Dans un avis motivé en date du 17 mai 2017, la Commission européenne a formellement demandé à la France de mettre fin à la retenue à la source de 30% sur les versements de dividendes de source française bénéficiant à des sociétés non-résidentes en situation déficitaire.
La Commission européenne a en effet estimé qu’une telle mesure[1] est constitutive d’une entrave injustifiée à la libre circulation des capitaux. Pour mémoire, en vue de la mise en place et du fonctionnement du marché unique, les traités européens[2] prohibent toute restriction aux mouvements de capitaux entre les personnes physiques et morales résidant dans les États membres de l’Union européenne.
Cette retenue à la source a déjà fait l’objet d’une première mise en demeure de la Commission européenne. En effet, en 2014, celle-ci avait enjoint la France de faire évoluer sa législation en matière de retenue à la source applicable aux personnes morales non-résidentes qui perçoivent des dividendes de source française. Plus particulièrement, la Commission estimait qu’il existait une restriction à la liberté de circulation dans la mesure où les sociétés non-résidentes qui étaient en situation « déficitaire ou en liquidation » ne pouvaient jamais imputer la retenue à la source acquittée en France sur l’impôt payé dans leur Etat de résidence, n’étant pas imposées du fait de leur absence de bénéfices. Selon la Commission, une restriction injustifiée avait été instaurée dans la mesure où une société française « déficitaire ou en liquidation », qui percevait les mêmes revenus n’était pas imposée sur ces derniers.
Afin de se conformer à cet avis, le législateur a introduit dans la Loi de Finances Rectificative pour l’année 2015 une nouvelle exonération, sous certaines conditions, de retenue à la source en faveur des sociétés non-résidentes situées dans l’Union européenne ou dans un Etat ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Ainsi, l’article 119 quinquies du Code général des impôts prévoit désormais une absence de retenue à la source sur les dividendes versés aux sociétés non-résidentes qui, en plus de leur situation fiscalement déficitaire, ont, à la date de la distribution litigieuse, fait l’objet d’une procédure équivalente à une liquidation judiciaire, ou, à défaut, sont à cette date en état de cessation des paiements sans possibilité de redressement.
Cette double condition trouve sa source dans la jurisprudence administrative française. Dans différentes décisions, le juge administratif a ainsi souligné qu’aussi longtemps que la société non-résidente déficitaire n’est pas mise en liquidation (ou sous une autre procédure équivalente), la retenue à la source qu’elle subit ne constitue pas une imposition définitive mais un simple décalage de trésorerie compatible avec le droit de l’Union européenne. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a jugé que la seule différence existant entre une société résidente déficitaire – qui n’est de facto pas soumise à cette retenue à la source – et une société non-résidente consistait en un désavantage de trésorerie pour cette dernière[3]. A ses yeux, ce « décalage dans le temps » ne saurait constituer une restriction: dès lors que les dividendes perçus par une société déficitaire établie en France viennent en diminution du déficit reportable, et sont nécessairement imposés lorsque la société redevient bénéficiaire. Dès lors, pour le juge français, cette retenue à la source n’est pas constitutive d’une discrimination caractérisant une entrave à la liberté de circulation des capitaux interdite par le droit européen.
C’est pourquoi lors de l’introduction de l’article 119 quinquies, le Gouvernement français s’était rangé à la position du Conseil d’Etat, assumant ainsi sa divergence d’appréciation avec la Commission européenne : « la demande de la Commission [allait] au-delà de ce qu’ [exigeait] le respect de la libre circulation des capitaux et de l’égalité de traitement entre les entreprises françaises et les autres entreprises européennes »[4].
Cependant, la Commission européenne ne semble pas convaincue par cette évolution de la législation française. Elle estime dans son avis rendu le 17 mai dernier que les deux conditions à cette exonération ne sauraient être cumulatives. Selon son avis, l’application de la retenue à la source est critiquable dès lors qu’elle implique une taxation immédiate des sociétés étrangères, sans possibilité de remboursement, « premièrement, lorsque l’entreprise est en déficit structurel (…) ; deuxièmement, lorsque l’entreprise est dans une phase temporaire de rendement négatif » et ce contrairement aux sociétés françaises placées dans la même situation. En effet, ces dernières ne sont imposables au titre des dividendes perçus que lorsqu’elles sont revenues à une situation excédentaire.
Il convient de rappeler que l’émission d’un avis motivé constitue la deuxième phase d’une procédure d’infraction au terme de laquelle la Commission peut, en l’absence d’une réponse satisfaisante de la France dans un délai de deux mois, saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’un recours en manquement conformément à l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Par conséquent, les autorités françaises disposent désormais d’un délai court pour donner suite à cet avis motivé. En l’absence d’une mise en conformité, la Commission pourrait saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Il reviendra alors à la Cour d’arbitrer entre d’une part, la vision du Conseil d’Etat exposée dans sa jurisprudence, et d’autre part la position de la Commission européenne renouvelée dans l’avis motivé rendu le 17 mai dernier.
On observera que la CJUE rappelle régulièrement que « l’exclusion d’un avantage de trésorerie dans une situation transfrontalière alors qu’il est octroyé dans une situation équivalente sur le territoire national constitu[e] une restriction à la liberté d’établissement »[5]. L’application d’une telle jurisprudence au cas présent pourrait conduire la CJUE à censurer l’analyse faite par le gouvernement français.
Il convient enfin de noter que si le Gouvernement français décidait de suivre l’avis de la Commission, cette modification n’interviendrait que pour l’avenir alors qu’une décision favorable de la Cour de justice pourrait également permettre aux contribuables de réclamer le remboursement de la retenue à la source pour le passé.
Avec la participation de Mathieu Jung (Avocat Norton Rose Fulbright)
[1] Article 119 bis, 2 du Code général des impôts
[2] Article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
[3] CE , 9 mai 2012, n° 342221, GBL Energy
[4] Amendement à l’article 32 du Projet de loi de Finances rectificative pour 2015 présenté en 1ère lecture devant le Sénat, n° 372.
[5] CJUE, 12 juillet 2012, C-269/09, Commission c/ Espagne.
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