Coté texte, Hamlet de Shakespeare, qui sculpte la langue et les sentiments humains pour produire une fresque visionnaire et projeter la pensée occidentale dans un futur qui la dépasse, de l’autre l’image d’un peintre japonais, designer d’un nouveau cosmos abolissant les frontières. Au pli du livre, l’alchimie parfaite.
Face au génie de ce peintre nomade en équilibre sur le fil de la destinée humaine, les éditions Gallimard ont donné carte blanche à l’artiste qui a décidé d’investir l’univers de William Shakespeare qu’il découvrit très jeune, comme toute la génération japonaise d’après-guerre ouverte sur la culture occidentale. « Être ou ne pas être, dit Aki Kuroda, est une phrase qui a habité mon enfance sans que je ne connaisse vraiment son contexte ». Adulte, l’artiste a développé une véritable passion pour ce texte du dramaturge anglais qui a été une véritable source d’inspiration. « Il s’agit d’un travail de collaboration avec Shakespeare qui va au-delà du temps et de l’espace. J’ai téléphoné à William et nous en avons parlé » explique-t-il, la prunelle mutine.
De la toile au livre, il y a surtout le travail d’un peintre, différent de celui de l’illustrateur. Après avoir relu Hamlet, Aki Kuroda a essayé de tout oublier pour laisser parler l’essence de l’œuvre traduite en mouvements. Cela a donné cinquante dessins forts et puissants qui s’harmonisent magnifiquement avec le texte de Shakespeare, réédité dans son intégralité à l’occasion du 400ème anniversaire de la mort du dramaturge. Cette édition-interprétation toute contemporaine d’Hamlet, dans une traduction de Jean-Michel Déprats, est proposée avec les cinquante-cinq dessins originaux d’Aki Kuroda et un marque-page conçu par l’artiste, ou encore dans une version de luxe limitée à 99 exemplaires, emboitée dans du plexiglas sérigraphié contenant, en plus des dessins originaux, deux lithographies originales numérotées et signées par Aki Kuroda.
Quand il peint, le mystère de l’univers se dévoile, les frontières du temps et de l’espace s’abolissent : Aki Kuroda sort de la roue du temps, retourne à l’enfant, à la spontanéité et l’innocence de la première peinture à huile réalisée alors qu’il n’avait que quatre ans ! Dans le jardin cosmique d’Aki Kuroda où chacun est libre d’entrer et sortir, aller et venir à son aise sans contrainte de temps ni de lieu, l’on croise William Shakespeare ou Lewis Caroll, Dali ou Picasso, le Minotaure, des surfers de comètes, des lapins pressés et des fleurs rouges car « je suis un jardinier cosmique qui laisse pousser librement », dit Aki Kuroda. Venu d’une autre planète, le peintre ne pose pas de frontière entre Orient et Occident, peinture, théâtre, dessin, gravure, sculpture, photographie, installations scénographiques, entre la toile et la ville : toute matière est bonne à être transformée, toute dimension à être traversée. Naturellement, Aki Kuroda collabore avec des architectes comme Tadao Ando, Richard Rogers, ou des chorégraphes comme Angelin Prejlocaj, des compositeurs japonais comme Keiichiro Shibuya qui a créé un opéra virtuel baptisé « The End – Vocaloid Opera » présenté au Théatre du Chatelet à Paris en 2013…
Au fil de ses voyages autour de la planète, Aki Kuroda a tissé des amitiés avec des philosophes, des astronomes, des physiciens, des scientifiques, il a invité les mythes, les mathématiques, et les questionnements ontologiques sur ses canevas, du roi Minos à Hamlet, inventant sa propre mythologie d’un nouveau paradis cosmique. Enfant, Aki découvre la revue d’art Le Minautore que son père, économiste de renom, lui rapporte de Paris en plusieurs exemplaires. C’est au cœur de la cité impériale de Kyoto, sa ville natale, haut-lieu de la tradition japonaise bouleversée par l’issue de la Seconde Guerre mondiale, qu’il conçoit l’inconcevable, l’existence d’une esthétique totalement différente, chaotique, iconoclaste : à travers la reproduction des tableaux de Miro, de Picasso, de Dali, il perçoit l’existence d’un autre monde, d’un ailleurs, et la possibilité d’une infinie liberté dans la création. Peindre sera pour lui proposer une nouvelle vision de l’univers et de la place de l’homme. Arrivé en France en 1970, il vit entre Paris et Tokyo, et peint aujourd’hui dans son atelier du 14ème arrondissement de Paris, situé au bout d’un passage labyrinthique agrémenté de rosiers.
Le sol de cet ancien entrepôt baignant dans la lumière zénithale est maculé de tâches de peinture multicolores. Le peintre aime malaxer la couleur entre ses doigts et l’appliquer directement sur la toile en certaines zones du tableau posé sur un tréteau, à l’horizontale. Pour observer son travail, Aki Kuroda monte sur un escabeau, puis redescend. Au centre de la pièce, il y a la toile autour de laquelle il entame une danse. Et tout autour, les murs blancs cachés derrière des toiles grand format qui forment une jungle dans laquelle le peintre aime circuler, apparaître, disparaître, comme dans un jardin luxuriant. En 1992, Aki Kuroda a imaginé une comédie musicale, une performance rassemblant des danseurs du ballet de l’Opéra National de Paris, des musiciens, des poètes : un véritable spectacle entre l’opéra classique et l’opérette électronique mettant en scène les artistes les plus en vue dans leur domaine. Ainsi, avec le spectacle Cosmogarden10 présenté en novembre 2015 au théâtre des Sablons à Neuilly, le Labyrinthe Intangible (son titre) emmenait les spectateurs dans un jardin cosmique, une expérience totale de pénétration dans un tableau sensible en cinq ou six dimensions où l’espace et les personnages prennent vie entre les lignes de ce poème en corps.
En 2017, il est possible que Cosmogarden se transporte dans le désert d’Arabie Saoudite. Avec Aki Kuroda, le réel n’a pas de limites. Hamlet, William Shakespeare, interprété par Aki Kuroda, 200 pages, format 25×32,5cm
Editeur Gallimard
Edition courante. Prix : 45€
Edition de luxe. format 22,2 x 33 cm. Prix : 900€
Expositions d’Aki Kuroda
A Lyon jusqu’au 19 janvier 2017
Galerie Atelier 28
28 rue Burdeau, 69001 Lyon tél.
04.78.28.07.72
http://galerie-atelier28.fr/artiste/aki-kuroda
Texte par Françoise Spiekermeier pour Plume Voyage – Photographies d’Aki Kuroda dans son atelier par Françoise Spiekermeier
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