La star du hip-hop des années 2000, Craig David, est en concert ce jeudi 24 octobre au Bataclan. A l’occasion de son passage en France, Forbes l’a rencontré pour essayer de comprendre ce qu’il reste de modernité dans cet artefact pop.
Il y a des visages coincés dans une époque, de celle où on écoutait de la musique sur Walkman, et où on échangeait des cartes Pokémon dans la cour de récré. Craig David appartient à cette race d’artiste, artefact néolithique d’une enfance pour les uns, d’une adolescence pour les autres, et d’autres choses aussi sans doute. On est en l’an 2000 quand ce chanteur à la beauté de fin de siècle a débarqué sur les sondes et a tout bouffé, les charts, le public et la critique, et on yaourtait à qui mieux mieux sur « 7 days » et « Walking Away » – si vous ne vous en souvenez pas, ne vous en faites pas, ça devrait vite revenir.
Craig David est de passage en France et joue ce soir, jeudi 24 octobre au Bataclan. La France, un pays qu’il adore, et qui l’aime en retour : c’est simple, l’Hexagone est le pays où il vend le plus, derrière le Royaume-Uni, d’où il vient. Lui qui a eu tant de mal à s’exporter outre-Atlantique – entendre : ça a été un échec complet -, a une jolie cote outre-Manche. On se souvient du petit buzz qu’avait fait le média Konbini en 2017, en invitant le chanteur à poser ses textes sur des instrus de rappeurs tricolores – comme ici sur la prod’ de « Wesh alors » de Jul : un demi-million de vues rien que pour cette performance, un sacré chiffre à une époque où Craig avait disparu des radars depuis presque dix ans.
Le chanteur a fait sa promo dans les locaux français de son label Believe. On était bien le dixième média à venir lui poser des questions ; vingt minutes d’entretien à chaque fois, une petite épreuve. Mais l’homme, 43 ans, tout de blanc vêtu, est charmant, a ce visage conçu dans une beauté qui restera jusqu’à la tombe, vous donne du « bro » dès les premiers échanges. On lui confesse qu’on avait 8 piges quand « 7 days » est sorti, et que c’était notre idole, enfant. Son regard s’éclaire, l’entretien est court mais adorable. Être un fétiche des années 2000 n’est pas un problème pour Craig. Mieux : il en est heureux. « C’est une chose magnifique. Il n’y a que ton ego qui peut penser le contraire. Parce que ton ego n’est satisfait que lorsqu’il arrive à montrer qu’il est dans l’air du temps, qu’il a quelque chose de neuf à apporter. Mais je sais que j’incarne une forme de nostalgie. Et c’est incroyable, qu’après 24 ans de carrière, j’arrive à faire battre le cœur des gens avec mes tubes. Personne ne se souvient du nombre de ventes, du rang dans les charts. Les gens se souviennent de l’effet que leur procure telle ou telle chanson. »
Craig David – ça, les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre – a été une superstar. Son premier album sorti en l’an 2000, Born to do it et ses tubes, « Seven days » et « Walking away », a fait bouillonner toutes les ondes radios et s’est vendu à huit millions – oui oui – d’exemplaires. Cet album, qui, esthétiquement, dépasse les frontières du kitsch quand on le réécoute vingt-quatre ans plus tard, a été à sa sortie plutôt acclamé par la critique. En 2009, les spectateurs de MTV l’ont même élu meilleur album de l’histoire, derrière Thriller de MJ. L’amour rend aveugle. David c’est au total huit albums en 24 ans de carrière. Et peu de grands succès depuis longtemps
Au fond, on se demande bien ce qu’il y a de moderne chez cet homme que tout le monde va voir en mode « bon vieux temps ». Pas sa musique déjà, parce honnêtement, on s’est farci toute sa discographie, et tout à l’air en retard, donnant l’impression que David est un collégien qui court derrière le bus scolaire, lui qui, au début des années 2000, avait quasiment à lui tout seul (on exagère un peu) affirmé les codes du R&B – voix en sucre d’orge sur des instru hip-hop teintées de UK garage.
Mais Craig David a connu un énorme trou d’air, une traversée du désert, un échouage en mer : entre 2007 et 2016, l’homme n’a pas sorti une seule chanson originale. Une anomalie dans l’industrie. C’est que le garçon s’est fracassé, à la fois contre le succès (le fameux passage du « 0 à 100 d’un coup », selon ses mots, qui l’ont propulsé du jour au lendemain de salles miteuses à trois soirs « sold out » à Wembley), et contre son échec, en 2007, de conquérir les Etats-Unis avec son troisième album. Depuis deux ans, l’artiste se livre en interview, dans des podcasts et dans un bouquin, sur cette période où il a été frappé par la dépression. Et surtout comment il en est sorti : « Vous passez tout ce temps à courir derrière quelque chose : être le numéro un des charts, obtenir un nouveau million de followers. Et vous vous rendez compte que ça ne produit plus en vous ce que vous escomptiez. Le voyage compte, la destination aussi parce qu’elle motive le voyage. Mais si cela vous empêche de vivre le moment présent, il faut changer quelque chose. Par exemple, quand on me demande aujourd’hui quel est mon plus grand accomplissement, ce n’est pas d’avoir écrit des tubes : mais c’est d’être ici, aujourd’hui, avec vous pour en parler 24 ans après. » Pour l’auditeur, c’est la même : ce n’est pas parce qu’une chanson est vieille qu’elle n’infuse pas le moment présent. Voilà une leçon : il n’y a rien de plus moderne que la nostalgie.
Seconde leçon. Au fond Craig David raconte ceci : quand on a été très haut très fort, rien ne nous oblige à devoir le rester. Et redescendre un peu plus bas, avec moins d’intensité, n’est pas un échec : c’est juste une autre aventure. « L’industrie pousse à raconter une seule histoire : quand vous êtes célèbre, vous devez apparaitre intouchable. Il n’y aurait comme ça, aucune limite à l’ascension. Et vous devez toujours faire plaisir aux gens. Vous répondez ‘oui’, alors que vous avez juste envie de dire ‘non' ».
On pourrait ainsi rire facilement, et affirmer que Craig David est un has-been. Ce serait se tromper sur tout la ligne. Il est étonnant de voir cet homme au visage infiniment jeune, avec ses quelques poils blancs qui se diffusent dans sa barbe, vous dire ce que sans doute bien des artistes, gloires éphémères ou moins raccourcies, auraient aimé qu’on leur dise, si possible avant de se foutre en l’air. Cette façon apaisée de vivre le succès et son contraire n’est pas moderne. Elle est sans doute assez avant-gardiste.
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