En France, les différents régimes de retraite complémentaire (Agirc-Arrco, RAFP, IRCANTEC) admettent deux méthodes de calcul pour les pensions : par trimestres et par points. La réforme des retraites prévue pour 2025 entend bousculer cette répartition en fusionnant les 42 régimes existants en un système unique de retraite à points. Une réforme qui fait l’effet d’une bombe, dans un contexte social déjà marqué par une série de réformes fiscales et financières. Si elle fait certains heureux, la retraite à points fait aussi des perdants. Qui sont les gagnants et les perdants de ce nouveau système ?
Retraite à points : pourquoi elle ne passe pas
L’idée est simple : mettre en place un système de retraite plus juste et équitable, dans lequel chaque euro cotisé donne les mêmes droits, que l’on soit salarié(e), indépendant(e) ou fonctionnaire. Cela signifie notamment la fin des régimes spéciaux (et des avantages qui vont avec). C’est précisément ce que rejettent les affiliés de ces régimes, qui peuvent bénéficier notamment d’un départ en retraite anticipé (jusqu’à 52 ans pour certains métiers et sous conditions).
Autre pomme de discorde : la disparition des caisses de retraite autonomes, qui profitent notamment aux professions libérales ainsi qu’à certains secteurs comme l’aviation civile. Ces « paniers garnis », qui disposent de grosses réserves financières, assurent à leurs affiliés un confort supplémentaire à la retraite, qu’ils rechignent à voir disparaître.
Enfin, la réforme des retraites prévoit la prise en compte dans le calcul de la pension de l’intégralité de la carrière professionnelle. Actuellement, elle est limitée aux 25 meilleures années pour les salariés du secteur privé et aux 6 derniers mois pour les fonctionnaires.
Les profils gagnants de la réforme des retraites…
Les femmes et les familles monoparentales
Avec une pension en moyenne 42 % inférieure à celles des hommes (1 740 € brut contre 1 070 € pour les femmes en 2016), les femmes auraient, du moins en théorie, beaucoup à gagner de l’instauration d’un système censé être plus équitable. La réforme des retraites prévoit entre autres la révision des droits familiaux et du dispositif de réversion, qui concerne les femmes dans 9 cas sur 10. Au programme, une majoration des droits de 5 % par enfant, dès le premier enfant, à se partager entre les deux conjoints. En cas de partage impossible, c’est à la mère que cette majoration sera attribuée. Une réforme qui devrait profiter aux femmes et familles monoparentales, dont un tiers vit sous le seuil de pauvreté.
Les exploitants agricoles et les commerçants
C’est l’une des rares catégories socio-professionnelles qui ne devrait pas subir les affres de ce nouveau système. La retraite des agriculteurs ne devrait pas être impactée par la mise en place du système à points, que ce soit au niveau du taux de cotisation ou du montant de la pension future. Même chose pour les commerçants. La seule chose qui change, c’est le relèvement de la pension minimale à hauteur de 85% du SMIC (995,64 € par mois en 2019) pour les professionnels ayant réalisé une carrière complète. Actuellement en place, il est plafonné à :
- 75 % du SMIC pour les agriculteurs (27 % en bénéficient)
- 81 % pour les salariés, les artisans-commerçants, les agriculteurs qui touchent plus d’une pension.
Certaines (rares) professions libérales
Les professions libérales dont le taux de cotisation actuel est supérieur à celui prévu par la réforme des retraites vont sortir gagnantes du nouveau régime. C’est le cas notamment de certaines professions intermédiaires comme les agents généraux d’assurance.
Et ceux qui y perdent…
Les fonctionnaires
C’est l’une des catégories les plus touchées par la mise en place de la retraite à points. Actuellement, la pension de retraite d’un fonctionnaire est calculée sur son sa rémunération des six derniers mois (hors primes), auquel on applique un taux de 75%. Avec la réforme, c’est la totalité de leur carrière qui serait prise en compte. Or, les salaires d’un fonctionnaire sur ses six derniers mois d’activité sont forcément meilleurs que ceux de l’ensemble de la carrière. Les fonctionnaires vont donc y perdre…
Le gouvernement s’est voulu rassurant : pour ne pas pénaliser les fonctionnaires, il est prévu d’intégrer leurs primes dans le calcul de la retraite. Primes qui s’élèvent à 25,3% du traitement en moyenne pour les fonctionnaires titulaires de l’Etat. Un chiffre qui cache de très fortes disparités : 61,1 % pour les cadres de catégories A + contre 5,1 % pour les enseignants.
Les régimes spéciaux
Sapeurs-pompiers, agents de police municipale, mineurs, sages-femmes… ces professions particulièrement « actives » ouvrent droit à un départ en retraite anticipé, parfois dès 52 ans (voire avant pour certaines militaires). Suivant la logique de la réforme des retraites, ceux qui font le même métier doivent avoir les mêmes droits, qu’ils opèrent dans le public ou le privé. Du coup, toutes les possibilités de départ anticipé à 52 ou 57 ans, dans les régimes spéciaux ou dans la fonction publique, seront supprimées. Une dérogation sera néanmoins accordée à certaines professions :
- les surveillants de l’administration pénitentiaire ;
- les contrôleurs aériens ;
- les policiers ;
- les douaniers ;
- les sapeurs-pompiers professionnels.
Ceux-là pourront encore bénéficier d’un départ en retraite anticipé (sous conditions) dès 52 ans ou 57 ans. Le cas des militaires est un peu à part : ces derniers doivent en effet valider un certain nombre d’années de services (et non atteindre un âge légal) pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein.
Et les autres ? Le personnel hospitalier (aides-soignantes, infirmières, etc.) risque la douche froide : fini, le départ en retraite anticipé. Pour ces professions, le gouvernement prévoit l’élargissement des règles de pénibilité du privé à leur secteur. Une solution qui passe mal, car même avec ces règles, le départ en retraite ne se ferait pas avant 60 ans.
Les professions libérales
Pour les professions libérales, c’est au niveau des cotisations que le bât blesse. Avec le nouveau système, elles devraient s’élever à 28,12 % jusqu’à 120 000 euros de salaire annuel. C’est bien plus que ce que payent actuellement certains libéraux. Pour tempérer, il est question de ramener le taux à 12,94% (au lieu des 28,12%) au-delà de 40 000 €… Là encore, cela reste trop élevé pour certaines professions, comme les avocats.
Principales victimes donc : les avocats, les architectes, les géomètres, les experts-comptables, les auxiliaires médicaux (infirmières, kinés, etc.), les vétérinaires et les sages-femmes.
Pourquoi ? Parce que leur pension augmente certes, mais pas de façon proportionnelle. Même avec tous ces ajustements, le futur système reste moins avantageux que l’actuel. Théoriquement, cela se traduirait par exemple par un rendement de 5,5 % (100 euros cotisés = 5,50 euros sur le retraite), contre 10% aujourd’hui.
La diversité et la spécificité des différentes catégories socio-professionnelles étaient justement à l’origine de la création de régimes de retraite séparés. Fusionner 42 régimes de retraite en un seul, la barre est mise très haute. A trop vouloir rendre la retraite « juste et équitable » pour tous, l’omelette du gouvernement va compter beaucoup d’œufs cassés.
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