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Emmanuel Macron, chef étoilé de la gastronomie française

GASTRONOMIE | Le président de la République honore son tablier de Meilleur Ouvrier de France * en défendant bec et ongles la gastronomie française. Pour le soft power qu’elle incarne à l’international, parce qu’elle génère des emplois, mais aussi par goût personnel. Portrait d’un chef d’État qui met la main à la pâte.

Un article issu du numéro d’hiver 2023 de Forbes France

 

Guillaume Gomez, ambassadeur de la gastronomie (à droite) remet à Emmanuel Macron la médaille de Commandeur de l’Ordre du rayonnement gastronomique.

 

« Ses prédécesseurs étaient des gourmands, Emmanuel Macron est un gourmet. » Tel est l’avis de Gilles Bragard, fondateur du Club des chefs des chefs qui réunit quasiment tous les cuisiniers des chefs d’État importants de la planète. Est-ce pour cette raison que le président de la République soutient avec autant d’entrain la gastronomie française ? Il a d’ailleurs nommé, en pleine crise du Covid, un ambassadeur de la gastronomie française, l’ancien cuisinier de l’Élysée, Guillaume Gomez (voir interview).

Depuis François Mitterrand, on connait presque intimement le rapport qu’ont entretenu nos présidents avec la cuisine. « Dis-moi comment tu te nourris, je te dirai qui tu es » est un adage que l’on a appliqué à ces messieurs pour affiner leur portrait et le résultat s’avère assez saisissant. François Mitterrand, connu pour son côté florentin, cynique même selon ses détracteurs, aimait la cuisine du terroir, quasi familiale. Il avait donc recruté en 1988, pour son deuxième mandat, une cuisinière du Périgord, Danielle Mazet-Delpeuch, pour ses dîners en petit comité, ce qui avait vivement contrarié le chef de l’Élysée, Joël Normand. Un film a été tourné sur cette affaire conflictuelle, Les Saveurs du palais, avec Catherine Frot dans le rôle de l’empêcheuse de tambouiller entre hommes…

 

le président François Mitterrand est reçu par le chef Pierre Troisgros et sont fils le chef Michel Troisgros dans leur restaurant à Roanne.

 

Jacques Chirac, lui, jouissait d’une réputation d’ogre. « Il lui arrivait de déjeuner deux fois dans la journée » se souvient l’un de ses anciens collaborateurs. Un plat très symbolique lui est attaché : la tête de veau ! Dans le restaurant corrézien qui l’accueillait naguère, lorsqu’il arpentait sa circonscription, un menu du Président lui a rendu hommage, proposant un buffet d’entrées à volonté, une tête de veau sauce gribiche, un civet de sanglier, un plateau de fromages et, au dessert, une tarte aux pommes et sa boule de glace vanille ! Que du léger, du raffiné… Guillaume Gomez, qui servait déjà du temps des Chirac, sous les ordres du chef Bernard Vaussion, trouve la légende un peu exagérée. « En réalité, dit-il, il en avait marre de la tête de veau. Il avait dit une fois dans une interview qu’il aimait bien ça et, à partir de là, tout le monde voulait lui en servir ! »

 

Jacques Chirac lors d’un dîner à Mazamet pendant les élections législatives le 18 octobre 1977 à Castres.

 

Son successeur, Nicolas Sarkozy, est un homme pressé. Ce trait significatif de sa personnalité s’est retrouvé dans sa gestion des cuisines de l’Élysée. L’homme de Neuilly avait notamment supprimé les plateaux de fromage pour éviter que les repas ne s’éternisent. Par ailleurs, il ne buvait pas de vin au déjeuner. À partir de là, certains en ont déduit qu’il n’aimait pas manger, ce qui s’est avéré inexact. Son restaurant préféré, la Petite Maison, à Nice, propose, par exemple, une cuisine provençale d’excellente facture sous la baguette autoritaire de la terrible Nicole Rubi. Et son plat favori reste la fameuse soupe aux artichauts et truffes de Guy Savoy, l’un des chefs les plus capés du monde.

Quant à François Hollande, dont l’apparence replète laisse entrevoir un fier coup de fourchette, il ne s’est jamais distingué par un raffinement extrême. « D’après mes infos, s’amuse Gilles Bragard, il aime bien bouffer mais n’a pas une passion pour la haute gastronomie. » En arrivant à l’Élysée, le Président qui « n’aime pas les riches » aurait supprimé le caviar et la truffe et remis les

fromages au goût du jour. Là encore, Guillaume Gomez relativise : « On ne servait plus de caviar à l’Élysée depuis les années 90, ce qui est dommage car on fait maintenant du très bon caviar français. Mais c’est une question d’image. »

 

Nem dropping

Et Emmanuel Macron ? Le chef de l’État et son épouse apprécient la bonne chère. Avant de se hisser au sommet de l’État, le couple fréquentait le célèbre restaurant asiatique du 7e arrondissement de Paris, Lily Wang. L’ancien directeur, Fabrice Kraak, se souvient : « Ils venaient souvent tous les deux, jamais en bande. Il font très attention à ce qu’ils mangent en termes de qualité et de quantité. Par exemple, ils ne prennent que très rarement un dessert. Mme Macron choisit parfois deux entrées ; lui, adore les nems. » Un couple de son époque, en somme, qui veille à afficher une certaine normalité dans son comportement en public. « M. Macron payait toujours avec sa carte bleue personnelle contrairement à d’autres anciens ministres qui envoyaient leur garde du corps régler avec la CB du ministère, continue Fabrice Kraak qui officie aujourd’hui au Club Marigny, à quelques pas de l’Élysée. Après le dîner, ils passaient un bon quart d’heure à saluer les membres du personnel et les clients qui le souhaitaient. » Avec une pointe d’émotion dans la voix, le restaurateur regrette que le Président ne soit pas encore venu au Club Marigny malgré la proximité géographique.

« Brigitte Macron a déjeuné chez nous avec des amis mais sans lui. Jusqu’à présent… » confie-t-il. Faut-il s’en étonner ? Pas vraiment, selon Guillaume Gomez. « On m’a toujours dit de tous les présidents que j’ai servis qu’ils fréquentaient tel ou tel resto mais moi, ce que je sais, c’est qu’ils déjeunaient et dînaient tous les jours à l’Élysée, sauf quand ils partaient en voyage », lance-t-il, tonitruant.

Emmanuel Macron savoure-t-il la haute gastronomie ? La question divise. Une chose semble sûre, il ne fréquente pas les grandes tables parisiennes. En revanche, il soutient les chefs étoilés qu’il considère comme des ambassadeurs à part entière de l’art de vivre à la française. Une fois par an, il les invite à l’Élysée pour les remercier d’être aussi performants. Et à chaque fois qu’il en a la possibilité, il leur « prête » les cuisines de l’Élysée, comme lors du dîner d’État en l’honneur du roi Charles III, le 20 septembre dernier, au château de Versailles. Il leur offre ainsi une exposition médiatique planétaire fort utile dans l’univers de concurrence mondialisée qui caractérise la haute gastronomie.

 

Soutenir les filières

Mais le chef de l’État ne s’intéresse pas qu’à la fine fleur des fourneaux, il défend aussi les agriculteurs, les artisans et les producteurs français qui créent tant et tant d’emplois dans notre pays. « Lorsqu’il se rend dans une foire à la saucisse, lors d’une visite sur le terrain, explique Guillaume Gomez, il s’assure toujours que les produits qu’il déguste proviennent bien du terroir local. » Il a aussi activement milité pour que la baguette de pain française soit classée au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Une distinction qui lui vaut la reconnaissance éternelle des boulangers.

Récemment, il a confié à sa ministre des PME, Olivia Grégoire, une mission spécifique sur les questions alimentaires, avec pour objectif de les associer aux priorités environnementales du gouvernement. La virtuosité ne doit pas nécessairement faire abstraction de la vertu.

 

* Lors de son élection, le président de la République devient automatiquement Meilleur Ouvrier de France (MOF) Honoris Causa.

 

TROIS QUESTIONS À GUILLAUME GOMEZ, AMBASSADEUR DU PRÉSIDENT POUR LA GASTRONOMIE 

 

GUILLAUME GOMEZ

 

Quelles réalités recouvre votre titre ?

GUILLAUME GOMEZ : Je suis ce qu’on appelle un ambassadeur thématique, comme Jean-Yves Le Drian pour le Liban. Et comme lui, je suis rattaché directement au président de la République. C’est de lui que je prends mes directives et c’est à lui que je rends compte. Même si j’ai mon bureau et mes collaborateurs au Quai d’Orsay. À mon niveau, j’essaye d’améliorer l’attractivité et le rayonnement de la France à l’international. Les possibilités sont immenses dans ce domaine car la cuisine française est réputée être la meilleure au monde. Je pense d’ailleurs que c’est une réalité. Nous avons tant de terroirs, de spécialités régionales… Personne ne possède notre diversité.

 

La gastronomie est cependant devenue un monde très concurrentiel. Il suffit de regarder les classements internationaux comme le « 50 best »…

G.G. : Je me méfie de ces classements. Celui que vous citez a été créé pour nous challenger, il est normal que les restaurants français n’y soient pas distingués. Tout le monde veut faire mieux et c’est une bonne chose. Parce que derrière la cuisine, l’alimentation, il y a les questions d’environnement, des sujets de santé publique, l’obésité qui concerne près d’un jeune sur cinq en France. Le Président me demande de porter une gastronomie plus engagée sur les grands enjeux de ce siècle.

 

Y a-t-il des choses particulières qu’Emmanuel et Brigitte Macron ont amenées dans la cuisine de l’Élysée ?

G.G. : Ils n’ont pas d’exigences folles. Mme Macron s’implique en faisant un point hebdomadaire avec le chef. Elle apprécie les fruits et légumes et, d’une manière générale, ils sont attachés à une cuisine saine. Mais ils mangent de tout, même du gibier. Le Président préfère le service à l’assiette alors que François Hollande aimait qu’on amène le plat à table. Emmanuel Macron a apporté une forme de modernité dans les arts de la table de l’Élysée.

 

Cet article a été écrit par : Yves Derai 

 

<<< À lire également : INTERVIEW | Alexandre Marchon, chef autodidacte et passionné de cuisine légumière inventive >>>

 

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