A deux pas de l’Assemblée nationale, le chef Flavio Lucarini et la pâtissière Aurora Storari proposent des assiettes magistrales de goût et d’inventivité. A l’honneur aussi cette semaine : La dame de Pic, la table parisienne d’Anne-Sophie Pic.
Il faut, en ces périodes de capharnaüm idéologiques et de cacophonies discursives, apprécier les verbes hauts et clairs, les prises de positions assumées et les têtes pensantes. Il y a, à deux pas du Palais Bourbon, lieu d’accueil de l’Assemblée nationale, une table qui impressionne par sa diction, ses intonations qui frôlent le chant lyrique, et les grandes idées qu’elle défend. On trouvera par exemple chez Hémicycle, rue de Bourgogne à Paris, une raviole farcie à la betterave fumée, sauce au petit lait et hibiscus, grand plaidoyer pour la sucrosité de la racine violette, qui ne cède jamais rien au jeu de son parfum parfois terreux, mais s’allie à des textures et parfums lactées et floraux qui feraient, dans la gastronomie, acte de loi organique.
Dans ce restaurant, appartenant au groupe Eclore (Substance, Bistrot Flaubert…) ouvert en 2023 – et déjà mono étoilé depuis 2024 -, le couple formé par le chef Flavio Lucarini et la pâtissière Aurora Storari offre une cuisine d’une grande sophistication, pleine de ces fièvres qui de loin sont empreintes de déraison, mais qui, ainsi maitrisées, sont des actes de grand talent et d’intelligence. Que dire par exemple de l’entrée faite d’un umami d’oursins, sauce girolles, herbes fraiches et orange, accompagné d’un délirant sandwich de peau de poulet, d’une radicalité féroce dans les goûts (ce gras mielleux de l’umami), et les textures (le croustillant du poulet), sinon qu’on appréciera l’usage de ces mots justes pour défendre des idées de prime abord excessive ?
Motion de confiance
Ainsi va la cuisine de Lucarini, lui le romain de 32 ans, qui a fait quasiment toute sa carrière en France, de cris du coeur en soupirs habités, un moment puisé dans les livres français, puis l’autre ramené de son Italie natale. De cette rhétorique, nait un chou farci à la cecina, sabayon à la bergamote (sans oeuf, sinon ce serait trop facile) et citron de Calabre (« la coriandre des citrons », nous glisse le chef). Une assiette aux harmonies inédites pour un chou, avec un amer renversant, une acidité qui résonne comme les grondements de la représentation nationale sous les hauts plafonds de la chambre basse. Une délectation.
La cuisine d’Hémicycle est une motion de confiance votée à l’unanimité, et ce, dès les amuse-bouches (beignet d’haddock et abricot fermenté, jus de radis et capucine, tartare de thon et coriandre). Pour le reste, personne ne fera d’obstruction parlementaire : tout se fait sans coup de force, mais avec un sens de la conviction qui emmènera avec eux tous les sceptiques et les mesurés. Arrive ainsi une Saint-Jacques cuite dans sa coquille, émulsion de céleri-rave et beurre noisette à la verveine pour laquelle il faudrait convoquer une commission parlementaire pour comprendre une telle perfection dans la gestion de l’harmonie coquillage-plante. S’ensuit un veau de lait au vinaigre de café, livèche, sauce aux céréales torréfiées et olive « all ascolana », petite merveilleuse d’association d’herbe et de chair, avec toujours cette facilité à proposer des saveurs qui tout à la fois se dissocient les uns des autres, et viennent, en bout de langue ou en fond de palais, faire écho tout ensemble.
Pour la fin du repas, c’est au tour d’Aurora Storari, prix du talent pâtissier de l’année 2025 décernée par La Liste, de monter à la tribune. Que ce soit avec sa crème glacée bergamote fromage blanc, la guimauve glacée, fleurs de brococli et mousse au citron et enfin des spaghettis de patate douce et jus de framboise avec une glace au yaourt, badiane, liveche, noisette, autant de prises de paroles qui dégoulinent de génie.
Rajoutons au procès verbal de cette séance, un remarquable accord mets-vins (servi par un sommelier particulièrement drôle), et un service impeccable.)
L’avis de Forbes : inoubliable. Une identité culinaire marquée, pleine de saveurs et de folies. Une cuisine qui passe en force, mais sans 49-3. Un de nos coups de coeur de l’année.
Hémicycle,
5 rue de Bourgogne, Paris, 75007, France
Menu déjeuner, 49 euros
Menus dégustation, 4, 6 et 8 temps à 85, 105 et 125 euros.
Accords mets-vins de 65 à 105 euros
La Dame de Pic
Le dessert nous a ravi : une déclinaison de la noix de Grenoble, crème glacée et tartelette, avec caramel, vin jaune curry de madras, cas d’école de jeux de textures et d’association de noix et d’épices, sublimé par un accord formidable avec un ratafia André Heucq. Le chevreuil rosé, mariné au miso de seigle, tonka et châtaignes, avec ses topinambours glacés fonctionnait très bien. Mais on a été moins emballé par la Saint-Jacques au beurre blanc, très bien exécutée mais qui laisse une impression de déjà-vu. On a trouvé aussi les « berlingots » made in Pic avec son consumé oignon et camomille, un peu surfaits à notre goût. Quant à l’huitre de Tarboureich, elle fait, en termes de parfums et de textures, trop de redites avec ce qui l’accompagne (betterave et crème glacée à la bergamote). L’accord de boissons, mêlant vin, thé, pisco et ratafia, ainsi que la carte des cocktails sont des quasi perfections. C’est peu dire, sans mauvais jus de mot, qu’on est resté sur notre faim en sortant de la Dame de Pic.
La Dame de Pic,
20 rue du Louvre
Forbes a été invité par les restaurants dans le cadre de tests accordés à la presse
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