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EN SALLE | « Pour la France », quand le récit touche à l’universel

Pour la France Film de Rachid Hami
Avec Karim Leklou, Shaïn Boumedine, Lubna Azabal, Samir Guesmi, Laurent Lafitte

CINEMA | « Pour la France » (sorti en salles le 8 février) raconte l’histoire d’un jeune saint-cyrien qui meurt noyé lors d’un bizutage. Un long-métrage réalisé par son frère, Rachid Hami, qui transcende le récit factuel d’un manquement de l’institution militaire avec tout le romanesque de la fiction. Il nous plonge dans une odyssée familiale où la tendresse d’un frère affleure avec pudeur. Rencontre avec le réalisateur.


 

Désirée de Lamarzelle : Comment définir l’histoire – qui est autobiographique – de votre film ?

Rachid Hami : Je parle de la famille dans une histoire profondément française, en tout cas c’est ce que j’ai essayé de faire. C’est une histoire à la fois intime et universelle, parce que j’ai voulu réaliser un film qui parle à tous. J’avais deux piliers qui ont guidé tout mon travail : la vérité émotionnelle et le respect de certains faits. Au-delà de ces deux piliers, je me suis autorisé toute la fiction et le romanesque que je pouvais.

 

Peut-on parler de film introspectif ?

Quand vous faites des films, c’est surtout parce que vous souhaitez partager avec les gens. Le cinéma est avant tout art populaire qui ne doit pas exclure les films d’auteurs de qualité. C’est ce cinéma qui me touche : il s’adresse à un public large avec qui il partage un moment de communion. C’est un peu mon moteur. Dans la même veine, j’aime les films d’Edward Yang, de Pialat, et des cinéastes qui ont réussi à rendre universel leur sujet intime. C’est un travail de cinéma passionnant qui m’a guidé pour réaliser « Pour la France ».

 

Avez-vous voulu aborder en toile de fond le sujet du déracinement ?

En réalité je parle de l’enracinement. C’est l’histoire d’une famille qui quitte l’Algérie et qui décide de s’installer en France. On a un garçon qui est exilé, réfugié, musulman, qui s’enracine dans la France tout en gardant son identité : il devient profondément français. C’est un film qui montre la réussite de l’intégration et l’impossibilité, voire, le crime qu’est l’assimilation. Aïssa est contre l’assimilation, mais il s’intègre complètement. Cela ne l’empêche pas d’aller au bout du monde, à Taïwan, où il apprend à parler mandarin et détruit 25 ans de clichés sur les gamins issus de familles populaires. Car en réalité, il devient citoyen du monde. L’assimilation est la disparition de soi.

 

Je pensais par exemple au conflit de loyauté que l’on peut ressentir par rapport à un pays.

Il n’y a pas de conflit de loyauté. Je pense que dans le film, la difficulté pour Ismaël est de trouver sa place de frère dans une famille où l’absence du père l’a obligé à s’y substituer, à prendre des responsabilités qui n’étaient pas les siennes. Mais s’il était né dans une famille en Bretagne, la problématique aurait été la même et c’est important de le dire : ce n’est pas lié à une question ethnique ou religieuse, mais à des circonstances familiales. Quand vous êtes en échec familial parce que vous ne trouvez pas votre place, comment pouvez-vous trouver votre place dans la société ?

 


Rachid Hami : J’ai respecté la réalité des faits en y apportant ma vérité émotionnelle. La reconnaissance d’appartenance à la patrie vient se mélanger à tout cela, et c’est ce qui m’intéressait d’un point de vue cinématographique


 

Le portrait du père – votre père – resté en Algérie n’est-il pas très sévère ?

Je ne règle pas mes comptes avec mon propre père – incarné par l’immense acteur Sami Guesmi – car je tente de trouver une justesse cinématographique, tant dans ma relation avec lui et que dans ma relation à l’armée. Mais la vérité c’est qu’il a déserté ses responsabilités. On voit sa dureté quand il nous apprend à nager enfants, mais au fond il est le reflet de l’Algérie des années 90 : des enfants nés pendant la guerre de libération, qui ont été éduqués dans la violence et la guerre civile.

 

La mort d’Aïssa soulève-t-elle la question à travers les brimades du racisme dans l’armée ?

Il y a une scène très importante dans le film où Ismaël pose la question à son frère sur la réalité du racisme dans l’armée. Il lui répond de ne pas « tomber là-dedans ». Ce n’est pas le racisme qui a coûté la vie à Aïssa mais un accident qui aurait pu arriver à n’importe qui des 120 élèves boycottés. Si on regarde aujourd’hui la composition de l’armée française, il y a des jeunes hommes qui viennent d’horizons très différents, modestes pour beaucoup, mais c’est dans le commandement que l’on manque de diversité. Mon frère, saint-cyrien, était un symbole de cette réussite française, républicaine. Son parcours donnait espoir et pouvait servir d’exemple. C’est moins un problème racial que profondément social et idéologique qui fait du mal à la France.

 

La scène du choix des funérailles confronté au refus d’un enterrement militaire est très poignante…

J’ai respecté la réalité des faits en y apportant ma vérité émotionnelle. La reconnaissance d’appartenance à la patrie vient se mélanger à tout cela, et c’est ce qui m’intéressait d’un point de vue cinématographique. Je voulais un film qui raconte une odyssée familiale – celle de deux frères – qui commence en Algérie arrive en France et passe par Taïwan. On traverse ces lieux – trois temporalités –  comme autant d’histoires dans la grande histoire qui se termine  avec la cérémonie des funérailles.

 

Est-ce un film dédié à votre frère mais aussi à plus de justice ?

C’est un film qui est dédié à mon frère et à plus de cinéma aussi. Je ne traite pas vraiment la question de justice parce que c’est un temps à part, beaucoup trop long : on a attendu quand même huit ans avant qu’il y ait un procès. Ce n’est pas un film de deuil non plus mais profondément dans la vie parce qu’introspectif : on va à l’intérieur des relations qui nous emmènent quand même dans trois pays, trois temporalités, avec énormément de comédiens. C’est un film que je fais pour le cinéma et que je dédie à mon frère.

 

Film français de Rachid Hami. Avec Karim Leklou, Shaïn Boumedine, Lubna Azabal, Samir Guesmi, Laurent Lafitte (1 h 53).

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