Le constat est implacable. L’empreinte écologique des Français – générée principalement par la consommation associée au logement, au transport et à l’alimentation – se dégrade depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015. Ce constat s’explique notamment par la baisse du prix du pétrole qui a contribué à l’augmentation de la consommation de carburants.
Dans le même temps, deux démarches, non-opposables, se sont manifestées. D’un côté, les idées et engagements environnementaux, dont les aspects contraignants sont variables, se sont multipliés au cours des derniers mois, preuve d’une prise de conscience et d’une volonté affichée de faire évoluer les comportements. Ainsi, l’Union européenne a récemment fixé un objectif de réduction d’ici à 2050 de ses émissions de gaz à effet de serre de 80 % par rapport aux niveaux de 1990. De l’autre, les tentatives de faire effectivement évoluer les comportements mettent à nu des enjeux plus complexes. Ainsi, le mouvement des « gilets jaunes », qui trouve son origine notamment dans la contestation d’une taxe sur le carburant, souligne la nécessité de prendre en compte l’aspect social de toute proposition de réforme environnementale.
Au cours de son allocution télévisuelle lundi 10 décembre, le président Macron a tenté de combler le déficit social de ses réformes par des mesures économiques (notamment, une hausse de 100 euros du SMIC). S’il a évoqué « l’urgence économique et sociale », il a omis l’urgence écologique. Il est toutefois possible de réconcilier l’atteinte d’objectifs environnementaux et de justice sociale, tout en assurant une soutenabilité fiscale. Cette tribune présente des propositions allant dans ce sens.
Passer d’indicateurs purement comptables à des indicateurs qualitatifs
Tout d’abord, le changement de nos comportements, de nos habitudes, et donc de nos indicateurs de références sera nécessaire pour atteindre nos objectifs environnementaux. Les pays avancés devraient sortir d’une logique de croissance purement comptable et réfléchir au développement de critères qualitatifs, permettant de mesurer la satisfaction de leurs citoyens. Comme le souligne le manifeste “Wake-up Call on the Environment” signé par plus de 20 000 étudiants en France, « le fonctionnement actuel de nos sociétés modernes, fondé sur la croissance du PIB sans réelle considération des manques de cet indicateur, est responsable au premier chef des problèmes environnementaux et des crises sociales qui en découlent. »
D’une certaine manière, ce que nous mesurons influe sur ce que nous faisons. En nous concentrant uniquement sur la valeur matérielle produite – et non sur des critères de santé, d’éducation, d’inégalités ou d’environnement – nos actions sont biaisées de la même manière que ces mesures le sont ; nous devenons trop matérialistes. L’idée ne serait pas d’abolir le PIB comme indicateur, mais de le compléter en mettant en avant d’autres indicateurs qualitatifs, dont certains existent déjà, qui permettraient d’évaluer les actions publiques de manière plus large et transparente.
Par ailleurs, le rôle des entreprises dans cette transformation est primordial : la valeur qu’elles créent est financière, mais aussi environnementale et sociale. La recherche du meilleur rendement ne doit pas s’effectuer au détriment d’autres objectifs. Les comportements en entreprise semblent évoluer (lentement) dans la bonne direction, en réponse à la demande accrue d’investissements socialement responsables (« do good and do well », en anglais) et sous la pression d’un consommateur-citoyen devenant progressivement plus conscient, bien que souvent limité par son budget. L’atteinte d’objectifs environnementaux ambitieux dépendra en partie de notre capacité à penser notre société sous un autre prisme que la seule croissance du PIB, ou du profit marchand.
Repenser les politiques publiques environnementales
Ensuite, nous devons repenser les politiques publiques environnementales et leurs outils de mise en œuvre. L’innovation technologique et l’investissement dans les transports en commun constituent des enjeux primordiaux.
Premièrement, nous devons tirer le meilleur parti des technologies numériques. Dans le domaine du transport, l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pourrait par exemple permettre une réduction des « transports à vide », ce qui représente un gain économique et environnemental. Autre exemple : certaines expérimentations dans la ville de Pittsburgh aux Etats-Unis montrent que l’utilisation de l’IA dans la régulation des feux tricolores, permet de réduire les temps de trajet de 25% et les émissions de CO2 de 20%. Dans le domaine de l’agriculture et du logement, le développement des « big data » peut nous aider à mettre en place des actions plus adaptées en améliorant l’efficacité de la production et des récoltes ou en réduisant la consommation énergétique des logements. Les domaines d’application des technologies numériques sont multiples et celles-ci permettraient d’atteindre des objectifs aussi bien environnementaux qu’économiques.
Deuxièmement, les villes et les autorités locales doivent jouer un rôle crucial dans l’élaboration de stratégies de transports et de mobilité en milieux urbains, périurbains et ruraux. Ces acteurs mettent déjà en œuvre des mesures d’incitation en faveur des énergies et véhicules alternatifs à faibles émissions, en encourageant les déplacements actifs (vélo et marche à pied), les transports publics et les systèmes de covoiturage pour réduire la congestion et la pollution. Dans les zones périurbaines et rurales, le développement du covoiturage gratuit, la restauration des petites lignes ferroviaires, ainsi que l’amélioration des transports collectifs permettront de faciliter la mobilité et de réduire à court terme des inégalités criantes entre les territoires. La promotion du télétravail de manière plus systématique et l’utilisation de certaines technologies à distance permettraient également de réduire l’empreinte écologique associée au transport.
Introduire un système de taxation conciliant objectifs environnementaux et justice sociale
Enfin, la taxe incitative constitue un moyen opérationnel « d’internalisation des coûts externes » de la consommation d’énergie : il s’agit de pallier le fait que les prix à court terme des marchés ne reflètent ni les coûts des dommages climatiques, ni les coûts d’opportunité à long terme d’une ressource rare non renouvelable. Toutefois, cette taxe doit répondre à un critère de justice sociale.
Il est évident qu’une taxe sur le carburant est régressive : la part de l’énergie, qui fait partie des dépenses contraintes, est plus importante dans le budget des ménages à faible revenu. A court terme, les plus vulnérables sont les plus touchés par le renchérissement de l’énergie, d’autant plus si des solutions alternatives de transport n’existent pas.
Il est important de rappeler que le but d’une taxe sur le carbone est de changer les comportements, et d’inciter les consommateurs et les entreprises à trouver leurs propres moyens de réduire les émissions de carbone. Par ailleurs, l’introduction d’une taxe génère des revenus nouveaux pour l’Etat. La question se pose alors de l’utilisation de cette manne financière.
D’un côté, l’Etat pourrait utiliser la fiscalité carbone pour financer la transition sociale. Cependant, les revenus de la taxe sur le carbone en 2016, 3,8 milliards d’euros, ont surtout financé le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), à hauteur de 3 milliards d’euros. Dans les faits, seulement 20% environ des recettes de cette taxe est directement fléchée vers le compte d’affectation spécial « transition énergétique ». Comme le montre également le rejet massif il y a quelques jours d’une taxe carbone dans l’État de Washington (Etats-Unis), cette solution n’est pas populaire, en partie car elle est socialement injuste. Par ailleurs, il semblerait que les électeurs n’étaient pas opposés à l’idée d’une taxe sur le carbone en soi, mais qu’ils n’étaient pas convaincus qu’un transfert massif du contribuable vers le gouvernement, sans explication claire quant à l’utilisation de ces ressources supplémentaires, soit une bonne idée.
De l’autre côté, l’Etat pourrait utiliser la taxe carbone pour compenser la baisse d’autres taxes, avec un impact total neutre sur les finances publiques. Ainsi, en Suède, l’introduction de la taxation du carbone dans les années 1990 s’est faite dans un cadre global avec une diminution simultanée d’autres prélèvements obligatoires. Un système qui consacre l’impôt prélevé sur les entreprises aux réductions de l’impôt sur les salaires et celui prélevé sur les ménages au financement des transferts redistributifs, s’avère être un compromis raisonnable : il permet à la fois une désincitation à la consommation de carbone, un maintien de la compétitivité des entreprises ainsi qu’un contrôle des effets distributifs de la réforme.
Une autre idée (plan Baker-Shultz) consiste à renvoyer le produit des taxes aux électeurs. Chaque citoyen se verrait reverser la même somme, ce qui rendrait la taxation du carbone progressive : les plus aisés contribuent plus en montant absolu, mais tous reçoivent un montant égal, ce qui correspond à un transfert de richesse des plus riches vers les plus pauvres. Ces transferts pourraient également intégrer la dimension spatiale et les hétérogénéités territoriales par souci d’équité.
Conclusion
En conclusion, nous devons cesser d’opposer urgences environnementale et sociale. Conceptuellement, la consommation de subsistance à forte intensité de carbone est la clé pour comprendre les effets distributifs d’une réforme de la taxe carbone et la colère des dernières semaines. Néanmoins, une telle réforme peut être rendue progressive si elle s’inscrit dans un cadre plus global. Des actions ambitieuses et concrètes peuvent permettre de répondre à cette colère, en préservant la justice sociale, la poursuite d’objectifs environnementaux ainsi qu’en maintenant un équilibre fiscal. Ce n’est pas le cas aujourd’hui en France. La poursuite simultanée de ces objectifs, et non uniquement de l’objectif fiscal, sera indispensable à leur bonne réalisation ainsi qu’au maintien de la cohésion sociale du pays.
Rédigé par Julien Acalin, BSI Economics
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