Avez-vous déjà entendu parler de collapsologie ? Ce terme, inventé par Pablo Servigne et Raphaël Stevens à l’occasion de la sortie de leur livre « Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes », défraye la chronique depuis déjà quelques années. D’où vient ce courant de pensée ? Qui sont ceux qui croient aux théories, souvent considérées comme dérangeantes, de ces « effondristes » ou « collapsologues »?
Derrière ce néologisme un peu barbare (issu de l’anglais «collapse » signifiant « effondrer », associé à la racine grecque « logie » désignant « l’étude de ») se cache une approche pluridisciplinaire qui fait des émules. Il s’agit d’étudier les risques d’un effondrement en cascade de notre civilisation, et tenter d’imaginer ce qui pourrait lui succéder en se posant la question suivante : Quel avenir pour l’Homme après la fin de notre civilisation ?
De l’Histoire de l’effondrement
Malgré sa récente popularité, cette discipline puise ses origines dans le Nouveau Testament et les croyances religieuses du Moyen Âge. L’Apocalypse est, en effet, considérée comme l’une des premières formes de collapsologie de l’Histoire. Depuis, la fin du monde et les théories de l’effondrement sont des sources d’inquiétude récurrentes, notamment dans nos cultures occidentales. Cent quatre-vingt-deux fins du monde ont ainsi été annoncées depuis Nostradamus, sans qu’aucune se soit concrétisée. Un constat qui pourrait inciter à émettre de sérieuses réserves sur le bien-fondé de ce type de courant de pensée.
Quel que soit notre avis sur la question, force est de constater qu’un certain nombre de chercheurs, d’institutions, de scientifiques et de penseurs pensent que notre civilisation industrielle pourrait disparaître d’ici quelques années. C’est notamment le cas de l’astrophysicien
Aurélien Barrau qui estime que nous sommes confrontés au plus « grand défi de l’humanité ». Il croit, en effet, que notre système est « instable » et « voué à crasher », dans la mesure où nous détériorons notre
environnement et où nous exploitons « de manière exponentiellement croissante, nos ressources dans un monde de taille finie ». Les premières étapes de notre effondrement seraient d’ailleurs déjà manifestes. Il cite ainsi comme exemple l’imbroglio de la crise migratoire européenne et s’interroge sur notre capacité à accueillir entre 200 millions et 1 milliard de réfugiés climatiques d’ici 30 ans. Il stipule qu’un tel contexte, au vu de nos manières d’agir et de penser, ne pourra aboutir qu’à une situation des plus conflictuelles.
Qui sont ces « effondristes » ou « collapsologues » ?
Vieux de 200 ans, notre modèle serait donc à bout de souffle, car nous sommes confrontés à des problématiques économiques, sociales, sociétales et environnementales que nous ne serions pas à même d’endiguer. L’actualité sanitaire, sociale et économique vient ainsi nourrir les théories sur l’imminence d’un effondrement, en cascade, de notre civilisation. La question on ne peut plus préoccupante du réchauffement climatique et les crises économiques à répétition fragilisent nos écosystèmes.
Ceux qui s’intéressent à la collapsologie ne sont pas nécessairement ancrés dans une logique fataliste et résignée, mais s’intéressent plutôt à l’«après» et étudient, aux côtés des chercheurs, les mécanismes d’autodéfense et de résilience collective qui pourraient voir le jour.
Elisa, 56 ans, a décidé, il y a 15 ans, de tout quitter pour vivre dans une yourte. Installée dans un centre bouddhiste, au milieu des Pyrénées, elle a fait le choix d’un mode de vie plus vertueux, autosuffisant en nourriture et en énergie. « Depuis que je vis en pleine nature, je réalise ce qu’il se passe… Avant, en hiver, il me fallait quatre stères de bois pour me chauffer. Depuis que j’ai changé de mode de vie, il ne m’en faut plus qu’une et demi… ».
Après s’être rendu au Népal à la suite du tremblement de terre de 2015 et après avoir vécu plusieurs années en Inde, elle a réalisé que nous « pouvions vivre de peu » et qu’il est nécessaire de se conformer à un mode de vie plus simple, avant qu’il ne soit trop tard. « Je pense que, dans peu de temps, il y aura un effondrement significatif de notre société et je suis attristée de voir que peu de gens en prennent conscience », affirme-t-elle.
Selon Elisa, cet effondrement sociétal sera d’autant plus difficile à vivre pour les femmes. « Les femmes seront plus vulnérables dans le monde. Il y a un risque de retour à la force physique et à la violence… ».
Comme Elisa, nombreux sont ceux qui croient en l’imminence de cet effondrement et s’inquiètent des répercussions d’un tel choc sur notre humanité.
« L’idée est de s’y préparer… Une survie, seule, est impossible. Il faut un collectif prenant en compte les individualités ».
La crise actuelle doit-elle être considérée comme les prémices du « grand effondrement » ?
De la crise sanitaire à la crise économique et sociale, le COVID-19 est considéré par certains comme une « répétition générale »* de ce qui nous attend ces prochaines années.
Certes, nous n’en sommes pas à notre première crise. Les guerres, les famines, les maladies et autres drames ont marqué notre histoire. Cependant, ces crises étaient jusqu’alors limitée à un périmètre défini : il s’agissait de crise économique, de crise sociale ou de crise sanitaire, mêlant parfois ces dimensions. La crise actuelle met en exergue l’interconnexion entre l’ensemble des composantes de notre écosystème. Les collapsologues évoquent une crise systémique qui remet en cause l’ensemble de nos modes de fonctionnement, à tous niveaux.
Or, c’est en période de crise que nous pouvons réellement évaluer la robustesse de nos modèles. Si l’on s’intéresse de plus près à cette « répétition générale », force est de constater que les états qui sont considérés comme de grandes puissances ne sont pas nécessairement ceux qui ont le mieux résisté à cette crise. On constate par exemple que les États-Unis s’y enfoncent chaque jour un peu plus (avec une baisse historique de 32,9% de leur Produit Intérieur Brut au deuxième trimestre) alors que les pays de l’hémisphère sud résistent mieux. Une douzaine de pays n’ont d’ailleurs pas ou très peu été touchés, la plupart d’entre eux se situent dans l’océan pacifique ou en Afrique.
Les résultats financiers du deuxième semestre annoncent également des conséquences économiques majeures pour les géants du CAC 40. Renault, Airbus, Total ou encore EDF ont ainsi affiché des résultats des plus préoccupants avec des pertes historiques liées à la période de confinement.
Mais, malgré cela, nous avons, collectivement, su faire preuve d’une véritable capacité d’adaptation. Nous avons (é)prouvé la résilience de nos modèles avec la repriorisation de nos activités, la mise en place d’aménagements urbains, la création de nouveaux dispositifs solidaires, etc.
Est-il déjà trop tard ?
La crise actuelle, objet de curiosité, car représentatif de ce que pourrait nous réserver l’avenir, nous permet d’observer un retour progressif à des modes de fonctionnement proche de ceux d’« avant-crise », mais une dynamique nouvelle s’installe progressivement. La réduction de nos activités durant la crise a accordé une trêve à nos écosystèmes, permettant de constater une amélioration de la qualité de l’air et un recul du « jour du dépassement ». Ces éléments ont permis de susciter des prises de conscience écologiques et des évolutions notables commencent à poindre.
Cet été, nous assistons notamment à un tourisme relocalisé. Plus question de traverser les océans pour ses congés, les touristes européens se contenteront cette année des pays frontaliers aux leurs. Les Français, notamment, optent en masse pour le « made in France », prenant conscience de la richesse de notre patrimoine culturel et de la diversité de nos paysages. Et si cette période particulière nous permettait de passer d’un tourisme de masse à un modèle plus qualitatif, raisonné et responsable ?
Une transition s’amorce également sur nos modes de consommation, notamment par le passage d’une culture de la propriété à une culture de l’usage. Nous avons davantage tendance à privilégier la qualité à la quantité et à basculer vers une économie plus durable. Les fonctionnements en circuits courts sont valorisés, les commerçants écoresponsables gagnent des parts de marché, l’industrie du divertissement est bouleversée par les plateformes de streaming, les applications de ventes d’occasions se démocratisent (automobiles, meubles, vêtements, etc.), etc. Autant de signaux faibles qui rendent compte de la possibilité d’opter pour un autre mode de fonctionnement, plus durable, plus contributif et moins polluant.
Autre vecteur d’espoir : la reforestation progressive de nos territoires ces dernières années. Depuis 1980, notre territoire forestier progresse de 0,7% en métropole. Berceau de nos écosystèmes permettant de préserver l’habitat naturel des centaines d’espèces, les forêts recouvrent en effet 31% du territoire français soit 16,9 millions d’hectares*.
Malgré les difficultés que nous traversons, nos sociétés se muent et font preuve d’une souplesse relative. Des éléments qui peuvent nous faire espérer un avenir moins sombre que ce qui est annoncé. Et si cet effondrement n’était finalement que l’évolution logique et progressive de nos sociétés ?
Et si nous parvenions, demain, à bâtir ensemble un modèle plus pérenne ?