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Comment l’habit dévoile l’entrepreneur dans sa personnalité et son management ?

© Kahina Melchane

Le sempiternel t-shirt gris de Zuckerberg, emblématique patron de Meta (ex-Facebook) ; le pull à col roulé noir de Steve Jobs, une image immortelle à jamais associée à l’ex-patron d’Apple… autant de marqueurs vestimentaires indissociables de ces grandes figures des affaires. L’habit fait l’entrepreneur, aussi. Jugé, admiré, crucifié, comparé à la loupe de leurs looks dans un tribunal médiatique sans concessions, la tenue comme le management est une marque de fabrique. Comment imprimer son style avec naturel et maîtrise ? Entretien avec la fondatrice de Posture Agency, Kahina Melchane, qui accompagne les cadres dirigeants et personnalités publiques.

 

Peut-on vraiment s’autoriser à sortir du conformisme quand on a érigé comme normes le tailleur et costume-cravate ? 

Kahina Melchane : Tout à fait, et heureusement d’ailleurs ! Les temps, les croyances ont changé tout comme l’éducation parentale et les exigences sociétales. Le monde reste régi par des normes, néanmoins il est plus facile de s’en affranchir aujourd’hui en raison d’une plus grande ouverture d’esprit. Par le vêtement, les individus peuvent échapper à certains carcans, exprimer leur singularité et garder un espace de liberté. Porter des sneakers avec son costume au lieu de mocassins vernis ne s’est pas fait du jour au lendemain… Dans l’open-space, quand un collaborateur arbore un piercing et des tenues flashy, c’est aussi un message à son environnement professionnel, à sa hiérarchie. Une manière de ne pas se conformer à ce que la bienséance au bureau attend de nous. « Je suis moi et vous devez accepter de ne pas avoir le contrôle sur ma personne. Composer avec ! », l’habit est un bon baromètre du degré de confiance en soi.

N’occultons pas le rôle de la nouvelle génération (Z) qui a pris une autre direction encore plus affirmée, revendicatrice. Qu’il soit identitaire, religieux, politique… le vêtement est un prolongement de leurs combats et convictions. En 2024, plus que jamais, on peut oser et assumer d’imprimer son style. 

Est-ce plus aisé d’accompagner dans son image un chef d’entreprise ou une célébrité plus alerte en matière de stylisme, mais peut-être « diva » ? 

Un styliste doit s’adapter aux besoins et demandes de chacun de ses clients, anonymes ou célèbres. Finalement, il est plus simple pour moi d’accompagner une star qu’un entrepreneur. Impossible de bousculer, sortir de sa zone de confort un entrepreneur assujetti à des contraintes corporate engageant l’image de son entreprise vs une célébrité qui est seule à incarner son image de marque. C’est donc une nuance de taille. Un manager, chef d’entreprise cherche à être élégant, remarqué… mais pas trop. Voler la vedette, ce n’est pas le but recherché contrairement aux personnalités publiques qui veulent décrocher le plus d’éloges à l’applaudimètre. Un entrepreneur aspire avant tout à se sentir à l’aise dans son allure, confiant.

De fait, je ne l’encouragerai jamais à porter une coupe ou des couleurs aux antipodes de ses habitudes afin qu’il ou elle ne soit pas encombré dans son esprit de pensées inconfortables. « Suis-je excessif ? Suis-je crédible ? Suis-je encore moi ? », j’aurais échoué si mes recommandations stylistiques devenaient un vrai sujet dans la tête de mes clients.

L’exercice appliqué à une star est totalement différent car le point de départ repose dans les objectifs motivant son apparition : est-ce un comeback après des années d’absence ? La sortie d’un album, la promo d’une marque ou d’un film, un shooting de magazine…? Je peux aussi bien composer un vestiaire de rupture que rester dans la zone de confort de l’artiste. Auquel cas, les pièces seront toujours visuellement impactantes pour que tout le monde s’attarde sur l’esthétique. Et bien sûr, il y a un enjeu avec les marques impliquées dans les partenariats.

© Kahina Melchane

 

Est-ce qu’il y a des constantes rapprochant ces deux profils ?

Effectivement, je dois gagner leur confiance et cultiver un lien de proximité. Rapidement, ils doivent comprendre que j’ai un bagage culturel solide, que j’ai observé leurs postures, leurs mimiques, que je me suis mise au diapason de leur météo psychologique. Habiller un entrepreneur le lendemain d’un deal commercial raté ou une vedette qui vient de rompre et victime de paparazzi, ce n’est pas pareil que les conseiller après une belle journée où tout va bien…Au styliste de créer une bulle de bien-être pour sonder l’intérieur et travailler sereinement. De l’importance également d’être dans l’air du temps en demeurant à l’écoute des débats sociétaux (bannissement de la fourrure de plus en plus adopté, appropriation vestimentaire maladroite d’un autre patrimoine…), les calculs sont nombreux.

Le bad buzz jamais loin. Ainsi, la morphologie n’est pas la seule boussole, se greffent à elle les pudeurs, les croyances, les lignes rouges de certains : rien ne doit échapper au conseiller en image qui se doit de donner une direction artistique au projet.

Je dois en outre maîtriser les nouvelles collections des maisons de luxe sitôt dévoilées lors des fashion weeks afin de prendre le pouls des dernières tendances qui m’aideront à définir mon mood board (planche d’inspiration). Autre constante, je suis régulièrement engagée dans une course contre la montre pour obtenir les mensurations à jour, les autorisations de sortie des vêtements, l’acheminement des tenues d’une contrée à l’autre (pour les célébrités) … Ma première contrainte est donc le facteur temps.

Zuckerberg et son indéboulonnable tee-shirt gris ou l’emblématique pullover à col roulé de Steve Jobs sont devenus des marqueurs, qu’est-ce que ces choix esthétiques racontent-ils des personnages ? 

Tout d’abord, j’adore ces marqueurs stylistiques. Zuckerberg et le regretté Steve Jobs ont ainsi partagé ce goût de la simplicité et de l’humilité à travers la symbolique de ces vêtements. La personnalité domine, peu importe l’apparat. Steve Jobs a rendu éminemment élégant le pull à col roulé qui est d’ailleurs accessible à toutes et à tous, unisexe. Qui n’a pas un Pull-over noir dans sa garde de robe ? Merci à Issey Miyake, à jamais rattaché à l’un des plus entrepreneurs les plus ingénieux qui soit.

S’agissant de Zuckerberg, que de spéculations derrière son t-shirt simplissime ! Lorsqu’il a fini par expliquer que c’était pour s’éviter quotidiennement d’avoir à choisir un look différent afin de se concentrer sur l’essentiel de sa mission, c’est très plausible avec le personnage. Oui, j’ai été confortée dans mon idée qu’il voulait rester focus sur ses activités et s’épargner les dilemmes journaliers sur la sacro-sainte question : quoi porter aujourd’hui ? Aller droit à l’essentiel et ne pas tomber dans le piège des critiques, des tergiversations. Les deux Américains étaient peut-être longtemps incompris au pays de la patrie du luxe… mais, au final, ils ont contribué à faire évoluer notre rigidité vestimentaire en entreprise.

Mark Zuckerberg © Getty Images

 

Vous avez été amenée à travailler sur le stylisme de Beyoncé pour des apparitions publiques. Sur ce genre de collaboration, quelle est votre marge de manœuvre ? 

On est toujours intimidé de s’associer à des célébrités comme Beyoncé, c’est une carte de visite par la suite. Vous gagnez indéniablement en crédibilité. La pression se situe au niveau de l’intemporalité de la collaboration puisque tant pour un clip, un shoot édito, une pochette d’album ou une promotion… Les images resteront à vie. Grande est la responsabilité. Ceci étant posé, j’ai la même approche pour chaque personne, telle que décliné précédemment. Le bonheur de conseiller une Beyoncé est d’avoir la facilité d’obtenir tous des marques, d’avoir un budget illimité, bref une facilité d’exécution proportionnelle à l’aura de la star. Les célébrités américaines sont des gens très pragmatiques et ont une grande considération pour votre travail de styliste car perçu comme l’un des rouages dans leur projet. 

Un conseil aux entrepreneurs en quête de leur identité stylistique ? 

La personnalité ne doit jamais s’effacer au profit exclusif de son environnement professionnel. Peu importe sa position, son secteur d’activité, il convient de refléter extérieurement certains traits de caractères par l’habit. Le côté sportwear ou dépareillé d’une tenue c’est une forme de force tranquille ; la carte fashion évoque la prise de risque, la passion ; le penchant chic souligne une ambition et envie de s’élever… Le conseil que je répète est de bien choisir la coupe et la qualité, après l’attitude suivra.

 

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