon avis, il y avait trop de gens à moment donné et quand trop de gens donnent leur avis, ça finit par amener de la confusion. Nous sommes revenus de 11 à un noyau dur de 6 personnes.
Il y a plus de 70 contrats pros à Monaco, c’est beaucoup, non ? Vous allez dégraisser l’effectif ?
Nous signons beaucoup de contrats pour protéger nos jeunes car aujourd’hui, nous sommes surveillés par de grands clubs qui admirent notre capacité à repérer les talents. Et nous avons une équipe réserve professionnelle qu’il ne faut pas négliger. En Angleterre, les clubs ont le même nombre de contrats que nous. Mais vous avez raison, nous devons quand même réduire la voilure, sans perdre les meilleurs espoirs.
« Aucun joueur n’est assez grand pour qu’on salisse l’institution pour lui.»
Pourquoi refusez-vous de donner les chiffres-clés du club, comme le budget par exemple ?
Parce que c’est une arme concurrentielle ! Par exemple, si je dévoile ces chiffres-là, les autres clubs vont estimer qu’ils pourront augmenter le prix de certains joueurs que nous voulons acheter en se disant qu’on a les moyens de payer plus cher.
Quel est votre ambition au sein de l’AS Monaco, à long terme ?
Sincèrement ? Diriger le club. C’est mon club de cœur. Mais je suis jeune, j’ai beaucoup à apprendre, et donc je sais que je dois progresser pour atteindre mes objectifs. J’ai fait beaucoup de terrain mais assez peu de rendez-vous business, de réunions budgétaires, même si j’ai touché à tous les services en tant que stagiaire. Et ma formation universitaire aux Etats-Unis m’aide beaucoup sur les sujets qui concernent l’économie du club. J’aime le foot dans toutes ses dimensions, les partenariats, le sponsoring, la communication, tout me fait vibrer, surtout s’agissant de l’AS Monaco qui est le club d’un pays, ce qui est rare, voire unique à ce niveau.
On sait que le mercato, dans le football où les sommes en jeu sont parfois colossales, ça n’est pas les bisounours. Vous seriez prêt à vous salir les mains pour obtenir un Messi ou un Ronaldo ?
Sûrement pas. Aucun joueur n’est assez grand pour qu’on salisse une institution pour lui. Je tiens à rester dans la voie sérieuse et droite, les chemins de traverse ne m’intéressent pas. Monaco possède suffisamment d’atouts et de moyens pour ne pas avoir besoin de jouer avec le feu.
Lesquels ?
D’abord, la vie à Monaco. C’est l’assurance de la tranquillité pour la famille, la sécurité. Un joueur comme Subasic (NDLR : l’un des gardiens de but de l’AS Monaco) m’a raconté que quand il jouait en Croatie, très souvent, il ne pouvait pas sortir du stade sans se faire racketter. Il lui arrivait même de dormir sur place ! A Monaco, il a changé d’ambiance… Par ailleurs, chacun sait que les joueurs étrangers ne sont pas imposables chez nous. C’est un avantage fiscal qui n’est pas négligeable. Je sais que cela fait grincer des dents en France mais il s’agit d’une décision très ancienne. Pour compenser, nous avons comme philosophie d’acheter des joueurs à des clubs français en difficulté pour aider notre championnat. Monaco a parfois sauvé des clubs de la relégation comme Nancy, par exemple, où bous avions recruté deux joueurs, sans proposer des prix trop bas pour ne pas étrangler ce club à un moment compliqué pour lui.
« J’aimerais ouvrir le club au marché asiatique qui est en pleine expansion »
Vous avez des atouts mais aussi un gros handicap, votre public qui ne répond pas souvent présent en dehors des grands matchs.
On n’y peut rien. Nous avons un stade de 16 000 places et une population de 30 000 personnes. Pour remplir, il faudrait qu’un monégasque sur deux vienne au stade ! Par rapport aux autres clubs du championnat de France, il nous manque donc des rentrées financières importantes, tant au niveau de la billetterie que de la vente de maillots. Pour pallier ce déficit, j’aimerais que l’AS Monaco se développe plus à l’international, notamment en Asie qui est un continent que je j’apprécie particulièrement.
Pourquoi ?
Quand j’étais recruteur, j’ai eu l’occasion d’y aller souvent. J’ai étudié le japonais à l’université, je le parle un peu. J’aime cette cultures, les gens, la gastronomie et le football s’y développe à vitesse grand « v ». Ma stratégie consisterait à recruter un très bon joueur japonais qui deviendrait notre ambassadeur en Asie. Cela permettrait de susciter des partenariats, des tournées, du sponsoring, des droits télé, etc. Pour l’instant, je n’ai pas encore réussi à convaincre les dirigeants du club mais je ne désespère pas d’y parvenir. J’ai une liste prête de Japonais et de Coréens de haut niveau, j’attends un « go » !
Vous avez d’autres activités en dehors du football ?
Je suis associé à mon père dans une entreprise de rénovation d’intérieur. Je pousse aussi les feux sur d’autres projets qui ne sont pas encore validés, je ne préfère donc pas en parler pour l’instant. Et puis j’ai une activité assez importante de représentation de la Principauté, au côté de mon oncle, le Prince Albert, qui a un emploi du temps délirant. Il me demande souvent de l’accompagner sur certains événements, voire de le suppléer quand il n’est pas disponible. C’est un rôle que j’assume avec plaisir et fierté.
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