La finance durable n’est pas une mode, mais une tendance de fond. Inévitable. Incontestable. Souhaitable. Par nos discours, nous avons construit notre légitimité. Aujourd’hui, alors que le capitalisme brûle, c’est à nous que le pouvoir confie la responsabilité de le reconstruire. Saisissons cette chance de mettre enfin en œuvre ces paroles, si fortes, et de prouver qu’un capitalisme durable est possible. Tribune de Philippe Zaouti, CEO de Mirova.
Paris n’est pas seulement la capitale de la mode, c’est aussi celle de la finance durable. Après avoir accueilli il y a 4 ans la COP 21 et être devenue le lieu des accords de Paris sur le climat, elle a été cette semaine la scène des PRI in Person, le plus important rassemblement de la finance durable. Rien d’exceptionnel jusque-là : nous aimons nous rassembler. Trop, peut-être pour le bien de notre empreinte carbone. Ce qui en revanche était exceptionnel a été la teneur des discours adressés par les politiques au monde de la finance.
L’objectif premier de l’investissement durable est de réorienter massivement les capitaux vers les solutions d’un monde durable. Pour ce faire, nous, ses acteurs, travaillons depuis longtemps à la construction de produits d’investissement les plus exigeants possible. L’exigence étant une notion relative, cela a donné lieu à de nombreux débats : sur l’analyse et l’intégration ESG, l’allocation d’actifs, les politiques de vote. Insatisfaits des résultats, nous nous sommes ensuite tournés vers les régulateurs : aidez-nous ! changez les règles du jeu ! imposez plus de transparence ! leur avons-nous demandé. Et la transparence fut, ou du moins elle est en train d’être. Pourtant, alors même que nous pensions révolutionner le système, nous restions dans une acceptation implicite du modèle. Un modèle qui n’a pas été construit pour prendre en compte les externalités environnementales et sociales, et qui parvient, au mieux, à les tolérer. Mais ce système semble tellement inébranlable, que nous l’acceptons.
Construire un nouveau capitalisme durable
Or cette semaine, lors de l’ouverture des PRI in Person, le Président Emmanuel Macron et le ministre Bruno Lemaire ont porté, chacun leur tour mais d’une même voix, un discours nouveau et -presque- inattendu. Clairement, explicitement, ils nous ont appelé à changer ce système et à construire un nouveau capitalisme. Ni plus, ni moins.
Presque inattendu, disais-je, car plusieurs signes avant-coureurs laissaient en réalité présager ce retournement, politique mais aussi économique. Le premier se produit au cœur de l’été, lorsque les plus grands patrons américains brisent le mythe de la valeur actionnariale. Un mythe que nous devons à Milton Friedman – un prix Nobel, rien de moins -, selon lequel l’entreprise serait la propriété de ses actionnaires et n’aurait pour but que la maximisation du profit. Un mythe qui gouverne notre système économique depuis 50 ans, bien qu’il ait été démontré et admis, en droit et par la littérature académique, qu’il n’était pas fondé. Le 18 août dernier, donc, la Business Roundtable a sobrement déclaré que « la valeur actionnariale n’est pas le seul objectif de l’entreprise ». Ce faisant, ils permettent d’espérer une redéfinition totale de la mission et de la gouvernance de l’entreprise.
Le second signe date de quelques jours à peine. Christine Lagarde, potentielle présidente de la Banque Centrale Européenne, répondant au Parlement européen, identifie le changement climatique comme l’une des préoccupations majeures des banques centrales et affirme que la lutte contre le dérèglement climatique doit être placée au cœur de la politique de la BCE. Elle affirme ainsi une volonté politique forte de placer les questions environnementales et sociales au cœur de notre modèle.
Le système craquelle, le pouvoir nous invite à le changer. Oui, mais comment ? Comment, enfin, changer les choses en profondeur ? Il faut d’abord repenser le fonctionnement de l’entreprise. C’est à nous, actionnaires, d’utiliser notre pouvoir pour faire diminuer le pouvoir des actionnaires, au bénéfice des autres parties prenantes. Et en réalité, au bénéfice de tous. L’entreprise doit œuvrer au bien commun, et c’est notre responsabilité d’actionnaires de l’exiger d’elle. A ce titre et pour être légitime dans notre démarche de construire un capitalisme durable, je pense que nous devons montrer l’exemple : Mirova est ainsi en train de devenir une B-corporation et une entreprise à mission.
Faire basculer le système, c’est aussi bouger les allocations d’actifs. Aujourd’hui, les trois quarts des investissements de la planète copient des indices qui nous conduisent à un réchauffement de 4 °C à 5 °C. Cela n’est pas tenable. Je suis un fervent militant de la gestion active, mais j’entends que ce modèle ne convienne pas à tous. Qu’à cela ne tienne, répliquons des indices durables. Le GPIF, le plus gros fonds de pension au monde, a déjà choisi d’indexer une partie de sa gestion passive à des indices environnementaux et sociaux. Ils ont ainsi déclenché au Japon un cercle vertueux puisque les entreprises ont évolué pour intégrer ces indices tandis que les investisseurs suivaient le mouvement de réallocation. Faisons de même.
La finance durable n’est pas une mode, mais une tendance de fond. Inévitable. Incontestable. Souhaitable. Par nos discours, nous avons construit notre légitimité. Aujourd’hui, alors que le capitalisme brûle, c’est à nous que le pouvoir confie la responsabilité de le reconstruire. Saisissons cette chance de mettre enfin en œuvre ces paroles, si fortes, et de prouver qu’un capitalisme durable est possible.
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