La pandémie, saisissant de plein fouet en début d’année les entreprises, a vu l’émergence d’un nouveau type d’assemblée générale dite « à huis clos », légalisée par l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées générales.
L’assemblée à huis clos est ainsi apparue comme une solution de sauvegarde, une réponse temporaire et dérogatoire aux droits des actionnaires, permettant aux entreprises d’honorer leur calendrier, notamment comptable et de versement de dividendes.
A l’heure du reconfinement annoncé ce 28 octobre, la tentation de reconduire ce modèle, dont on a pu dénoncer les limites, est grande. Nombre d’émetteurs ont en effet perçu les avantages qu’ils pouvaient retirer d’un rendez-vous avec les actionnaires qui n’aurait d’assemblée que le nom, surtout lorsque certains diffèrends peuvent les opposer.
Ainsi, la quasi-totalité des émetteurs du SBF 120 ont décidé d’utiliser tout ou partie des dispositions offertes par l’ordonnance de mars 2020, acceptant, au nom de l’urgence, de sacrifier des droits essentiels des actionnaires.
Pourtant, pour ceux qui pourraient douter de l’importance de l’assemblée générale des actionnaires, il suffit de se tourner vers l’actualité économique et de suivre ses derniers rebondissements : le conflit Lagardère, dont la demande conjointe faite par le fonds Amber Capital et Vivendi de convocation d’une nouvelle assemblée générale vient d’être rejetée le 14 octobre, l’offre publique d’achat non sollicitée de Veolia sur Suez, puissamment portée et défendue par le président du conseil d’administration d’Engie alors même qu’il n’est que président non exécutif …, ou encore l’âpre bataille actionnariale qui oppose des actionnaires activistes aux dirigeants d’Unibail Rodamco Westfield, dont le dénouement devrait se jouer lors de l’assemblée générale extraordinaire du groupe le 10 novembre prochain.
Ces dossiers nous rappellent l’importance de l’assemblée générale comme lieu névralgique du pouvoir. Ils démontrent une fois de plus que les conflits opposant les actionnaires ont vocation à se dénouer en assemblée générale, et ce, en vertu d’un double principe fondateur du délibératif et du vote à la loi de la majorité.
Encore faut-il que les actionnaires soient en mesure d’exercer leurs droits, notamment celui de poser des questions orales, de débattre, de révoquer les dirigeants, droits qui sont de facto rendus inefficaces par l’absence physique des actionnaires.
L’assemblée générale constitue le lieu d’expression et d’exercice de la démocratie actionnariale et pose les fondations du pouvoir dans l’entreprise. Elle est l’organe souverain de la société, seul habilité à prendre les décisions les plus fondamentales, en particulier dans sa formation extraordinaire. Elle est souveraine en ce qu’elle nomme et révoque les principaux organes sociaux.
De sorte que l’entier édifice juridique ainsi que l’exercice du pouvoir dans l’entreprise reposent sur le fonctionnement efficace, fiable et transparent des assemblées générales, au risque de dépouiller les actionnaires de leurs prérogatives, notamment le droit de vote, prérogatives accordées en contrepartie du risque social qu’ils ont accepté de courir.
L’entier fonctionnement de l’entreprise repose sur un enchevêtrement intime de droits et d’obligations, qui pèse tant sur les actionnaires que sur les dirigeants en vertu du contrat d’investissement qui les unie, et dont l’assemblée générale constitue le socle, le lieu d’expression, parfois le lieu d’affrontement selon un principe démocratique souvent rappelé.
La saison 2020 a démontré que l’assemblée générale à huis clos pouvait se déployer selon différentes teintes de gris, en vertu d’une volonté d’engagement des actionnaires par l’émetteur.
Si certains émetteurs ont opté pour une assemblée à huis clos total ou retransmise a posteriori, interdisant toute participation des actionnaires en direct, d’autres ont cherché à maintenir un lien plus ou moins serré avec leurs actionnaires.
Le modèle minimaliste consiste à opter pour une assemblée générale retransmise en direct ne ménageant aucune possibilité d’interaction pour les actionnaires tandis que les meilleurs élèves ont cherché à reconstituer autant que possible les conditions de délibératif d’une assemblée présentielle, se pliant à l’exercice des questions en direct, y compris de celles émanant de non actionnaires.
Mais force est de constater qu’aucun émetteur n’est allé jusqu’à mettre en œuvre un vote en direct par la voie d’une technologie comme celle proposée par la société Lumi qui permet le vote en direct.
Pour les émetteurs qui opposent l’argument de la difficile identification de leurs actionnaires afin de sécuriser le vote digital, rappelons leur qu’il existe une technologie fiable et efficace proposée par la société Company Webcast. Ce système offre la possibilité aux émetteurs de limiter les questions à leurs seuls actionnaires, recréant de facto les conditions présentielles.
Alors que les actionnaires, notamment les activistes, réinvestissent leurs droits d’associé, que la loi Pacte, transposant la Directive Droits des actionnaires, insistait en plein et en creux sur l’importance de leur rôle, il n’a jamais été autant question de démocratie actionnariale.
Le digital porte un changement de paradigme profond tant dans la tenue des assemblées que dans la vérification des votes. Il offre une véritable solution. Il est donc urgent de s’en saisir. L’enjeu n’est autre que celui de la réputation de la Place de Paris et de sa faculté à attraire et respecter ses investisseurs dans l’exercice de leurs droits.
Tout décalage majeur vis à vis des autres places, notamment européennes, pourrait exacerber « l’exception française » dans ce qu’elle a de plus néfaste en termes d’attractivité pour les investisseurs internationaux.
En ces temps d’hostilité, les émetteurs ne doivent pas confiner les droits de leurs actionnaires !
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