Le projet d’infrastructure le plus coûteux des États-Unis accuse un déficit de 4,7 milliards de dollars pour achever son premier grand tronçon. Après avoir obtenu des financements initiaux, Donald Trump dispose désormais des leviers nécessaires pour débloquer des fonds supplémentaires.
Lors du long trajet, peu attrayant, entre la baie de San Francisco et Los Angeles, les signes du projet d’infrastructure le plus onéreux du pays sautent aux yeux. Depuis la fenêtre d’une voiture filant à vive allure sur la State Route 99, les conducteurs peuvent distinguer une structure en béton, semblable à un pont, qui s’étend sur des kilomètres à travers la Central Valley, région clé pour la production des fruits et légumes frais du pays.
Peut-être qu’un jour, au début des années 2030, des trains à grande vitesse électriques transporteront des passagers à 350 kilomètres par heure sur les voies en acier de ce viaduc colossal. Mais jusqu’où ces trains iront-ils ? Le doute plane. Le projet californien de train à grande vitesse, souvent critiqué, progresse laborieusement, mais il manque encore au moins 4,7 milliards de dollars pour achever un tronçon de 275 kilomètres à travers la Central Valley, et près de 100 milliards pour relier ce tronçon à San Francisco et Los Angeles. Après quatre ans d’une administration Biden favorable au rail, l’avenir des financements s’assombrit avec le retour de Donald Trump à la présidence. Lors de son premier mandat, il avait annulé environ 1 milliard de dollars de fonds fédéraux destinés à ce projet, et rien ne laisse penser qu’il ait changé d’avis. « Je ne veux pas spéculer sur les décisions de la prochaine administration, ni exclure quiconque, mais il est évident que le rôle de leadership de l’État sera déterminant pour l’avenir de ce projet », a déclaré à Forbes Pete Buttigieg, secrétaire aux Transports.
Train à grande vitesse californien : un projet sous tension avec l’administration Trump
Au début de son mandat, le président Joe Biden avait restauré une subvention de 929 millions de dollars initialement octroyée sous l’administration Obama, mais annulée par Donald Trump. En décembre, il a alloué 3,1 milliards de dollars supplémentaires via la loi bipartisane sur les infrastructures. Par ailleurs, le ministère des Transports examine une nouvelle demande californienne de 221 millions de dollars, qui pourrait être l’un des derniers financements fédéraux pour ce projet pendant un certain temps. Cette enveloppe s’ajouterait aux 2,35 milliards de dollars accordés par l’administration Obama en 2010 et aux 10 milliards de dollars d’obligations approuvés par les électeurs californiens en 2008. « Les élections ont des conséquences, et si le passé sert de guide, l’administration Trump précédente n’était pas favorable au projet californien », a rappelé Ray LaHood, ancien secrétaire aux Transports. « Son adversaire politique étant originaire de Californie et ses relations tendues avec le gouverneur de l’État, il subsiste beaucoup d’incertitudes. Honnêtement, je doute que l’avenir du train à grande vitesse californien soit prometteur sous une nouvelle administration Trump. »
Pete Buttigieg a reconnu que les subventions accordées au train à grande vitesse californien avaient été attribuées en tenant pleinement compte des incertitudes liées à l’ampleur du projet. « Lorsque nous avons sélectionné les éléments de ces subventions, nous savions que d’autres étapes seraient nécessaires et qu’il n’y avait aucune garantie au-delà de ce qui avait été officiellement signé », a-t-il déclaré. M. Buttigieg, qui quittera ses fonctions après l’investiture de Donald Trump le 20 janvier, a ajouté : « Il y a d’autres étapes à venir. » Il a également précisé que toute proposition future devra passer par le processus d’examen du département des Transports des États-Unis pour obtenir des financements. Le porte-parole de Donald Trump, Steven Cheung, n’a pas répondu aux sollicitations pour un commentaire.
La loi sur les infrastructures adoptée par Joe Biden en 2021, qui alloue 1 200 milliards de dollars à la modernisation des routes, ponts, ports et aéroports, ainsi qu’à l’extension de l’internet haut débit dans les zones mal desservies et à la promotion des véhicules électriques, a également marqué un tournant pour les trains à grande vitesse. Elle prévoit 66 milliards de dollars, ainsi qu’un potentiel de 36 milliards supplémentaires d’ici 2026, pour financer des projets prometteurs de trains interurbains et à grande vitesse tout en améliorant le service d’Amtrak, notamment sa ligne Acela, la plus rapide du pays.
En plus des 3,1 milliards de dollars alloués à la Californie, le projet de train à grande vitesse Brightline West du milliardaire Wes Edens, qui doit relier Las Vegas à la banlieue de Los Angeles, a obtenu une subvention de 3 milliards de dollars. Brightline cherche à lever 9 milliards de dollars supplémentaires auprès d’investisseurs privés, avec l’objectif d’ouvrir son réseau de 350 kilomètres d’ici 2028.
Le projet Brightline West représente moins d’un dixième du coût du réseau de 800 kilomètres que la Californie ambitionne de construire entre San Francisco et Los Angeles. Cette différence s’explique non seulement par une longueur deux fois moindre, mais aussi par le choix de Brightline de faire circuler ses trains sur des voies au niveau du sol, principalement installées au milieu de l’autoroute 15 dans le désert de Mojave, sur un droit de passage acquis il y a plusieurs décennies. Toutefois, ce tracé présente une limite : en raison de la circulation dans le terre-plein central, les trains ne pourront pas atteindre les mêmes vitesses que ceux prévus en Californie, selon les autorités. À terme, Brightline West pourrait se connecter au réseau californien à Lancaster, au nord de Los Angeles, si l’État parvient à mobiliser les fonds nécessaires.
À court terme, le train du désert de Brightline semble plus prometteur, selon Pete Buttigieg. « Nous savons que cela se fera par étapes, et tout commence par des projets qui apportent une preuve de concept, comme celui du Nevada, qui sera probablement le premier à entrer en service », a-t-il déclaré.
Karen Philbrick, directrice exécutive du Mineta Transportation Institute de l’université d’État de San Jose, a ajouté : « Le train à grande vitesse n’est pas seulement un choix, c’est une nécessité pour bâtir un avenir connecté et prospère pour tous les Américains. Mais je crains pour son avenir sous l’administration Trump. »
L’un des principaux défis de la Californie réside dans l’explosion des coûts du projet depuis que les électeurs de l’État ont approuvé un emprunt obligataire de 10 milliards de dollars pour sa construction, il y a 16 ans. Au fil des ans, l’État a dû sécuriser des terrains et des emprises, obtenir des autorisations environnementales et faire face à de multiples poursuites judiciaires, ce qui a ajouté environ 85 milliards de dollars à l’estimation initiale des coûts de 2008. Ces obstacles ont également considérablement allongé les délais, transformant un chantier prévu sur quelques années en un projet de plusieurs décennies.
Le tronçon de la Central Valley, reliant Bakersfield à Merced, pourrait être inauguré au début des années 2030 si des financements supplémentaires sont trouvés. Cependant, dans le meilleur des cas, les extensions vers San Francisco et Los Angeles ne seraient opérationnelles qu’à partir des années 2040. Aujourd’hui, les coûts de construction sont estimés à environ 200 millions de dollars par kilomètre, soit plusieurs fois le coût d’un kilomètre d’autoroute en Californie. L’autorité du projet argue toutefois que répondre à la même demande de voyageurs avec des infrastructures routières et aéroportuaires coûterait encore plus cher, nécessitant notamment 6 752 kilomètres supplémentaires de routes, 91 portes d’aéroport et deux pistes d’atterrissage.
Entre scepticisme et ambitions : un avenir incertain
Face à cette escalade des coûts et des délais, le projet est devenu la cible des critiques, tant au niveau de l’État que du pays, qui le dénoncent comme un gâchis monumental. À cela s’ajoutent des années de mauvaise gestion et une dépendance excessive aux consultants externes, qui ont coûté du temps, de l’argent et, surtout, de la crédibilité. La construction du projet s’est nettement accélérée au cours des cinq dernières années sous la direction de Brian Kelly, ancien PDG de la California High-Speed Rail Authority, qui a quitté ses fonctions fin août. Son successeur, Ian Choudri, n’a pas souhaité accorder d’interview à ce stade. « Avec plus de 25 chantiers actifs dans la Central Valley, la création de plus de 14 000 emplois dans le secteur de la construction et la participation de plus de 800 petites entreprises, des progrès significatifs ont été réalisés », a déclaré Micah Flores, porte-parole de l’autorité. Il a ajouté que « 745 kilomètres du corridor entre San Francisco et Los Angeles ont été dépollués, les rendant prêts pour l’obtention de financements futurs ».
Il affirme que le projet demeure résolument engagé à collaborer avec les partenaires fédéraux pour explorer de nouvelles opportunités de financement, tout en actualisant régulièrement les estimations de coûts et de délais. L’objectif est clair : mobiliser le législateur afin de renforcer la capacité de l’État à mener à bien ce chantier ambitieux.
Ni le site de campagne de Donald Trump ni le manifeste Project 2025, porté par des conservateurs, ne mentionnent spécifiquement le train à grande vitesse californien. Cependant, le nouveau président a récemment exprimé une position plus favorable à la technologie, ce qui pourrait marquer une inflexion par rapport à ses précédentes déclarations sur le sujet. « J’ai vu certains des trains les plus impressionnants », a-t-il déclaré à Elon Musk lors d’une discussion en direct sur X (anciennement Twitter) le 12 août. « C’est fascinant. J’ai observé leurs systèmes et leur fonctionnement : ces trains à grande vitesse, comme on les appelle, sont incroyablement rapides, confortables et fonctionnent sans le moindre problème. Nous n’avons rien de semblable dans notre pays, absolument rien. C’est incompréhensible, et franchement absurde, que nous n’en soyons pas dotés. »
Un défi logistique, écologique et économique
« L’État doit stabiliser son financement. C’est une condition indispensable pour obtenir davantage de fonds fédéraux », a déclaré Brian Kelly. De son côté, Elon Musk s’est longtemps opposé au projet californien. En 2013, Elon Musk avait proposé l’Hyperloop, un concept futuriste de trains à tubes pneumatiques, comme une alternative plus performante et moins coûteuse au train à grande vitesse. Bien qu’il ait depuis abandonné l’idée de développer ce projet, Ashlee Vance, l’un de ses biographes, rapporte : « Musk m’a confié que l’idée de l’Hyperloop était née de sa haine pour le train à grande vitesse californien. »
Bien que leur construction soit bien plus coûteuse que celle d’une autoroute, les lignes ferroviaires à grande vitesse présentent des coûts d’entretien nettement inférieurs à long terme, notamment parce que les routes, en particulier celles très empruntées en Californie, nécessitent des travaux de repavage fréquents. De plus, le train californien sera alimenté par de l’électricité durable produite par des fermes solaires que l’autorité prévoit de construire, ce qui réduira considérablement les émissions de carbone par rapport aux trajets en voiture ou en avion. Enfin, ce projet permettrait, pour la première fois, de relier directement les villes moyennes de l’intérieur de l’État aux grandes agglomérations de San Francisco et Los Angeles. « Il permettra aux passagers de se rendre de Los Angeles à San Francisco en moins de trois heures, tout en retirant près d’un demi-million de voitures des routes chaque année », a déclaré Karen Philbrick. « Ce projet a bénéficié d’un financement sans précédent dans le cadre de la loi bipartisane sur les infrastructures et les 11,2 milliards de dollars investis à ce jour dans le projet ont déjà généré 18 milliards de dollars d’activité économique en Californie, en particulier dans les communautés défavorisées de la Central Valley, créant ainsi plus de 14 000 emplois bien rémunérés pour les Américains. »
Le rêve californien d’un train à grande vitesse reste ambitieux. Contrairement aux projets similaires dans des pays comme le Japon, la Chine ou en Europe, qui bénéficient principalement de financements nationaux, la Californie tente de développer un système à l’échelle de l’État, une initiative sans précédent. Cependant, elle n’a toujours pas trouvé de solution durable pour financer ce projet titanesque.
En plus de l’obligation initiale de 10 milliards de dollars et des subventions fédérales, la Californie alloue environ 1 milliard de dollars par an au projet grâce aux revenus de son programme de plafonnement et d’échange des émissions de carbone. Ce financement permet de poursuivre la construction du tronçon de 191 kilomètres entre Fresno et Bakersfield. Cependant, ces ressources sont loin d’être suffisantes pour prolonger la ligne jusqu’à Merced, sans même parler de Los Angeles. Pour l’instant, le gouverneur Gavin Newsom n’a pas encore présenté de plan concret pour combler ce déficit de financement.
Pete Buttigieg, dont le mandat s’achèvera en janvier, se montre optimiste quant à l’avenir du train à grande vitesse aux États-Unis, même si l’avenir du projet californien reste incertain. « Comme je l’ai souligné lors de l’inauguration du projet Brightline West, si ces initiatives aboutissent, mes enfants grandiront dans une Amérique où le train à grande vitesse fait partie intégrante du paysage », a-t-il déclaré. « Ces initiatives ne se concrétisent pas seulement parce que le président, l’administration ou moi-même les soutenons. Elles avancent grâce à l’engagement des communautés, des investisseurs et des États qui s’investissent pleinement pour qu’elles deviennent réalité, et nous sommes impatients de voir ces efforts porter leurs fruits. »
Un article de Alan Ohnsman pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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