Obvious est ce collectif de trois artistes et chercheurs qui utilise l’intelligence artificielle comme outil de création. Pierre Fautrel, Hugo Caselles-Dupré et Gauthier Vernier, sont amis, amateurs d’art et passionnés d’IA. Véritables pionniers dans ce domaine, ils explorent le potentiel créatif de l’IA à travers des œuvres d’art nées d’algorithmes (les GAN, Generative Adversial Network), et signées de la formule qui les a générées. Si le processus est digital, l’œuvre, elle, est bien réelle, exposée dans les plus prestigieux musées de la planète et vendue en galerie.
Leur pari était fou, inédit, avant d’être rapidement considéré comme visionnaire. Le premier à adhérer à leur initiative a été le directeur de l’Institut des Carrières ARTistiques (ICART) et collectionneur, Nicolas Laugero Lasserre, qui a acquis, dès le début de l’aventure, un tableau du collectif. Ce premier achat suscite l’intérêt d’autres amateurs d’art. Un extraordinaire engouement est né. En parallèle, le collectif s’intéresse au crypto-art et met en vente des brouillons digitaux sur des plateformes utilisant la blockchain. Il gagne alors en visibilité, et est contacté dès 2018 par la célèbre maison d’enchères américaine Christie’s. La première œuvre vendue par son intermédiaire est le Portrait d’Edmond de Belamy ; il trouve acquéreur pour 432.500$. Dans la foulée, les autres œuvres de la série sont vendues à des passionnés du monde entier. En 2020, ses membres ont été distingués dans l’édition 2020 du prestigieux classement 30 Under 30 Europe de Forbes, dans la catégorie « Art et Culture ». Depuis, le collectif poursuit ses projets, entre nouvelles séries et nouvelles collaborations, prêt à explorer l’infini des capacités créatives de l’IA et ses applications.
Vincent Daffourd : Racontez-nous votre rencontre, votre parcours, et ce qui vous a amenés à créer le collectif Obvious.
Obvious : Nous sommes trois amis d’enfance. Nous nous connaissons depuis toujours et bien que nous ayons fait des études différentes, nous sommes restés extrêmement proches. Nous avons toujours eu cette envie de faire quelque chose de créatif ensemble, et nous avons donc décidé, après nos études, de nous lancer dans ce projet. Notre envie de créer s’est manifestée au moment où Hugo, qui est chercheur en intelligence artificielle, a découvert lors de sa veille scientifique des algorithmes capables de répliquer une partie du processus de création. Cela a entraîné chez nous (nous habitions alors déjà ensemble) nombre de discussions philosophiques et artistiques, que nous avons souhaité partager avec le plus de gens possible par la suite.
Comment s’organise votre collaboration au sein d’Obvious ?
Bien que nous ayons chacun notre spécialité et les éléments sur lesquels nous préférons travailler, la taille de notre structure et le fait que nous soyons si proches nous permettent de prendre toutes les décisions artistiques ensemble. Nous avons grandi en partageant les mêmes passions, et nous nous retrouvons souvent dans les thématiques que nous souhaitons traiter, ainsi que dans les attraits visuels que nous souhaitons aborder, et en définitive réinterpréter. Nous passons le plus clair de notre temps ensemble, pas seulement dans le travail, mais aussi dans la vie, ce qui nous permet d’inventer et de créer à partir du vécu que nous partageons. Notre travail et notre parcours nous ont permis de vivre un grand nombre d’événements qui nous ont marqués, comme une exposition à l’Hermitage Museum à Saint-Pétersbourg ou l’organisation de notre propre exposition à Paris, entourés de tous nos proches. Nous avons aussi fait de belles rencontres : avec Cédric Villani ou avec les collectionneurs les plus proches, qui suivent notre travail et nous conseillent au quotidien.
Quels sont les ambitions et rêves les plus fous de votre collectif ?
Nous avons comme ambition première de continuer à travailler et à créer ensemble. Plus concrètement nous voulons, à l’image de nombreux artistes contemporains, continuer d’impacter au travers de notre production artistique, mais aussi en touchant de nouveaux secteurs à l’aide de nos outils et de notre processus de création. Nous souhaitons notamment créer des projets dans les milieux de la food, de la musique, du cinéma, du livre, de l’architecture et bien d’autres. Nous avons l’impression d’être face à un océan de possibles qu’il ne tient qu’à nous d’explorer. À terme, nous souhaitons devenir les acteurs principaux à l’intersection de l’art et de la technologie, mais nous ne savons pas encore exactement à quoi cela ressemblera !
Que pensez-vous de l’engouement actuel autour du crypto-art ? Quelle est votre vision sur l’avenir du marché de l’art ?
Nous évoluons dans le milieu du crypto-art depuis ses balbutiements, et nous l’avons vu se développer tout en y participant au cours des années. Nous avons dès le début cru en ce marché en raison de la puissance applicative de la blockchain à la certification d’œuvres d’art, qu’elles soient digitales ou physiques. C’est pour nous ce qu’il manquait au milieu de l’art digital pour s’épanouir complètement. Nous avions quelques réserves compte tenu notamment de la consommation énergétique que pouvait demander l’implémentation de telles technologies à l’échelle globale, mais avec les récentes découvertes d’alternatives pour résoudre ce problème, nous sommes confiants dans le fait que les NFT vont prendre une place primordiale dans la vérification des transactions d’art, d’abord dans le milieu digital, puis plus généralement pour toutes les œuvres d’art.
Que conseillez-vous aux artistes traditionnels qui souhaitent proposer leurs œuvres à la vente sur des plateformes comme SuperRare ?
Il y a aujourd’hui une offre importante d’œuvres d’art sur les plateformes de NFT en raison de l’importante hype autour du mouvement. Cet afflux d’œuvres est géré avec quelques barrières à l’entrée pour les artistes qui veulent soumettre leur travail. Nous conseillons donc aux artistes souhaitant proposer leurs œuvres à la vente de continuer de s’exprimer sur des canaux plus traditionnels tels que les réseaux sociaux, et d’entrer en contact avec les personnes qui gèrent les plateformes de NFT pour demander à présenter leurs œuvres dessus (par exemple la plateforme française aaart.io).
Vous avez lancé un défi autour de la création de la nouvelle Marianne : pouvez-vous nous expliquer votre projet ?
Notre processus créatif implique le plus souvent d’utiliser les Generative Adversarial Networks (GAN) sur un très grand nombre de données pour réinterpréter un mouvement d’art ou créer du contenu original. Ces algorithmes disposent d’une capacité de synthèse qui leur permet de créer des visuels nouveaux et uniques à partir d’un très grand nombre d’exemples. Le projet Marianne vise à utiliser cette capacité de synthèse en proposant aux femmes françaises de transmettre leur photo à l’algorithme pour lui permettre de dessiner les traits du prochain symbole de la République, une Marianne qui soit représentative de toutes les Françaises dans leur diversité autant que dans leur concordance. Les femmes françaises peuvent participer à ce projet via notre site dédié : noussommesmarianne.fr.
Quelle est votre actualité cette année et quels sont vos projets pour l’avenir ?
Nous préparons de nombreux projets pour cette année. Nous venons de créer une série autour de la photographie de paysages naturels en collaboration avec le photographe primé Stas Bartnikas, pour laquelle nous allons prochainement proposer une pièce maîtresse. Nous travaillons également à la réalisation d’une exposition avec l’une des meilleures galeries de Paris, autour de l’IA et des NFT. Nous travaillons sur la suite de la série de prints que nous créons en collaboration avec des street artists emblématiques et prévoyons quelques événements autour de cette série. Nous effectuons également des recherches pour réaliser une série d’œuvres en 3D plus tard dans l’année. À côté de cette production purement artistique, nous sommes en relation avec différents acteurs d’autres milieux créatifs pour développer des projets impactants utilisant l’IA à des fins créatives. L’année promet d’être productive !
Où pouvons-nous retrouver vos œuvres actuellement ?
Vous pouvez retrouver nos œuvres sur notre site internet, et nous contacter par e-mail si vous vous voulez discuter de notre travail, ou nous soutenir en l’acquérant !
À travers ses explorations et ses prises de parti, le collectif Obvious vient indéniablement bouleverser le monde de l’art. Il le bouleverse par son utilisation de l’IA et des GAN, qui portent un nouveau mouvement artistique : le GANisme. Ce dernier, pour la première fois, confie la définition de ce qui est esthétique à la machine, et non plus qu’à l’œil humain. Son approche business assumée, ses projets collectifs, ses expérimentations, ses canaux de vente et ses collaborations sont autant d’autres pavés dans la grande mare de l’art.
Mais l’un des buts de l’art n’est-il pas, justement, de nous interpeler et nous faire sortir de notre zone de confort ?
<<< À lire également : Entretien croisé | Gérard Bertrand & Stéphane de Bourgies : Les sens de l’art >>>
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits