La crise économique risque d’être beaucoup plus importante que la crise sanitaire de par ses effets plus durables. A côté de l’impact qu’elle aura sur le tissu productif à travers une vague de faillites d’entreprises, elle va contribuer à fortement augmenter l’endettement public de la France déjà à un niveau historiquement élevé. Cela ne va pas uniquement venir du déficit public nouvellement créé mais également du ralentissement de l’activité économique que la crise va générer. Que faire alors ? Par Laurent Weill, Professeur des Universités à l’EM Strasbourg et à l’Université de Strasbourg.
Il ne s’agit pas de remettre en cause de façon générale l’augmentation du déficit public actuellement pratiquée par le gouvernement pour soutenir l’activité économique.
Creuser le déficit public en période de récession dans la pure logique keynésienne fait l’unanimité. Comme l’indiquait Robert Lucas, adversaire des idées keynésiennes, en 2008, « tout le monde est keynésien dans les tranchées. »
Mais la stratégie de creusement massif du déficit public doit éviter trois écueils ;
Ecueil n°1 : l’open bar
Il ne faut pas pratiquer une « politique d’open bar » qui consiste à dépenser à tout va comme si toute contrainte budgétaire avait définitivement disparu.
Avant toute nouvelle dépense même dans cette période exceptionnelle, l’Etat doit se poser la question de savoir si elle est pertinente et bien en ajuster le niveau.
A titre d’exemple, est-il utile d’avoir un chômage partiel autant indemnisé (84% du salaire jusqu’à 4,5 fois le SMIC) ? Se rend-on bien compte de l’énorme dépense publique que cela implique ?
Constatons que le chômage partiel est un dispositif qui nous a été inspiré par l’Allemagne qui l’avait mis en place en 2008… et qui le pratique aujourd’hui à un niveau plus faible que nous (60 à 67% du salaire). Quitte à copier l’Allemagne, autant la copier intégralement pour éviter d’avoir toujours une crise de retard sur notre voisin.
Ecueil n°2 : l’effet anesthésiant
Il faut faciliter au maximum le retour à la normale de l’activité économique en comprenant que la politique budgétaire joue un rôle dangereux d’anesthésiant de la réalité économique dans laquelle évolue aujourd’hui notre pays.
Le grand danger d’ouvrir à fond les vannes budgétaires est de faire croire aux citoyens que le pays peut vivre durablement ainsi… alors qu’en fait il ne fait que vivre actuellement à crédit.
L’effondrement de l’activité économique en France est actuellement d’environ 35%. Cela signifie très concrètement que chaque jour le revenu de l’ensemble des Français est amputé d’un tiers.
Or comme l’Etat a fortement augmenté ses dépenses pour amortir le choc, beaucoup de Français n’ont aucune conscience de cet appauvrissement puisqu’ils reçoivent l’argent emprunté par l’Etat.
Le sanitaire a jusqu’à présent pris le pas sur l’économique.
Mais il est facile de faire primer le sanitaire sur l’économique quand les conséquences économiques sont rendues invisibles par la politique budgétaire. Comment réagiraient les Français si le chômage partiel n’existait pas ? Si les faillites d’entreprises aujourd’hui reportées par les dispositifs étatiques avaient déjà commencé en masse ?
Bref, la politique budgétaire doit amortir le choc économique mais pas l’anesthésier.
Ecueil n°3 : la solution magique
Il faut clairement faire comprendre aux citoyens qu’il n’y aura pas de recette magique pour faire disparaître toute la nouvelle dette sans coût.
Rien n’est plus dangereux à terme que de laisser croire aux citoyens que le fait de creuser le déficit public n’aura aucune conséquence sur l’avenir des Français.
L’histoire économique montre trois moyens de résoudre un niveau de dette publique élevé : l’austérité, le défaut, l’inflation.
Elles ont toutes un coût pour les citoyens.
L’austérité signifie une hausse des impôts et/ou une baisse des dépenses publiques, ce qui ne fait jamais plaisir aux citoyens.
Le défaut implique une perte pour les épargnants, car quand l’Etat ne rembourse pas sa dette cela signifie une perte pour ses créanciers. Il s’accompagne de plus de difficultés durables pour l’Etat pour de nouveau emprunter.
L’inflation apparaît par l’utilisation de la planche à billets pour financer l’endettement public et s’accompagne d’une perte pour les épargnants.
Une petite musique actuelle laisse entendre actuellement que l’achat massif et permanent de dette publique par la BCE serait une solution sans coût. « Cette fois c’est différent », la planche à billets pourrait être actionnée sans conséquence négative. Comme tout est simple !
Cette petite musique certes douce à nos oreilles repose sur l’ignorance et le rejet le plus total des leçons de l’histoire économique, qui est toujours la posture de ceux qui estiment que « cette fois c’est différent ».
Un refrain de cette agréable musique est que l’hyperinflation serait une chose du passé lointain qui n’a plus cours dans le monde d’aujourd’hui… C’est ignorer les nombreux exemples qui nous viennent de pays où la planche à billets pour financer l’endettement de l’Etat a récemment été mise à contribution. Observons juste les deux exemples extrêmes qu’ont été le Zimbabwe en 2008 (et ses 231 millions de % d’inflation) et le Venezuela en 2018 (et ses « seulement » 1,35 million de % d’inflation).
Oui l’hyperinflation a disparu. Dans les pays où on ne pratique pas la planche à billets pour financer l’endettement de l’Etat.
Ainsi la politique économique du gouvernement est légitime à creuser le déficit public au moment de la plus grave crise économique depuis un siècle. Mais elle doit éviter ces trois écueils sous peine d’avoir des conséquences économiques très graves pour notre pays qui ne disparaîtront pas le jour où un vaccin contre le coronavirus aura été inventé…
Laurent Weill est professeur des Universités à l’EM Strasbourg et à l’Université de Strasbourg. Il est spécialiste des questions macroéconomiques et bancaires. Il travaille avec plusieurs banques centrales régulièrement (en particulier chaque année la Banque de Finlande).
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