Si dans le cadre de la mise en place de la directive ATAD, l’Union européenne prévoit la mise en œuvre d’une règle générale de limitation de la déduction des charges financières en fonction de l’EBITDA de l’emprunteur, en plafonnant le montant des charges nettes ainsi déductibles à 30% de ce ratio, la France dispose déjà de tout un arsenal législatif visant à limiter une telle déduction, et notamment la règle dite du « rabot » énoncée à l’article 212 bis du Code général des impôts (CGI).
Ce mécanisme prévoit que les entreprises relevant de l’impôt sur les sociétés et dont le montant des charges financières nettes atteint au moins 3 millions d’euros au titre d’un exercice ne peuvent déduire, pour la détermination de leur résultat fiscal, que 25% du montant total de ces charges financières.
Pour autant, la délimitation des charges financières nettes soumises à ce mécanisme est parfois malaisée, et le Tribunal administratif de Montreuil vient de contredire récemment la doctrine publiée de l’administration fiscale au bénéfice du contribuable en jugeant que les intérêts de swap de taux n’étaient pas soumis au rabot[1]. Cette décision, au-delà des sommes à prendre en compte ou non dans le calcul de la limitation de la déduction des charges financières tel que posé par la règle du rabot, nous paraît intéressante dans la mesure où elle interroge la notion même d’ « intérêts ».
L’administration fiscale considérait, conformément à sa doctrine publiée, que les sommes perçues ou versées dans le cadre de swap de taux devaient être retenues dans le calcul de la base soumise au rabot contrairement aux sommes perçues ou versées dans le cadre de swap de devises[2].
Pour rendre sa décision, le Tribunal s’est référé au texte de l’article précité qui énonce qu’au-delà de 3 millions d’euros de charges financières nettes, ne sont déductibles qu’à hauteur de 75% les charges venant « rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition de l’entreprise, diminuées du total des produits financiers venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition par l’entreprise ».
Le juge administratif a suivi les conclusions de son rapporteur public en considérant que les sommes perçues au titre de swap de taux qu’il qualifie d’ « intérêts » ne rémunèrent pas des sommes laissées ou mises à disposition de l’entreprise, mais sont calculées sur un montant notionnel, quand bien même les contrats de swap constitueraient des instruments de couverture d’emprunts réalisés à l’extérieur du groupe.
L’on observera que cette solution rendue pour l’exercice 2012 ne semble pas en contradiction avec la doctrine comptable qui, depuis l’entrée en vigueur du règlement ANC n° 2015-05, considère que les intérêts perçus au titre des swaps de taux doivent suivre, depuis les exercices ouverts le 1er janvier 2017, le traitement des emprunts couverts. Le contribuable devra donc réintégrer fiscalement la quote-part non déductible des seuls intérêts courus ou payés au titre des sommes mises à sa disposition. Cette lecture du Tribunal de Montreuil nous semble devoir s’étendre aux autres dispositions du CGI qui limitent la déduction des paiements rémunérant les sommes laissées à disposition des entreprises, tel que l’article 212.
Au demeurant, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur le second argument du contribuable selon lequel le droit interne, le droit communautaire et l’article 11§3 de la convention modèle OCDE s’opposeraient à considérer des charges de swap comme une charge d’intérêts.
L’on peut sérieusement douter de la qualification d’ « intérêts » donnée par le Tribunal aux paiements qui sont effectués au titre d’un swap de taux. En effet, ceux-ci ne rémunèrent pas un placement, ni de prêt, ni d’emprunt, mais seulement l’exécution d’obligations réciproques des parties ayant contracté le swap. D’ailleurs, comme le rappelle lui-même le Tribunal, le montant notionnel ne sert qu’à calculer la rémunération versée.
Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’une telle erreur de qualification peut être observée. Déjà, le Tribunal administratif de Paris avait jugé[3], dans le cadre d’un swap de taux d’intérêts entre un débiteur français et un créancier néerlandais, que le prélèvement sur les intérêts alors prévu à l’article 125 A III du CGI s’appliquait à de tels paiements, contrairement aux conclusions de son commissaire du gouvernement qui, lui, suggérait plus prudemment de les qualifier de versements à caractère sui generis.
Afin de rassurer la place financière parisienne, l’administration fiscale était venue préciser postérieurement à cette décision, dans sa doctrine publiée, que les flux financiers générés par les contrats financiers qualifiés d’ « instruments financiers à terme » relatifs à des taux d’intérêt ne pouvaient être considérés comme des produits de placement au sens de l’article 125 A du CGI, puisqu’ils ne représentent pas la rémunération d’une créance.
Le Tribunal administratif de Montreuil vient donc de rendre une décision importante qui met l’administration fiscale devant les contradictions de sa propre doctrine. Les placements effectués au titre des swaps de taux d’intérêts font décidément l’objet de beaucoup d’hésitations, sans doute parce que leur qualification juridique demeure encore aujourd’hui incertaine et leur inclusion par le Code monétaire et financier dans le vocable générique d’ « instruments financiers à terme » n’a pas vraiment éclairé le débat. Il serait temps que le législateur offre un cadre légal plus précis, prenant en compte les spécificités de ces contrats d’échange de risques que sont les swaps de taux ou de devises.
[1] TA, 18 janvier 2018, n° 17.0251
[2] BOI- IS-BASE-35-40, n° 45
[3] TA, 20 juin 2007, n° 01.12498
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