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Dry January | Spiritueux et vins sans alcool : mode ou développement durable ?

Spiritueux et vins sans alcool : mode ou développement durable ?
Spiritueux et vins sans alcool : mode ou développement durable ?

La consommation régulière d’alcool en France diminue : les consommateurs hebdomadaires et quotidiens étaient respectivement plus de 62 % et près de 24 % en 2000, ils sont depuis 2021 39 % à en boire chaque semaine et 8 % tous les jours. Face à cette tendance, de nouvelles marques tentent de s’imposer dans les habitudes des Français avec des alternatives saines qui imitent le plaisir qu’un breuvage alcoolisé peut procurer.

Un article issu du numéro 29 – hiver 2024, de Forbes France

Ce n’est pas un hasard si un géant du luxe met un pied dans le sans-alcool. Le 1er octobre dernier, le groupe LVMH annonçait une prise de participation de 30 % de sa division vins et spiritueux Moët Hennessy dans la start-up French Bloom. « Cette prise de participation confirme l’avenir de la catégorie des vins effervescents sans alcool », justifie Maggie Frerejean-Taittinger qui a cofondé French Bloom en 2019 avec son époux Rodolphe Frerejean-Taittinger, arrière-petit-fils du fondateur des champagnes Taittinger, et la top model Constance Jablonski.

 


 

Il faut dire que le contexte économique pousse à se diversifier : le marché chinois, très consommateur de vin français, peine à reprendre, et l’exportation outre-Atlantique se révèle frileuse. Mais la conjoncture n’est pas le seul indicateur car la consommation d’alcool régresse dans son ensemble. Les ventes de vins sans alcool ont par exemple augmenté de 7 % à travers le monde en 2023, selon le cabinet IWSR. Elles pourraient même s’emparer de 4 % des parts du marché des boissons alcoolisées dans les années à venir.

Venue des États-Unis, la tendance à réduire ou bannir l’alcool de son quotidien gagne progressivement l’Hexagone. Elle est baptisée « NoLo », pour « no alcohol » et « low alcohol », et traduit un changement de mentalités de la société vis-à-vis de l’alcool. En témoigne les fameux Dry January ou Sober October qui consistent à rester sobre le temps d’un mois.

« Il ne fait aucun doute que nous assistons à une évolution durable dans la consommation d’alcool, avec une nette progression vers la modération et la premiumisation, constate Maggie Frerejean-Taittinger. Ce n’est pas un effet de mode, mais une nouvelle manière de consommer de façon consciente et inclusive. »

Puisque le traditionnel verre de vin rouge a peu à peu disparu des repas du midi, des alternatives sans alcool comptent bien profiter de ces occasions perdues.

Dans les cocktails 

Spritz, Mojito, Negroni, Gin Tonic, Moscow Mule, Margarita… D’après une étude des agences CGA et Nielsen IQ de 2023, plus d’un quart des Français disent consommer des cocktails plus souvent qu’il y a un an et plus de la moitié affirment en commander lors de leurs sorties au bar ou bien au restaurant. Si la consommation d’alcool à des fins festives reste répandue, la part de consommateurs de boissons sans alcool a atteint les 15 %, selon le baromètre de Sowine et Dynata de 2024. Ce baromètre nous indique un facteur clé : le NoLo est bien plus marqué chez les 18-35 ans (40 %) et chez les femmes (31 %) par rapport aux hommes (24 %). Plus de 52 % des consommateurs de cocktails optent pour des versions sans alcool et 44 % des amateurs de spiritueux purs se tournent vers des alternatives sans alcool.

C’est ce qui a motivé Valérie de Sutter à fonder en janvier 2020 une marque de spiritueux sans alcool. Elle l’a baptisée JNPR, en référence au nom anglais du genévrier, juniper, dont la baie est utilisée pour produire du gin. Mais les voyelles ici ont disparu, tout comme l’alcool dans son produit. « Je me suis rendu compte que les alternatives à l’alcool étaient très limitées et j’étais frustrée de ne pas avoir le choix », justifie-t-elle. Elle se lance dès 2019 dans l’élaboration d’une première recette avec Flavio Angiolillo, bartender propriétaire du 1930 Cocktail bar, classé parmi les 50 meilleurs bars du monde. Puis un partenariat est noué avec une distillerie en Corrèze pour lancer la production des premières bouteilles. Le processus est complexe car il a fallu trouver un moyen de distiller le spiritueux avec de l’eau tout en s’assurant que la puissance gustative soit au rendez-vous. « La grande différence aussi, c’est que nous avons besoin de chauffer plus intensément et plus longtemps notre liquide avant qu’il ne soit prêt », détaille Valérie de Sutter.

Après une année de vente en ligne (Covid- 19 oblige) fructueuse, JNPR parvient à lever 1,1 million d’euros auprès de business angels et se lance un nouveau défi de taille : se débarrasser du sucre, qui offre comme l’alcool beaucoup de goût et de texture. À l’exception des VRMH (pour vermouth) et CMPR (pour Campari), toute la gamme JNPR 1, 2 et 3 est sans sucre. « Aujourd’hui, la recette fonctionne et nous sommes à même de reproduire des cocktails connus avec la même complexité aromatique », promet Valérie de Sutter. De quoi convaincre les plus épicuriens d’entre nous qui souhaitent profiter de boissons savoureuses avec modération et « sans sentiment réel de privation ». Si JNPR réalise à ce jour 90 % de son chiffre d’affaires en France, la marque entend bien conquérir de nouveaux marchés hors du Vieux Continent.

Et la concurrence s’avère rude. En effet, d’autres marques sont également présentes à l’image des Français Djin ou Optimae Drinks mais aussi de l’australien Lyre’s. Enfin, d’autres poids lourds du monde de l’alcool ont aussi senti le vent tourner. C’est le cas du géant britannique Diageo, qui a mis la main sur le spiritueux sans alcool, Seedlip, en 2020 puis sur Ritual Zero Proof début octobre, la marque leader sur ce segment outre-Atlantique. Le groupe propose d’ailleurs déjà des versions sans alcool de ses produits phares comme Tanqueray, Gordon’s ou Captain Morgan.

 

Plus récemment, Pernod Ricard a pris une participation minoritaire au capital d’Almave, une marque de spiritueux sans alcool à base d’agave bleu, cofondée par le septuple champion du monde de Formule 1, Lewis Hamilton.

Pernod Ricard a aussi dévoilé en janvier dernier une alternative 0,0 % de son gin Beefeater, plus de quarante ans après le lancement de Pacific, son emblématique boisson sans alcool à base d’anis. Dès 2021, l’entreprise a pris une participation majoritaire dans la marque britannique de gin sans alcool, Ceder’s, puis s’est intéressée à d’autres cocktails comme le spritz avec son Cinzano Spritz, commercialisé dès 2023.

Quid du vin désalcoolisé ?

Si le cocktail a l’avantage de pouvoir mixer plusieurs liquides pour tromper nos sens, le vin ne se mélange pas et un palais avisé peut facilement distinguer une absence d’alcool. Car en matière de vin désalcoolisé, il s’agit d’extraire l’éthanol et cela annihile certains arômes sophistiqués. Pour Fabien Marchand-Cassagne, qui a lancé il y a quatre ans Moderato avec Sébastien Thomas, la première étape est la sélection d’un bon vin. « Nous pouvons désalcooliser n’importe quelle bouteille mais si un vin n’est pas de bonne qualité en amont, il ne le sera pas non plus en bout de course », explique-t-il.

Les tests ont ensuite été menés avec un Rotovap, un évaporateur rotatif très utilisé dans la cuisine moléculaire. Cela permet de retirer l’alcool tout en préservant les arômes. « Nous avons testé ensuite une méthode de distillation sous vide à grande échelle qui permet d’éviter de perdre des arômes mais le produit qui en sort est souvent fade car il ne contient presque pas de sucre et ne bénéficie plus de l’équilibre qu’offre l’alcool », développe-t-il. Il s’agit donc d’opérer enfin un « rééquilibrage œnologique, comme le fait un viticulteur en termes de sucre, d’acidité ou de charge tannique ».

 

 

« Beaucoup considèrent encore que c’est un sacrilège de retirer l’alcool du vin, mais les mentalités changent, évoque-t-il. Lorsque nous rencontrons ces consommateurs en personne et que nous leur expliquons que notre produit est un débouché du monde viticole, directement issu de la filière vin, le poids de l’émotion se dissipe. » Car la mission de Moderato n’est pas de remplacer le vin, il s’agit de mettre en valeur des produits de la filière à des occasions où le sans-alcool s’y prête le mieux.

À deux pas de Saint-Émilion, en Gironde, le château Clos de Boüard a aussi fait une incursion sur ce créneau. C’est en 2022 que Coralie de Boüard, actuelle exploitante du vignoble, a décidé de commercialiser Prince Oscar, un vin rouge désalcoolisé haut de gamme. Fruit de deux ans de recherche, cette cuvée avait été commandée par les propriétaires qataris du Paris-Saint-Germain (PSG). Très vite, son innovation a été remarquée et la vigneronne enchaîne depuis les reportages et les interviews à la télévision.

 

 

« Le vin sans alcool est devenu monnaie courante et sa consommation n’est plus cantonnée à des questions de religion ou de santé », assure-t-elle, précisant fournir une clientèle assez vaste, du milieu bancaire au monde du sport en passant par l’armée, les pompiers ou encore la gendarmerie. La France reste son plus gros marché mais des clients des États-Unis commencent à l’approcher. Au début, Coralie de Boüard a dû essuyer des critiques assez vives du monde viticole, y compris de la part de membres de sa famille. « J’ai grandi au château Angelus à Saint-Émilion et j’ai été initiée au monde du vin par mon grand-père et mon père », raconte–t-elle.

Après une conjoncture économique accentuée par la crise sanitaire, le monde viticole a dû faire face à un contexte géopolitique tendu qui rend l’importation de matières premières incertaine. « Les ventes de vin sans alcool sont une bouffée d’oxygène pour notre trésorerie », avance Coralie de Boüard qui précise aussi que le vin ne fait plus partie des priorités d’achat des consommateurs en période d’inflation. Mais il s’agit aussi de s’adapter au renouvellement de générations qui n’ont plus la même passion du vin que leurs ancêtres.

« Je donne aussi des cours à l’Inseec à Bordeaux et beaucoup d’étudiants me confient préférer consommer du vin sans alcool dans des bars de la ville, explique-t-elle. Ce n’est pas la même sensation qu’un verre d’eau gazeuse avec une rondelle de citron. »

Ainsi, il s’agit de s’adapter aux mœurs, mais aussi aux nouvelles envies des consommateurs, qui manifestement « font plus attention à leur santé ».

Si le tabou autour du vin persiste chez certains, le sans-alcool continue sa route et gagne la confiance de plus en plus de monde. Grâce au succès de son vin sans alcool, Coralie de Boüard a même convaincu sa propre famille de l’avenir prometteur de ce segment. Autrefois vivement opposé à cette innovation, son père a fini par s’y intéresser, même s’il n’en a toujours pas goûté…

Le point sur les ventes 

• Nombre de ventes de vins non pétillants en grande distribution en 2023 : 
– 4,5 % en volume et – 0,5 % en valeur

• Pour le vin rouge qui représente 45 % du chiffre d’affaires de la filière viticole :
– 6,2 % en volume et – 2,8 % en valeur

• Pour le vin sans alcool :
+ 0,3 % en volume et + 10 % en valeur

• En France, le vin désalcoolisé représente désormais environ 2 % des ventes totales de vin, un chiffre qui pourrait doubler d’ici 2025 avec l’évolution des habitudes de consommation.

• La part des Français qui consomment du vin principalement le soir le week-end a augmenté de 5 points par rapport à 2023.

Sources : Nielsen IQ 2024, IWSR Drinks Market Analysis 2024 et Baromètre Sowine Dynata2024

 


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