Dans une industrie de la mode en pleine mutation, toutes les marques ne seront pas gagnantes
André, Camaïeu, Gap France, Go Sport, Kookaï, Pimkie, San Marina, … les marques de mode dans la tourmente sont nombreuses. Si la crise sanitaire a amplifié leurs difficultés, elle a surtout révélé des stratégies devenues obsolètes face à des évolutions que d’autres acteurs ont mieux anticipées.
ll y a une quinzaine années, nombre d’entreprises de mode ont vu dans la mondialisation l’opportunité de délocaliser leur production vers des pays à bas couts pour diminuer leurs prix de revient. La Chine en a largement bénéficié : elle reste aujourd’hui la première source des importations de vêtements aux Etats-Unis et en Europe.
Cependant, l’avantage comparatif de cet approvisionnement longue distance s’est progressivement érodé sous l’effet de l’augmentation des coûts de production off-shore.
Les chaînes d’approvisionnement doivent être repensées
Alors que le gouvernement chinois déployait des mesures protectionnistes et une stratégie « local-for-local », les acteurs de la mode ont commencé à revoir leur stratégie d’approvisionnement pour limiter leur exposition aux risques de ruptures, tout en assurant la profitabilité de leur modèle.
Certains ont choisi de diversifier leurs approvisionnements en Asie. En 2021, les exportations du Bangladesh vers l’Europe ont ainsi augmenté de 16%, et, sur le premier trimestre 2022, les exportations du Vietnam vers les Etats-Unis ont connu une hausse de 22%.
D’autres ont développé des modes de sourcing plus locaux et plus agiles, notamment pour certaines catégories de produit à forte valeur ajoutée. En 2021, la Turquie a particulièrement tiré avantage de cette nouvelle dynamique. La même année en Europe, les imports intra-européens ont augmenté deux fois plus (+ 17 %) que les imports extra-européens (+ 6 %).
Si la transformation des chaînes d’approvisionnement mondiales était déjà amorcée dans la mode avant la crise sanitaire, c’est néanmoins le covid qui a brutalement ouvert les yeux des entreprises.
L’allongement des délais de livraisons causés par les confinements, puis la saturations des ports, a parfois cruellement mis en lumière les dangers d’une stratégie d’approvisionnement uniquement basée sur le critère du coût, au détriment de l’adaptabilité de la chaîne logistique.
Les choix en matière de distribution sont également essentiels
Face à leur dépendance aux matières premières et à des savoir-faire stratégiques, certaines marques avaient opté pour des modèles plus intégrés, en consolidant leurs relations avec des fabricants et partenaires clés.
C’est le cas des acteurs du luxe, mais pas seulement. Entre 2019 et 2021, Inditex a par exemple réduit son portfolio de fournisseurs de 10% pour investir dans le développement de certains partenariats. La maison mère de Zara – qui a annoncé en mars dernier des résultats exceptionnels – profite également de sa transformation digitale, avec des ventes en ligne qui représentent à présent presque 25% de son chiffre d’affaires.
Pour les marques qui étaient restées tributaires de circuits d’approvisionnement longs et d’une distribution centrée sur les boutiques, la crise sanitaire a débouché sur une double peine : avec des cycles de production et d’acheminement de 6 à 9 mois, les stocks ne correspondaient plus du tout aux attentes des consommateurs quand les boutiques ont pu rouvrir.
A l’inverse, grâce à un approvisionnement de proximité, certaines marques ont ajusté plus facilement leur production à la demande. Combiner sourcing court et stratégie de vente en ligne s’avère d’autant plus pertinent que l’analyse des données de consommation permet désormais de suivre les comportements d’achats en temps réel, pour adopter ses assortiments en conséquence.
La fast fashion (comme certaines marques du milieu de gamme) l’a bien compris. Ses nouveautés sont produites en petites séries, pour attirer un nombre croissant de consommateurs.
Produire moins, mieux, de manière plus durable
Troisième mutation majeure dans l’industrie de la mode : des consommateurs très concernés par leur pouvoir d’achat et avides de nouveautés, mais de plus en plus intéressés par l’origine, les modes de production et la durabilité des vêtements. Les comportements paradoxaux des plus jeunes, adeptes des nouveautés à petit prix de la fast fashion tout en défendant une mode plus durable, l’illustrent parfaitement.
Là encore, la seule recherche d’un prix de revient optimisé est perdante, car le rayonnement des marques dépend aussi de leurs actions concrètes en faveur de productions plus éthiques et durables.
Adopter des modalités agiles de création, de production et d’approvisionnement qui minimisent aussi les consommations de matières, les pollutions liées au transport et les gaspillages de toute nature (textile, énergie, émissions, …) est devenu un véritable avantage concurrentiel.
Pour évoluer dans cette direction, les acteurs de la mode bénéficient des technologies de l’industrie 4.0. Elles contribuent par exemple à réduire le risque d’invendus ou aident à garantir la traçabilité de la matière.
Certes, des barrières importantes subsistent pour une refonte radicale des modèles : accès aux matières premières, main d’œuvre qualifiée disponible, investissements pour mettre à l’échelle une production 100% locale, …
Mais on peut d’ores et déjà parier que les marques qui sortiront gagnantes des mutations en cours sont celles qui combineront avec intelligence – et avec l’aide des nouvelles technologies – des approvisionnements plus efficients, des modes de productions plus souples et des produits plus adaptés aux nouvelles attentes des consommateurs comme des plateformes de e-commerce. Les autres risquent de faire face à de grandes difficultés.
Tribune rédigée par: Maximilien Abadie, Directeur de la Stratégie Groupe chez Lectra
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