Les Arts décoratifs exposent la singulière figure du Maharajah d’Indore, mécène visionnaire et commanditaire d’un étonnant palais moderniste au cœur de l’Inde des années 30. Plus de 500 pièces de son mobilier sont réunies pour la première fois et recréent l’atmosphère unique du Palais de Magik Bagh. Elles nous dévoilent que cette aventure esthétique hors norme fut aussi celle d’un duo amoureux. A voir sans tarder.
Capturé en habit occidental par le peintre Bernard Boutet de Monvel, le regard mélancolique, d’incroyables mains affinées, le chicissime Shri Yeshwant Rao Holkar II (1908-1961), plus connu sous le nom de Maharajah d’Indore, semble sortir des pages d’un roman de F. Scott Fitzgerald. En tenue d’intronisation dans un autre portrait à la structure impeccable du même peintre, un même halo d’élégance et de mystère se dégage de sa personne. Jusqu’au 12 janvier 2020, l’exposition du MAD tente de percer l’énigme de cette captivante figure des années 30 qui transgressa les codes et mobilisa une pléiade d’artistes de l’avant garde européenne pour ériger la première construction moderniste de l’Inde, bien avant que ne soit érigée la cité de Chandigarh.
Descendant de la prestigieuse dynastie de Holkar, gouvernant une région cruciale d’une Inde sous protectorat britannique, le prince, comme sa très jeune épouse la Maharani Sanyogita Devi, est envoyé faire ses études en Angleterre. Introduit par son précepteur, le Dr Marcel Hardy, au milieu culturel européen, il rencontre et se lie avec Eckart Muthesius, architecte allemand proche des idées du Bahaus et le marchand d’art et écrivain Henri-Pierre Roché, l’auteur de Jules et Jim, qui devient son conseiller artistique. En 1926, un scandale oblige son père à abdiquer en sa faveur. Le jeune couple régnant continue à voyager régulièrement en France ou en Allemagne où il fréquente ateliers d’artistes et expositions, et développe un goût prononcé pour l’avant-garde artistique européenne.
En 1929, enthousiasmé par sa visite du studio du couturier et collectionneur Jacques Doucet, le prince de 21 ans décide d’ériger un Palais privé radicalement moderne et géométrique, contrepoint de celui de ses ancêtres. Il charge Eckart Muthesius de la réalisation de ce projet. Conçu comme une demeure à vivre, Magik Bagh (« le jardin des rubis ») se veut un Palais à la pointe de l’avant garde où se mêlent luxe, confort et modernité. Un innovant système de climatisation silencieuse y est par exemple installé. Pour le meubler, le prince mobilise avec l’aide d’Henri-Pierre Roché la fine fleur des créateurs européens parmi lesquels Jacques-Émile Ruhlmann, Djo Bourgeois ou Sognot et Alix qui réalisent des pièces devenues iconiques de cette période tels le fauteuil transat d’Eileen Gray, ou les tapis d’Ivan Da Silva Brunhs posés sur les sols comme de vastes toiles abstraites. Parmi les pièces phares de l’exposition figure le plâtre original d’un des trois grands Oiseau dans l’espace de Constantin Brancusi acquis par le Maharajah lors d’une visite au studio de l’artiste, avec qui il discute aussi d’un projet de temple de la Méditation.
Homme de goût et force créative, le Maharajah participe lui même à la conception de certaines pièces comme des luminaires. Il multiplie les séjours à Paris pour continuer à se former à tout ce qu’il y a de plus avant gardiste et passer commande de mobilier mais aussi de services de table, de joyaux tandis que de nouvelles réalisations – train aménagé, avion, caravane sont confiées à l’architecte Eckart Muthesius.
Les commissaires d’exposition Raphaëlle Billé et Louise Curtis ont aussi découverts d’étonnants et poétiques clichés du couple par Man Ray qui apportent un éclairage clé sur l’influence de la Maharani dans cette aventure. Les poses libres du couple, inhabituelles pour l’époque et des personnes de leur rang nous les montrent aussi épris que follement modernes. « Si le titre de l’exposition se focalise sur le prince indien, le parcours met en évidence la présence prépondérante de la très belle Maharani Sanyogita Raje qui partageait le goût de son mari pour l’avant garde » indique le Dr Amin Jaffer, conservateur en chef de la collection Al Thani, soutien et contributeur de l’exposition, « Les portraits de Man Ray ou les films d’Eckart Muthesius ou de Marcel Hardy montrent l’unité de ce couple, dont l’intimité et l’aisance sont évidents dès qu’ils sont côte à côte. L’édification de Manik Bagh fut véritablement une passion partagée ».
La disparition soudaine de la Maharani en 1937 provoque la fin de ces collaborations fastueuses. Le prince cesse ses commandes, déserte Manik Bagh et ne fera plus guère parler de lui. Se referme ainsi cette parenthèse d’un peu plus d’une décennie dédiée à la beauté, à la perfection et à la modernité occidentale qui laisse une empreinte marquante dans l’histoire de l’architecture et du design.
Moderne Maharajah, un mécène des années 30.
Du 26 septembre 2019 au 12 janvier 2020 – Musée des arts décoratifs.
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